Tribune: De l’amnistie en politique

Le Tchad se rapproche inéluctablement du référendum constitutionnel du 17 décembre 2023.

Cette consultation référendaire semblait compromise, il y a encore quelques jours. La campagne en vue de ce scrutin majeur (avant le retour à l’ordre constitutionnel prévu à fin 2024) a été lancée en grande pompe le samedi 25 novembre 2023 au Palais des Arts et de la Culture de N’Djaména, par le président de la coalition, Saleh Kebzabo, le Premier ministre d’Union nationale, favorable au “Oui” à ce référendum.

En effet, le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), qui avait pourtant vocation à accorder les Tchadiens sur les fondements de la prochaine République, a été suivi par une tragédie qui a bien entaillé le tissu sociopolitique national déjà fort mis à mal par les crises précédentes : la sanglante répression du 20 octobre 2022.

Ces événements dramatiques ont creusé plus profondément le fossé de la discorde entre Tchadiens, avec son lot d’aigreurs et de passions vengeresses.

C’est dans ce contexte vicié et délétère que la Transition post-dialogue a déployé sa feuille de route, notamment sur le terrain de la mise en place de nouvelles institutions, mais surtout, de l’architecture de la prochaine République.

Toutefois, et conformément aux résolutions du DNIS, c’est la nouvelle constitution, adoptée par référendum, qui signera l’acte fondateur de la nouvelle République. Mais, pour les acteurs de la scène politique nationale comme pour ceux qui observent le Tchad de l’extérieur ou l’accompagnent dans ce processus de refondation sociétale et politique, une préoccupation revenait sans cesse : dans quel contexte les Tchadiens se prononceront-ils sur ce nouveau projet de constitution ? Cette consultation aura-t-elle l’efficacité thérapeutique attendue ? Et si le Tchad, comme c’est malheureusement le cas depuis son indépendance, le 11 août 1960, n’avait pas laborieusement roulé la pierre, comme Sisyphe, jusqu’au sommet de la montagne, pour la voir retomber une fois de plus dans sa quête incessante de paix et de concorde entre ses filles et ses fils ?

De ce diagnostic qui s’est imposé à tous, il est apparu qu’il fallait trouver promptement une issue à ce blocage politique. Mais laquelle ? Le Dialogue national inclusif et souverain, malgré toutes les critiques formulées par les uns et les autres, était la seule chance offerte aux Tchadiens, afin qu’ils puissent laver leur linge sale en famille.

Aussi, après la tragédie du 20 octobre 2022, l’amnistie générale est-elle apparue comme la seule voie du consensus entre Tchadiens pour espérer fumer le calumet de la paix et baliser le chemin en vue d’une participation optimale des Tchadiens au prochain référendum constitutionnel.

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Dans son acception étymologique, l’amnistie « est un acte du pouvoir législatif, par lequel sont suspendues des sanctions, l’effacement des manquements des uns et des autres envers la loi », afin de décrisper la vie politique et repartir sur de nouvelles bases, avec, comme préoccupation, le pardon entre les uns et les autres.

L’amnistie est l’ultime voie qui permet à des citoyens de refaire société, parce qu’ils ont conscience que non seulement les torts sont partagés, mais aussi, la justice transitionnelle n’est pas capable de faire la paix entre les parties, l’horizon ultime de toute société consensuelle.

Cependant, l’amnistie n’a pas vocation à rendre les protagonistes amnésiques à un différend, mais à créer les conditions de la tolérance pour faire à nouveau société, si toutefois il nous est permis de faire référence aux travaux du philosophe Paul Ricœur dans son ouvrage La Mémoire, l’Histoire, L’oubli.

C’est dans cet esprit que fut créée, en Afrique du Sud post apartheid, la commission « vérité et réconciliation », afin que naisse la nouvelle « nation arc-en-ciel ». L’amnistie part de cette vérité historique que c’est avec les ennemis d’hier que l’on fait la paix d’aujourd’hui et de demain.

D’ailleurs, les récents travaux du Dialogue national inclusif et souverain (août-octobre 2022) ont recommandé la mise en place d’une commission vérité, réconciliation et pardon, afin de panser les plaies encore béantes dans la société tchadienne. En avril dernier, le ministre de la Réconciliation nationale et de la Concertation sociale, Abderamane Koulamallah, a officiellement annoncé la mise en place de cette structure qui « aura pour charge de faire comprendre aux Tchadiens les problèmes qui ont mis à mal la cohésion sociale depuis des années et d’en proposer des solutions idoines ».

En revanche, il ne faut pas se voiler la face, toute loi d’amnistie générale, en tout lieu et de tout temps, n’a jamais été consensuelle. Comment apaiser les rancœurs des mécontents et des irréductibles qui crient vengeance ? C’est en créant un cadre sociétal, pour que n’adviennent plus les épouvantables conditions qui ont rendu possibles les drames d’hier.

Voici toute la responsabilité de ceux qui seront responsables de la conduite de la nouvelle République du Tchad.

Auteur : Eric Topona

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