Lesnouvellesdafriquer.info : comment réagissez-vous à la décision du gouvernement tchadien de rompre les accords de coopération militaire avec la France ?
Djoret Biaka Tedang : La décision du 28 novembre 2024, annonçant la rupture des accords de coopération militaire avec la France, s’inscrit dans un contexte marqué par une posture ambivalente de Mahamat Idriss Deby Itno envers la France depuis sa prise de pouvoir et son adoubement par la France après la mort non encore élucidée d’Idriss Deby Itno. Ce choix intervient après des attaques meurtrières dans la région du lac Tchad, qui ont révélé des enjeux stratégiques et sécuritaires pressants pour le pays. La décision, annoncée symboliquement le jour de la Proclamation de la République, est perçue comme une affirmation de souveraineté. Elle appelle cependant à être suivie d’actions concrètes, notamment le démantèlement des bases militaires françaises et la modernisation de l’armée nationale pour répondre aux défis sécuritaires actuels et futurs.
Cette rupture ouvre des perspectives prometteuses, telles que l’adhésion à l’Alliance des États du Sahel (AES) et la possibilité de coopérations plus équilibrées avec de nouveaux partenaires comme les BRICS. Toutefois, les défis sont nombreux pour Mahamat Idriss Deby Itno, qui doit s’entourer de personnalités compétentes et partageant une vision panafricaniste claire. Il est impératif d’ancrer la souveraineté dans le quotidien des Tchadiens en œuvrant pour le développement inclusif et durable, tout en répondant aux aspirations d’une jeunesse en quête d’opportunités et d’une diaspora soucieuse de voir le Tchad évoluer positivement.
Pour moi, en tant que coordonnateur de l’Alliance panafricaine UMOJA Toumai (APU-T), cette décision est une étape clé vers la réalisation de la vision panafricaniste et du progrès. Elle permet, par exemple, de lever des contraintes majeures comme la présence de bases militaires françaises qui entravait des projets de transformation de N’Djamena, dont un nouvel aéroport moderne et un quartier d’affaires sur le périmètre de l’actuel aéroport de N’Djamena. Enfin, cette nouvelle dynamique politique coïncide avec la préparation des élections législatives, offrant l’opportunité de construire une force politique panafricaine au Parlement pour soutenir cette vision ambitieuse et attaquer les faiblesses structurelles du pays avec des moyens démocratiques.
Lesnouvellesdafrique.info : Vous êtes candidat aux élections législatives de fin décembre au Tchad pour le compte de la diaspora africaine. Que proposerez-vous pour améliorer le rayonnement de la diplomatie tchadienne ?
Djoret Biaka Tedang : Nous avons développé une vision claire et ambitieuse pour transformer la diplomatie tchadienne dans le livre blanc de la diaspora intitulé « Pour un Tchad nouveau ». Il est important que notre diplomatie mette un accent particulier sur une approche plus humaine et inclusive plutôt que seulement des relations d’État à État ou de production de services de base comme la carte consulaire. Même pour les services de base, les Tchadiens souffrent lorsqu’ils doivent renouveler leur passeport. J’ai fait le tour de l’Afrique, j’ai pratiqué la diaspora depuis près de 30 ans maintenant et j’y ai vu beaucoup de réussite, mais j’ai aussi côtoyé beaucoup de souffrance que l’on peut réduire par une diplomatie plus humaine orientée vers la diaspora. Aujourd’hui, bien que le Ministère des Affaires étrangères inclut officiellement la gestion de la diaspora dans ses prérogatives, cette mission reste encore largement théorique. Elle ne se reflète pas suffisamment dans le fonctionnement et les moyens des représentations diplomatiques et consulaires.
Nous devons travailler à l’affectation de ressources humaines qualifiées, formées à la gestion des communautés diasporiques, dans nos ambassades et consulats. Nous devons également faire en sorte que l’ouverture ou l’érection de représentations diplomatiques se base non seulement sur les relations politiques et stratégiques avec un État, mais aussi sur la densité des communautés tchadiennes sur place.
Un exemple frappant est la situation des milliers de Tchadiens vivant au Togo, qui n’ont même pas un consul honoraire, alors qu’il existe des candidats engagés. Cette absence est d’autant plus regrettable que les relations commerciales avec ce pays sont significatives. Une diplomatie plus proactive, au service des Tchadiens de l’étranger, permettrait non seulement de renforcer les liens avec nos compatriotes, mais aussi de mettre en valeur les talents dont regorge la diaspora. C’est un peu tous ces défis qui m’ont interpellé et que j’entends relever en tant que député de la diaspora.
Lesnouvellesdafrique.info : le lycée Sacré-Cœur, où vous avez étudié, célèbre ce 9 décembre, le 60e anniversaire de sa création. Quels sont vos messages à cette occasion ?
Djoret Biaka Tedang : J’ai eu l’opportunité de participer à l’une des premières réunions de préparation de ce 60e anniversaire, et cela m’a replongé dans de nombreux souvenirs. J’ai été un acteur de l’organisation du 45e anniversaire, preuve que le Lycée Sacré-Cœur, qui a forgé une grande partie de ce que nous sommes, occupe une place centrale dans nos cœurs et nos parcours.
Cette célébration est une opportunité unique de renforcer le lien entre les anciens élèves et l’avenir de notre lycée. Cet anniversaire doit marquer une rupture avec l’indifférence ou la distance de certains anciens avec leur lycée. À l’occasion de ces 60 ans, nous pensons que les anciens devraient non seulement contribuer à l’organisation de festivités dignes de cet établissement emblématique, mais aussi laisser des marques durables.
Je crois fermement que ce 60e anniversaire doit être l’occasion pour le Lycée Sacré-Cœur de prendre un tournant décisif vers la modernité. Les anciens élèves ont le potentiel d’apporter les ressources nécessaires pour cela. Offrir des cadeaux significatifs, au-delà du 9 décembre 2024, est un moyen concret de soutenir l’établissement dans sa modernisation. Par exemple, le projet d’extension des capacités d’accueil du lycée, en attente depuis trop longtemps, mérite d’être relancé. De même, la mise en place d’une bibliothèque numérique, un projet que nous portons, pourrait renforcer la position du Lycée comme un exemple d’excellence éducative au Tchad. J’appelle tous les anciens élèves à répondre présents aux appels lancés pour concrétiser ces initiatives et bien d’autres. Nous avons le potentiel pour continuer à faire la différence, organisons-nous en conséquence pour honorer ce patrimoine qui nous unit tous. Cet appel est lancé à tous les anciens de toutes les générations et qui sont à tous les niveaux, y compris au Président Mahamat Idriss Deby qui est aussi un ancien du lycée.
Propos recueillis par Eric Topona.