Au Sénégal, les réseaux sociaux, un terrain fertile pour les « agro-influenceurs »

Accroupi à côté d’une pile de mangues fraichement cueillies, l’agriculteur sénégalais Mame Abdou Diop tourne une vidéo TikTok, en espérant qu’elle fera un carton auprès de ses abonnés sur les réseaux sociaux.

Ce trentenaire fait partie d’une nouvelle vague d’entrepreneurs agricoles en Afrique de l’Ouest qui utilisent les plateformes en ligne pour stimuler leurs ventes, partager leurs connaissances et tracer leur sillon dans un secteur économique clef.

Depuis 2020, il dirige une petite entreprise qui gère des parcelles de terre et cultive une gamme de produits, de la pastèque aux mangues en passant par les oignons et les haricots.
Mame Abdou assure que ses bénéfices ont grimpé en flèche et sa clientèle a plus que doublé depuis qu’il a commencé à promouvoir son activité sur ses comptes TikTok et Instagram où il compte respectivement environ 14.000 et 2.000 abonnés.

« J’avais l’habitude de faire des vidéos pour m’amuser, sans me douter de l’impact qu’elles auraient une fois diffusées sur les réseaux sociaux », explique M. Diop, dans l’un de ses champs à Gadiaga, à une soixantaine de kilomètres de Dakar.

Mais il s’est vite rendu compte qu’elles étaient « un très bon marketing » pour séduire de nouveaux clients.

L’agriculture représente environ 16 % du PIB du Sénégal mais souffre d’une sous-performance chronique.

Le nouveau gouvernement a fait de la souveraineté alimentaire l’une de ses priorités, dans le but notamment de créer davantage d’emplois pour les jeunes confrontés au chômage.

Le Sénégal importe encore près de 70 % de sa nourriture, bien que 60 % de la population travaille dans l’agriculture, selon le Fonds international de développement agricole (FIDA).

La productivité relativement faible du secteur est due à plusieurs facteurs : manque d’infrastructures de qualité et de soutien technique, mauvaise organisation des chaînes de valeur et de la transformation des récoltes…

Pour la jeune population sénégalaise, de plus en plus urbaine et technophile, les plateformes numériques offrent une opportunité d’innovation.
M. Diop se filme régulièrement et ajoute son numéro de téléphone sur ses comptes pour faire la publicité de ses mangues.

La vente via les réseaux sociaux lui permet de rationaliser la chaîne de production en contournant les intermédiaires coûteux ou inefficaces, et donc de réduire ses prix, explique-t-il.
Pape N’Diaye, vendeur de jus de fruits à Dakar de 26 ans, a par exemple connu M. Diop en parcourant son compte Instagram. « J’ai vu la qualité. Alors je l’ai contacté et il a livré dans les temps », se félicite-t-il.

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Une nouvelle source de revenus

Les réseaux sociaux peuvent également créer de nouvelles sources de revenus pour les producteurs en leur permettant de partager et de monnayer leur expertise technique, dit Hélène Smertnik, responsable dans le cabinet de recherche Caribou Digital qui a étudié l’utilisation des médias sociaux dans l’agriculture sénégalaise.

A l’aide d’un bâton, Nogaye Sène, 27 ans, plante une rangée de piments dans une ferme. Elle raconte comment sa jeune entreprise de conseil agricole a décollé depuis qu’elle a commencé à promouvoir son activité sur les réseaux sociaux en septembre 2023.

Les clients « me contactent directement sur Instagram. Je visite d’abord leurs champs et ensuite je les aide à produire », dit-elle.

Formée en production agricole, Nogaye Sène, qui se décrit comme une agri-influenceuse, gère des champs pour une douzaine de clients. Sur Instagram où elle compte désormais plus de 3.000 abonnés, Nogaye partage des vidéos dans lesquelles on la voit donner des conseils sur la façon de cultiver, comment installer des systèmes d’irrigation ou gérer l’agencement des champs.

C’est « un terrain fertile pour les Sénégalais, car il y a ce mélange de jeunes qui sont de plus en plus en ligne et qui utilisent les médias sociaux à la fois pour le divertissement et le commerce », analyse Mme Smertnik.

D’abord, la capitale Dakar

Elle souligne toutefois que cette tendance n’en est qu’à ses débuts et qu’elle reste principalement limitée aux individus urbains travaillant dans des chaînes de valeur à plus petite échelle.

Adjaratou Kosse Faye, influenceuse agricole et entrepreneuse en horticulture, est la fondatrice d’une plateforme d’échanges entre producteurs, y compris dans les zones rurales.

Ce qui a commencé comme un petit forum sur la plateforme de médias sociaux Clubhouse pendant la pandémie de Covid est maintenant devenu un groupe WhatsApp avec plus de 50 participants.

« Nous avons des agriculteurs de Côte d’Ivoire, du Burkina Faso, de Gambie et du Mali », assure Mme Faye, se réjouissant que le groupe, malgré les distances, permette un partage des connaissances à l’échelle panafricaine.

« Je trouve merveilleux que nous puissions nous faire confiance et que les médias sociaux nous aient permis de créer ce réseau », dit-elle.

Avec Afp

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