« Le Tchad a besoin de redéfinir son avenir sans une présence militaire étrangère » (Djoret Biaka Tedang)

L’actualité politique au Tchad reste marquée par les préparatifs des élections générales de fin décembre 2024. Décryptage avec Djoret Biaka Tedang, le coordinateur de l’alliance panafricaine UMOJA-TOUMAI et leader de la plateforme de la diaspora Tchadienne. 

Lesnouvellesdafrique.info : Les élections législatives, sénatoriales et locales auront lieu le 29 décembre 2024. Les conditions de transparence de ces élections sont-elles réunies?

Djoret Biaka Tedang : Le débat ne se limite plus à la transparence mais s’étend aussi à l’opportunité et la faisabilité de ces élections selon le calendrier officiel des travaux. Le pays est plongé dans le désarroi en raison des inondations pluviales et des menaces d’inondations fluviales dans les semaines à venir. Il est pratiquement impossible de tenir le calendrier des travaux, notamment de cartographie électorale dans ce contexte. Nous avons, en tant que nation, besoin de faire face dans une ambiance de cohésion nationale à ces catastrophes naturelles et à ses conséquences qui sont nombreuses en repoussant les élections.

Les élections précédentes ont démontré un manque d’équité et de transparence, particulièrement lors de la compilation et de la publication des résultats. L’ANGE n’a pas respecté les obligations légales de fournir des résultats détaillés par bureau de vote. Tout semble orchestré pour légitimer un pouvoir en place sans véritable consentement populaire ni crédibilité internationale, si ce n’est la caution que porte la France à ces genres de régimes.

Aujourd’hui l’on peut se demander pourquoi le pouvoir continue à fermer les oreilles sur les revendications légitimes de l’opposition pour des élections plus justes, transparentes et équitables. Un pouvoir qui cherche un minimum de légitimité populaire écoute les leaders, cherche à avoir une opposition parlementaire pour permettre d’améliorer les politiques publiques. Si cela n’est pas le cas, c’est parce que le régime actuel, sourd aux revendications de l’opposition, cherche à contrôler le pouvoir parlementaire pour se maintenir au-delà des limites constitutionnelles, et cela ne trompe personne.

Nous pensons donc qu’il est opportun de repousser ces échéances électorales et se donner le temps de faire face ensemble aux catastrophes et de discuter de manière inclusive sur l’architecture institutionnelle des prochaines élections et les conditions de transparence, d’inclusion, d’équité.

Lesnouvellesdafrique.info : Pour la toute première fois, les tchadiens de la diaspora pourront etre candidat aux législatives de décembre. Comment l’appréciez-vous?

Djoret Biaka Tedang : C’est une avancée démocratique importante et une inclusion nécessaire. La diaspora a un rôle clé à jouer dans le développement du Tchad, tant sur le plan économique, politique que social. Le concept de député de la diaspora est un bon début,

Nous sommes heureux que notre proposition formulée dans le livre blanc de la diaspora publiée en 2022 sous le titre « Pour un Tchad Nouveau » soit prise en compte. Nous pensons comme les institutions internationales et l’Union Africaine que nos pays ont tout à gagner à impliquer leur diaspora et à tirer le meilleur d’eux. Cette diaspora pourrait être le principal levier des investissements directs étrangers, du transfert de technologie, dans un monde de plus en plus global, où les hommes se déplacent, où les start-ups recherchent des débouchés et où donc la compétition ne se résume plus seulement à celle des grandes firmes internationales. Je rêve d’une diaspora qui soit le levier du développement économique du Tchad Nouveau, d’une diaspora qui soit un des principaux facteurs de la résilience des populations résidentes. Mais je rêve aussi d’une diaspora qui soit impliquée dans la vie de la nation, non seulement au sein du parlement mais aussi au Sénat, dans les autres institutions constitutionnelles. Nous devrions emboîter le pas de l’Union africaine qui a institué la diaspora africaine comme la sixième région, avec son gouvernement, ses institutions de financement, etc.

Mais le concept de député de la diaspora ne doit pas être symbolique. Il est crucial que la diaspora soit véritablement représentée et que ses représentants soient choisis en fonction de leur potentiel à contribuer à la vie de la nation. Au niveau de la Plateforme de concertation de la diaspora tchadienne, nous avons tiré la sonnette d’alarme sur un certain nombre de conditions d’équité à savoir: (i) La création de six circonscriptions électorales au lieu de quatre, avec chacune un député de la diaspora, mieux à même de refléter le poids démographique et les conditions spécifiques des populations au lieu du poids dans le fichier électoral biaisé et incomplet, (ii) La mise à jour du fichier électoral, en particulier pour les Tchadiens de la diaspora vivant dans les pays où existe une représentation diplomatique et où il n’y a pas eu d’enrôlement, et (iii) la création de bureaux de vote dans tous les pays où existe une représentation diplomatique Tchadienne.

C’est une occasion pour la diaspora de faire entendre sa voix et de participer pleinement aux affaires du pays, sans craindre les manipulations électorales. Nous avons collectivement le devoir de faire en sorte que ces élections ne se fassent pas comme à l’intérieur du pays. Il revient à la diaspora de travailler à réunir les conditions pour imposer nos choix. Le vote à l’extérieur du pays, loin des menaces de braquage armée des résultats issus des urnes, offre cette opportunité. Il revient également aux communautés tchadiennes de par le monde de se saisir des problèmes que nous avons évoqué afin de remonter aux autorités leur droit à prendre une part active à ces élections.

Lesnouvellesdafrique.info : Une majorité des membres de la diaspora tchadienne était opposée à la Transition et à la candidature de Mahamat Idriss Déby Itno à la présidentielle du 6 mai dernier. Une opposition qui n’a pas empêché son élection dès le 1er tour. Est-ce que vous n’avez pas échoué dans votre stratégie?

Djoret Biaka Tedang :  Oui et non. Nous avons échoué face au système françafricain, mais nous avons gagné en éveillant les consciences. Notre lutte dépasse la simple opposition au modèle de transition offert; il s’agit d’un combat pour des droits fondamentaux tels que la liberté, la justice et le progrès. Et l’histoire nous a donné raison, parce qu’aujourd’hui tout le monde s’accorde sur le fait que le régime actuel est plus liberticide, plus corrompu, plus anti-progrès, plus injuste que le régime de Deby père. La récente disparition du Secrétaire Général du Parti Socialiste Sans Frontière après l’assassinat de Yaya Dillo le démontre bien.

Notre peuple a pourtant le droit à de meilleures conditions de vie, à des services sociaux de base, le droit à rêver de liberté, de justice, de progrès, en lieu et place d’une stabilité gardée par les armes, y compris de celles de certaines puissances qui ne voient que leurs intérêts de court terme.

Bien que nous ayons échoué à empêcher le déroulement de ce modèle de transition, nous voyons de grandes avancées, ne serait-ce que dans l’éveil des consciences. L’injustice et le double langage de la France et des autres puissances a servi de levier aux autres pays frères soumis au même diktat international de se libérer du joug néocolonial. Nous gardons espoir également sur une libération prochaine du Tchad de ce joug néocolonial pour qu’enfin Toumaï puisse offrir à l’humanité ce qu’il a de mieux, pour que ses enfants retrouvent leur dignité. Du reste, à partir du moment où ce pouvoir n’a rien à offrir à ce peuple, nous sommes confiants en sa capacité à se relever et à faire face.

Lesnouvellesdafrique.info : La nouvelle loi  relative au découpage administratif et électoral a été adoptée et promulguée par le Président de la République. Pourquoi êtes-vous contre cette loi?

Djoret Biaka Tedang : Pour être précis, nous nous opposons non pas seulement à l’ordonnance sur le découpage administratif mais à toutes ces lois qui ont suivi et qui portent gravement atteinte à l’égalité entre citoyens et au fondement même de l’État unitaire imposé à l’issue du référendum constitutionnel qui s’est tenu en lieu et place d’un référendum sur la forme de l’État adopté par le DNIS. Ces lois introduisent un concept nouveau de territorialité de la représentation parlementaire alors que le Sénat est créé pour cela. Il y a une surreprésentation de certains territoires, qui biaise l’égalité des citoyens. L’aspect qui est passé inaperçu, c’est la détermination des communes urbaines, sans aucune base scientifique ni débats citoyens. Nous allons vers un échec de la décentralisation parce que nous sommes en train de forcer la mise en place de communes urbaines sans ressources financières suffisantes pour être autonomes et vers les brimades d’autres localités urbaines qui, durablement, ne recevront pas les ressources à la taille de ces populations, et donc, incapables de faire face aux défis de l’urbanisation accélérée et des changements climatiques.

Ce débat dépasse les considérations politiques : il touche aux principes fondamentaux de cohésion sociale et de justice. C’est pourquoi, nous appelons à un débat citoyen pour aborder ces questions essentielles à la paix et au progrès.

Lesnouvellesdafrique.info : Suite au tollé suscité par le projet de création d’une ville nouvelle à côté de N’Djaména, le ministère de l’Aménagement du territoire, de l’Habitat et de l’Urbanisme a suspendu le comité mis en place pour réfléchir à ce projet. Quelle est votre réaction?

Djoret Biaka Tedang : La suspension du comité est un pas en avant vers l’écoute de la volonté populaire. Mais le tollé suscité par ce projet de création d’une nouvelle ville doit être mieux analysé et des réponses appropriées apportées à ce rejet. Fuir les défis environnementaux n’est pas la solution. N’Djaména regorge de beaucoup d’opportunités de transformation. Le gouvernement doit œuvrer à une vision cohérente du développement urbain tout en impliquant les citoyens dans ce processus. C’est pourquoi j’ai lancé un appel à l’intelligentsia tchadienne de travailler à une vision d’un N’Djaména nouveau, ville de paix et de lumières. Ces réflexions sont avancées et nous comptons les rendre publiques bientôt. Ces réflexions incluront également les enjeux liés à l‘urgence et à une reprise durable post-catastrophe. Nous entendons ne plus laisser ce problème uniquement entre les mains des gouvernants. Notre équipe continuera à travailler pour une ville plus durable et inclusive puisqu’il s‘agit de leur existence quotidienne, de leur investissement, de l’avenir du pays en général.

Lesnouvellesdafrique.info : De plus en plus de voix demandent le départ des forces françaises au Tchad, en faites-vous partie? Si oui, pourquoi?

Djoret Biaka Tedang : L’armée française n’a pas sa place permanente au Tchad. Sa place, sa résidence, sa mission sont en France. Si la France a une volonté de puissance ou de reconquête colonialiste ou de stratégie de défense propre à elle, cette volonté n’a pas à rencontrer de tout temps l’assentiment des peuples africains. Nous sommes convaincus que l’élite politique et militaire française est en mesure de redéfinir cette volonté de puissance et sa stratégie de défense au service du peuple français qui nous est sympathique, sans que cette vision se mette au service d’intérêts néo-impérialistes. Ne pas y réfléchir, ou y réfléchir à moitié, sans rupture réelle, c’est retarder les échéances de l’avènement où l’Armée française sera chassée de partout, non seulement en Afrique.

Nous avons, pour notre part, besoin de redéfinir notre avenir sans cette présence militaire qui entrave le progrès démocratique et les droits en étant au service des familles régnantes et non pas des menaces sécuritaires. Nous avons par exemple besoin de nous offrir une nouvelle vision de N’Djamena sans les bases militaires dont la base militaire française qui jouxte l’aéroport actuel de N‘Djamena qui est appelé à se déplacer. Il est temps pour le Tchad, mais aussi pour la France, de construire des relations de coopération multiforme basées sur le respect mutuel.

Cela est vrai pour la relation avec la France mais aussi avec d’autres nations. C’est en tout cas ma conviction que la paix dans le monde peut se renforcer par le rapprochement des cœurs et non pas par des déploiements des armes. Aujourd’hui les africains s’interrogent sur comment une Afrique plus unie peut contribuer à plus de paix, de dignité dans le monde, comment l’Afrique peut tirer profit du chemin de la soie, comment les nouvelles technologies japonaises, coréennes et américaines peuvent contribuer au progrès dans nos villages. Le temps des complexes de tous ordres, de tutorat de part et d’autre est révolu.

Lesnouvellesdafrique.info : Le président Mahamat Idriss Déby Itno s’est rendu en janvier dernier en Russie et il a été recu par son homologue Russe, Vladimir Poutine. Etes-vous favorable à un rapprochement entre N’Djaména et Moscou?

Djoret Biaka Tedang : Ce rapprochement semble plus opportuniste que stratégique. Il ne repose pas sur une vision cohérente ni sur une diplomatie solide et des hommes convaincus. Notre avons plutôt l’impression que Mahamat Idriss Deby n’a pas de conviction mais veut jouer au chantage aux différents partenaires internationaux, qu’il se laisse entraîner dans un jeu de chantage par les proches de son père. Tout cela ne pourra continuer qu’à le desservir et à desservir le Tchad qui a pourtant tant besoin d’aides pour rattraper son retard de développement. Mahamat Kaka doit se fixer une vision nationaliste de la diplomatie et réunir autour de lui les hommes qu’il faut pour mettre en œuvre cette vision.

La Russie a été un partenaire important dans l’histoire des luttes pour l’indépendance africaine. Nous avons de la sympathie pour cette Russie qui respecte et soutient les aspirations des peuples, qui renforce nos capacités à être souverain sur les plans militaires et industriels, qui renforce les capacités de notre jeunesse. Nous sommes donc favorables à la coopération stratégique avec la Russie, comme avec les autres puissances comme la Turquie, et le BRIC, parce que nous sommes convaincus des vertus d’un monde multipolaire. Mais si cette coopération avec Mahamat Kaka se renforce, sans rupture de modèle de gouvernance, cela équivaudrait à un soutien à des dictatures, à une Russie qui remplace des baby-sitter néo coloniaux et cela rendra inévitablement sa relation avec l’Afrique moins sexy pour les Africains. En cela, il est crucial pour la Russie de veiller au côté éthique de ses partenariats, notamment aux intérêts des peuples. 

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