La France perd de plus en plus du terrain en Afrique de l’ouest dans le très stratégique marché des ressources naturelles. Au Niger, la junte au pouvoir a renforcé ses liens avec Moscou au détriment de Paris qui risque de voir Orano (ex-Areva) perdre ses actifs d’uranium détenus au Niger.
Selon Bloomberg qui cite différentes sources à Moscou en Russie et au siège de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne en Autriche, la société nucléaire d’État russe Rosatom cherche à prendre le contrôle d’actifs d’uranium détenus actuellement par le français Orano au Niger.
Orano, ex-Areva, détient des intérêts majoritaires dans les mines Somaïr, toujours en exploitation, et Cominak, une mine fermée depuis plus de deux ans. La société française contrôle aussi le projet Imouraren, dont le développement a été suspendu en 2015 en raison de la faiblesse des prix de l’uranium. La production d’Orano représente entre 15 et 17 % des besoins français en uranium, et environ un quart de celui des pays de l’UE.
Si la perte par Orano de ses actifs au Niger se confirme, elle constituerait donc un risque pour la production d’électricité européenne, notamment pour la France dont 65 % de la production électrique provient du nucléaire. Cela illustrerait aussi une nouvelle fois le renforcement des liens entre la Russie et le Niger au détriment de l’ancien colonisateur, la France.
Depuis le putsch de juillet 2023, les relations diplomatiques entre Niamey et Paris se sont en effet rapidement dégradées, aboutissant au départ des troupes françaises du Niger. Pendant ce temps, la Russie a fourni des armes et des instructeurs à Niamey, et a accueilli en mars dernier une délégation nigérienne au forum Atomexpo, événement phare de l’industrie nucléaire russe, à Sotchi.
La crise nigérienne est « le dernier soubresaut de la longue agonie du modèle français de décolonisation incomplète », assure ainsi l’intellectuel Achille Mbembe. Pour le journaliste-écrivain Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexion sur le Sahel, « la colère qui s’exprime aujourd’hui dans les rues de Niamey ne peut être considérée comme épidermique. Le sentiment de rejet vient de loin et le récent comportement de la France a réveillé une impression de paternalisme et d’arrogance coloniale », souligne-t-il dans un entretien au Média.
Par ailleurs, si le Niger a largement contribué au développement de la puissance nucléaire de la France, on ne peut pas dire que cela soit réciproque. 15 % de l’uranium nécessaire aux centrales françaises provient encore du Niger mais 85 % des Nigériens n’ont toujours pas accès à l’électricité. Selon Raphaël Grandvaud, seulement 12 % de la valeur de l’uranium exporté est revenu à l’État nigérien. Pour Gabrielle Hecht, cette distorsion incarne « la perpétuation du privilège colonial ».
En 2013, dans un rapport sur les politiques extractivistes, l’association Oxfam a d’ailleurs montré comment Orano, ex-Areva, profitait de la situation. L’uranium nigérien représentait près de 30 % de la production du groupe français mais le Niger percevait seulement 7 % des versements d’Areva aux pays producteurs, notaient-ils. L’entreprise a su négocier des réductions d’impôt qui lui ont fait gagner plusieurs dizaines de millions d’euros. Sans compter la gratuité dont l’entreprise bénéficie pour prélever des millions de litres d’eau dans la nappe phréatique d’Agadez en plein désert.
En réalité, le pouvoir d’Orano au Niger est colossal. Au plus près des instances dirigeantes, l’entreprise est même suspectée de « corruption ». En 2014, elle offrait indirectement un avion présidentiel au chef de l’État nigérien Issoufou, ancien d’Areva. Dans le cadre de l’affaire Uraniumgate, révélée en 2017, on soupçonne aussi que certaines élites nigériennes aient pu bénéficier de rétrocommissions et de pots-de-vin. Issoufou est toujours dans le viseur de la justice. Il aurait touché pas moins de 3 millions de dollars.