Burkina Faso : Ibrahim Traoré, de l’exaltation révolutionnaire à l’impasse idéologique

Burkina Faso : Ibrahim Traoré, de l'exaltation révolutionnaire à l'impasse idéologique

Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle à Bonn (Allemagne).

Pour de nombreux observateurs, lorsque ce 30 septembre 2022, les réseaux sociaux et certains médias internationaux font état de bruits de bottes à​​ Ouagadougou, il s’agit probablement d’un mouvement d’humeur d’une caserne militaire qui, vraisemblablement, se conclura rap​idement par un retour à la normale. Mais lorsque se précise l’absence, voire le départ du ​​​lieutenant-Colonel​ Paul-Henri Sandaogo Damiba du palais présidentiel, l’idée d’un coup d’Etat militaire commence à gagner en crédibilité.

Quelques heures plus tard, le monde entier découvre le visage juvénile du nouvel homme fort de Ouagadougou dans les rues de la capitale burkinabè,​ Ibrahim Traoré, debout sur une jeep militaire, solidement entouré de ses frères d’armes. Une faction au sein de l’armée burkinabè vient de prendre les manettes du pouvoir.

Dans les moments d’incertitude qui ont précédé la confirmation de la réussite du putsch, il faut reconnaître que le jeune capitaine et ses troupes ont été d’une grande habileté manœuvrière.

Mobilisation de la rue et réappropriation de l’image de Sankara

En effet, face aux rumeurs pourtant fausses mais propagées à bon escient qui faisaient état d’une intervention imminente des forces françaises pour réinstaller au pouvoir le lieutenant-colonel Damiba​ (exilé au Togo), les partisans du capitaine ont su mobiliser la rue en faisant bon usage d’un populisme tactique et de circonstance.

Cette stratégie de mobilisation populaire a été décisive et payante. 

Mais il faut reconnaître que le capitaine Traoré a su également capitaliser sur ce qu’il n’est pas inopportun de considérer comme le péché originel de l’ancien pouvoir : la tentative de réhabilitation​ (début juillet 2022) de l’ancien chef de l’Etat Blaise Compaoré​​ en exil en Côte d’Ivoire depuis sa chute le 30 octobre 2024. Son retour épisodique au Burkina Faso​ le 7 juillet 2022 a heurté au-delà du « pays des hommes intègres », les nostalgiques et les zélateurs du glorieux capitaine révolutionnaire Thomas Sankara.

Sur les plans de l’image et du symbole, le nouvel homme fort de Ouagadougou n’est pas allé chercher trop loin. Il a compris tout le capital symbolique et politique qu’il pouvait tirer de la réappropriation circonstancielle de la vénérable mémoire de Thomas Sankara, ce d’autant plus qu’ils ont en commun la jeunesse, le grade dans l’armée, et une rhétorique souverainiste et de rupture avec l’ordre hégémonique néocolonial.

Aussi, conclut-il parfois ses discours en puisant dans la rhétorique de son illustre prédécesseur : « La patrie ou la mort, nous vaincrons ». Mais la comparaison s’arrête-là.

Désenchantement à l’épreuve du pouvoir

​Si à l’occasion de son voyage à Moscou ​l​ors du Sommet Russie-Afrique​ qui a eu lieu debut juillet ​2023 à Saint-Pétersbourg (Russie)​ et qui fut aussi son baptême de feu sur la scène internationale, le capitaine Ibrahim Traoré a fait une sortie remarquée sur la nécessité pour l’Afrique d’assurer sa souveraineté alimentaire ce d’autant plus qu’elle en a largement les moyens, force est de reconnaître que ce volontarisme qui lui a valu un tonnerre d’applaudissement dans toute l’Afrique, passe aujourd’hui pour un propos de circonstance lorsqu’on observe le capitaine Traoré à l’épreuve de la gestion quotidienne du pouvoir.

Au prétexte de la lutte contre le djihadisme au Sahel, force est de constater pour le déplorer que le Burkina Faso se mue chaque jour en autocratie où la contradiction est l’exception, l’unanimisme la règle.

Alors qu’on se serait attendu à ce que le nouvel homme fort de Ouagadougou crée une union sacrée pour venir à bout de la pieuvre terroriste, il s’est plutôt empressé de museler tous les ​contre-pouvoirs ou de les réduire au silence.

De tous les pays d’Afrique subsaharienne francophone, le Burkina Faso est assurément avec le Sénégal celui où historiquement, la société civile est solidement structurée et a joué un rôle crucial dans les grandes dynamiques de transformation sociale et politique.

Arrestations, enlèvements arbitraires

Le placement en détention du célèbre avocat ​Guy-Hervé Kam ​est un exemple emblématique de cette dérive du régime du capitaine Traoré.​ (​​Guy-Hervé Kam est détenu à la prison militaire de Ouagadougou depuis ​l​e 24 janvier 2024 et est accusé d’avoir participé à un « complot » contre la sûreté de l’État​).​ Nous ne passerons pas également sous silence les autres enlèvements​. On peut citer le cas d’Ablassé Ouédraogo​,​ président du Parti Le Faso Autrement ​et ancien ministre des Affaires étrangères de Blaise Compaoré ​qui a été kidnappé le 24 décembre​ 2023 par « des individus » disant appartenir à « la police nationale ». ​Il a été libéré en mars 2024​ et s’est depuis, muré dans le silence.

Le 16 septembre 2024, Yassimina Bassolé, ​la fille de ​Djibrill Bassolé, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso, a disparu à Ouagadougou, enlevée par des hommes cagoulés.​ Six mois après, ses proches sont toujours sans nouvelles​ d’elle.

L’armée accusé d’exactions sur des civils

À ce sombre tableau, viennent s’ajouter les accusations récurrentes contre l’armée coupable de nombreuses exactions contre des civils dénoncées par des ONG de défense des droits de l’Homme.

Récemment, l’ONG Human Rights Watch (HRW) a appelé  la junte au pouvoir au Burkina Faso à « enquêter » et « poursuivre » les responsables de massacres de civils perpétrés dans l’ouest du pays mi-mars, par des hommes accusés d’appartenir aux forces de sécurité.

« Les autorités doivent enquêter de manière impartiale et poursuivre de manière appropriée tous les responsables de ces crimes graves », a déclaré HRW dans un communiqué.

Selon Ilaria Allegrozzi, spécialiste du Sahel à HRW, « des vidéos macabres d’un apparent massacre commis par des milices pro-gouvernement au Burkina Faso soulignent l’absence systématique de responsabilité de ces forces ». C’est pourquoi, ajoute-t-elle, « les autorités doivent prendre des mesures immédiates pour mettre fin aux attaques de civils en punissant ceux responsables pour les atrocités comme celles de Solenzo ».

« Des familles entières » de ressortissants peuls ont été tués dans la zone de Solenzo, entre le 10 et le 11 mars, ont confirmé des témoins qui accusent des soldats du 18e BiR (Brigade d’intervention rapide) et des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des milices civiles.

 Régulièrement, les membres de la communauté peule sont régulièrement stigmatisée dans les pays du Sahel. Ils sont assimilés aux djihadistes dont certains responsables sont issus de cette communauté.

Human Rights Watch a dénombré 58 corps dans les vidéos. Cependant, l’ONG estime que le bilan pourrait être plus lourd, car des cadavres sont empilés les uns sur les autres.

Réponse du Premier ministre    burkinabè, Jean-Emmanuel Ouédraogo « ce sont des actions de manipulation qui visent à remettre en cause les actions des forces combattantes. De grandes opérations de lutte contre le terrorisme sont actuellement en cours. Le rouleau compresseur de l’armée est en train d’écraser l’ennemi dans ces zones ».

Transition à la peine et impasse idéologique

A​u plan institutionnel, la tran​sition n’en est plus une et tout semble confirmer que le pouvoir actuel est parti pour s’éterniser aux affaires comme à l’époque des partis uniques d’inspiration stalinienne.

À l’occasion « d’assises natio​nales » (24-25 mai 2024) dont les résolutions étaient connues d’avance comme dans ces réunions du politburo du parti communiste soviétique, il a été décidé de prolonger la transition en cours de cinq ans. Il s’agit sans exagération d’un coup d’Etat dans le coup d’Etat. Ce bricolage institutionnel prête le flanc à ceux qui estiment que cette fuite en avant manifeste est la conséquence d’une impréparation idéologique du nouveau maître de Ouagadougou lorsqu’il arrive aux affaires.

Dans cette même veine, comme d’ailleurs ses pairs de ​ l​a Confédération des Etats du Sa​hel (AES) et au-delà en Afrique, le capitaine Ibrahim Traoré a su se servir de la tarte à la crème idéologique du panafricanisme qui semble être devenu le credo de ces nombreux hommes politiques en Afrique qui tentent ainsi, de camoufler le vide conceptuel et idéologique de ce qui leur tient lieu de projet politique.

Au fur et à mesure que le temps s’égrène et que les Burkinabè s’’impatient de ne pas voir advenir un pays véritablement pacifié et débarrassé de la gangrène terroriste, il est loisible de constater qu’à l’exaltation révolutionnaire des premiers jours, a succédé dans les esprits une perplexité rampante et diffuse, voire le sentiment d’une ​impasse idéologique d’une prise de pouvoir qui a posteriori, semble plutôt avoir été une révolution de palais.

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