Tchad: « Nous refusons de cautionner la machine en fraude en marche. » (Pr Avocksouma Djona Atchénémou)

Le président du parti Les Démocrates, le professeur Avocksouma Djona Atchénémou explique aux nouvellesdafrique.info les raisons pour lesquelles son parti a décidé de boycotter les élections législatives, locales et provinciales de décembre 2024. Sans rancune, l’ancien ministre et écrivain nous parle aussi des relations qu’il entretient avec l’ancien Premier ministre, Saleh Kebzabo, l’actuel médiateur de la République et dirigeant de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR).

 Lesnouvellesdafrique.info : Pr Avocksouma Djona Atchénémou, bonjour.

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : Bonjour. Je tiens tout d’abord à vous remercier pour l’intérêt que vous avez manifesté à ma modeste personne.

Lesnouvellesdafrique.info : Du 19 au 29 décembre 2024, les Tchadiens en âge de voter sont appelés aux urnes dans le cadre des élections communales, législatives et provinciales. La tenue de ces élections a été confirmée ce vendredi (18 octobre) par le président de la République, Mahamat Idriss Déby Itno au cours d’une communication qu’il a faite à l’endroit des acteurs de la classe politique. Or, le 12 octobre, votre formation politique, Les Démocrates, tout comme d’autres, a annoncé le boycott de ces élections. Maintenez-vousvotre décision ? Si oui, pourquoi ?

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : Nous avions suivi avec attention la déclaration de monsieur Mahamat Idriss Déby Itno à l’endroit des responsables des partis politiques de la mouvance présidentielle. Personnellement, je croyais que ce genre d’annonce arrêtant définitivement les dates de votes aurait pu être faite par le président de l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), organe chargé de gestion des élections. Mais il a estimé qu’il était de son droit de le faire. J’en prends acte. De sa part, je ne suis nullement étonné puisqu’il a toujours été juge et partie dans tous les processus qui ont débuté depuis avril 2021. Nous avions dénoncé cette attitude, qui a été confortée par le président français Emmanuel Macron à l’occasion des obsèques du défunt maréchal Déby, ce qui a d’ailleurs fait, depuis, des émules en Afrique de l’Ouest ; les deux poids deux mesures que nous traînons désormais comme un boulet indécrottable.

Ceci dit, nous avions appelé, le 12 octobre dernier, au boycott – un de plus – si les conditions minimales n’étaient pas réunies. Je rappelle tout simplement qu’il n’y a eu aucun consensus politique sur cette question fondamentale que sont les législatives, les communales, les sénatoriales, pas plus qu’il n’y en a eu sur rien qui puisse concerner la vie des citoyens de ce pays martyr. Le 21 septembre dernier, nous avions déjà posé les conditions suivantes que nous avions rappelées le 12 octobre, à savoir :

– publication dans les circonscriptions de la liste de tous les bureaux de vote accessibles, référencés, identifiables et non délocalisables ;

–  reconnaissance et admission obligatoire dans les bureaux de vote des délégués des candidats avec tous les droits prévus ;

– dépouillement physique, réel et public ;

– affichage des résultats devant les bureaux de vote et publication des résultats locaux dans les circonscriptions électorales (chefs-lieux des départements et provinces) ;

– remise absolue des copies des PV remplis d’une seule main et conjointement signés, aux délégués des candidats ;

– accréditation absolue des observateurs neutres.

 Nous avions aussi estimé que les votes pouvaient être valablement organisés après les fêtes religieuses de fin d’année et en considération des inondations qui sont en cours. Comme vous pouvez le constater, ce sont des conditions que n’importe quelle démocratie accepterait sans se poser de questions. Mais, le 18 octobre, le chef de l’ANGE a décidé que les dates restent fixées du 19 au 29 décembre 2024. Qu’il ne changerait pas d’un iota. Comme ils disent ici : « Les chiens peuvent aboyer, mais la caravane passera de toute façon ». Pour une fois de plus, la caravane est restée sourde. Dans ces conditions où tout est joué d’avance, nous refusons d’accompagner cette machine à confisquer tous les pouvoirs dans ce pays. Nous n’irons pas au vote.

Lesnouvellesdafrique.info : À quelles conditions accepteriez-vous de reconsidérer votre décision de boycott et de revenir dans le jeu en participant à ces élections de décembre ?

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : C’est maintenant trop tard. Personne n’a cherché à discuter avec nous. Ils ne veulent pas de voix discordantes dans leur grosse machine de fraude et de mauvaise gestion. Le découpage administratif fantaisiste montre bien la volonté manifeste de tout confisquer. La division du Tchad est matérialisée et la cohésion sociale l’est tout autant. Même le médiateur de la République, dont c’est bien le rôle d’intervenir en cas de différend politique, est resté muet et droit dans ses bottes. Après tout, il n’est pas neutre dans ce processus de “dynastisation” du pouvoir des Déby.

Lesnouvellesdafrique.info : Lors de la convention de son parti, organisée début octobre à N’Djaména, Succès Masra a laissé la porte ouverte à une forme de collaboration avec le pouvoir, dans le cadre de ce qu’il nomme un “consensus bipartisan”. Quelle est votre réaction ?

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : Il n’a jamais changé. Copilotage ou consensus bipartisan, ça revient au même. De toute façon, ça ne concerne que lui. Il est responsable de ce qu’il fait, et ce, en accord avec ceux qui le téléguident pour maintenir le Tchad dans ce trou noir. Pour ma part, je suis vraiment triste en ce jour anniversaire du 20 octobre qui a vu mourir tant d’innocentes personnes. Du sang qui ne fait que le bonheur des amnistiés, quels qu’ils soient.

L’ancien Premier ministre de transition, le président des Transformateurs, est responsable de ses actes. Qu’il décide d’accompagner une fois de plus le système actuel n’engage que lui-même.  Nous nous battons pour la République et pour des institutions inclusives et non pour quelques strapontins qui n’arrangent pas l’avenir de ce pays et la survie de notre population.

 Lesnouvellesdafrique.info : En décidant de boycotter ces élections, en dépit du fait que vos exigences en matière de transparence n’ont pas été entendues, ne risquez-vous pas de vous mettre en marge de la vie politique tchadienne, puisque vous n’aurez aucun élu et que donc vous serez inaudible ?

 Pr Avocksouma Djona Atchénémou : Il faut être logique avec soi-même. On ne peut pas avoir boycotté le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), le soi-disant référendum qui a été rejeté par plus de 94 % de la population, et la présidentielle et aller sans condition à cette parodie d’élection.

En politique, les voix sont multiples pour s’exprimer. En boycottant, nous ne le faisons pas de gaieté de cœur. Ce n’est pas la fin du monde. La plupart des députés seront décrétés et ils ne feront absolument rien qui sorte le Tchad de sa place actuelle qui est toujours d’être le dernier du monde. L’actuel Conseil national de Transition (CNT) ne sera pas transformé en une nouvelle Assemblée nationale. Aucune innovation, à mon avis. Ils ne feront que du neuf avec du vieux. Mais il se trouvera toujours des opportunités pour lutter. De toute façon, aller aux élections futures, alors que les dés sont pipés d’avance, ne contribuera qu’à nous ridiculiser.

Lesnouvellesdafrique.info : Malgré le boycott de l’élection présidentielle du 6 mai, Mahamat Idriss Déby Itno a été élu dès le premier tour pour un mandat de cinq ans. Est-ce que ce n’est pas un aveu d’échec de l’opposition tchadienne ?

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : Il a choisi ceux qui devaient l’accompagner après avoir massacré certains. La présidentielle concerne un individu face à son peuple.

Quel a été le bilan du MPS (NDLR, Mouvement patriotique du Salut au pouvoir) durant ces trente dernières années pour que son candidat puisse être élu dès le premier tour ? Pourquoi, alors que les bulletins ne sont pas encore rentrés, les résultats ont-ils été proclamés ? Qui a observé cette élection entachée d’irrégularités et surtout du sang des Tchadiens. Les tirs de joie sont-ils la preuve que le candidat de la dynastie a vraiment gagné l’élection en question ? Dans ce sens, quelle chance peut avoir une opposition totalement muselée qui marche avec des pistolets à la tempe ? Diomaye et Sonko auraient été des Tchadiens qu’ils ne seraient jamais sortis vivants de prison pour arracher le pouvoir d’État. Au Sénégal, les institutions ont été fortes et inclusives, alors qu’au Tchad c’est bien le contraire. La dictature a de beaux jours devant elle.

Lesnouvellesdafrique.info : Après le décès du président Idriss Déby Itno, que vous avez servi plusieurs fois en tant que ministre, vous aviez, en votre qualité de secrétaire national administratif adjoint de l’UNDR (le parti de l’ancien Premier ministre et actuel médiateur de la République), Saleh Kebzabo, désapprouvé sur les réseaux sociaux la décision de votre ancien parti de participer à la Transition. Vous avez donc été exclu pour “activités fractionnistes”. Quelle est votre version des faits ?

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : Je ne sais pas ce que ces “activités fractionnistes” signifient concrètement. Je n’ai jamais appelé mes anciens camarades à me suivre.

Je ne m’en prends même pas à quiconque dans ce parti. Quand il a été question de partir, je suis parti. Je suis mon chemin. Je me suis battu un moment au sein de l’UNDR pour faire en sorte que le Tchad, après la Transition, soit mieux géré que durant le règne du défunt dictateur. À ma grande surprise, j’ai constaté que le président de l’UNDR a choisi d’accompagner le fils de l’autre, sous le prétexte qu’il était fatigué de la lutte politique. Aujourd’hui, il savoure avec les autres les délices du pouvoir et c’est tant mieux pour lui. Il est désormais de l’autre côté de la rivière.

Je ne lui en veux pas. Je suis la voie de ma propre perte et je serai content si tous ces gens attirés par l’appât du gain peuvent mieux faire que de laisser le peuple tchadien dans la misère.

Lesnouvellesdafrique.info : Quelles sont vos relations personnelles avec Saleh Kebzabo, le président de votre ancien parti ?

Pr Avocksouma Djona Atchénémou : C’est un grand frère pour qui j’avais de l’admiration. Il est chez lui, je suis chez moi. Nos chemins ne se croisent que rarement. Je lui souhaite longue vie.

 

Propos recueillis par Papa Barry

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