« Le Burundi va mourir et tout le monde s’en fout »

Les pénuries s’accroissent et la peur s’est emparée d’une population qui n’hésite plus à vendre tous ses biens pour fuir le pays.

Le vendredi 6 septembre, le président burundais Évariste Ndayishimiye est apparu tout sourire au côté du président chinois Xi Jinping quelques heures avant la conclusion du sommet Chine-Afrique qui s’est tenu pendant trois jours à Pékin.

Après un entretien bilatéral, le président chinois annonçait le renforcement des relations entre les deux pays et “le passage au rang de partenariat stratégique global”, selon les médias chinois.

“ Tout le monde a peur”

Ndayishimiye a obtenu ce qu’il était venu chercher en Chine : des promesses. Rien n’est chiffré mais il va pouvoir rentrer au pays et tenir un de ses discours sur ses pseudos réussites obtenues en mendiant et en gageant notre sous-sol ou nos sols. Mais les promesses chinoises, ce n’est pas du cash mais des engagements pour des investissements dans les infrastructures, dans l’agriculture ou dans l’exportation du café”, explique Pierre N, enseignant burundais qui souhaite conserver l’anonymat, comme les autres interlocuteurs restés au pays “parce qu’ici, au Burundi, les sanctions sont terribles pour ceux qui osent critiquer le régime. Pas une semaine ne passe à Bujumbura sans qu’il y ait une disparition de quelqu’un qui se serait montré critique”. “Le pouvoir n’a pas besoin de preuve. La rumeur tue et la délation est devenue un sport national parce que tout le monde a peur”, enchaîne un fonctionnaire de l’ancienne capitale.

La loi du silence est devenue la seule règle appliquée par tous les Burundais”, confirme Maître Armel Niyongere, secrétaire général de l’ONG SOS Torture/Burundi qui vit désormais en exil. “Même les étrangers qui vivent ici, y compris les diplomates, se murent dans le silence. ils sont tétanisés”, confie un autre habitant de Bujumbura.

Quelle politique d’ouverture ?

On va dire qu’ils sont très compréhensifs à l’égard du régime et de ses turpitudes”, poursuit Me Niyongere qui rappelle le cas de la libération de la journaliste Floriane Irangabiye, arrêtée en août 2022 et condamnée à dix ans de prison en janvier 2023 pour “atteinte à la sécurité intérieure de l’État” suite à ses émissions radio, réalisées depuis le Rwanda voisin, dans lesquelles elle osait critiquer le régime. Elle a été graciée le 14 juillet dernier par le président Ndayishimiye. “Son arrestation et sa détention étaient illégales. Elle n’avait rien à faire en prison. Il n’y avait pas à féliciter le pouvoir pour cette remise en liberté et pourtant tous les diplomates ont voulu y voir un geste des autorités”, poursuit Me Niyongere. Sarah Jackson, la directrice régionale d’Amnesty international confirme dans un communiqué : “Si nous nous réjouissons de la libération de Floriane Irangabiye, elle n’aurait cependant jamais dû passer une seule nuit derrière les barreaux simplement pour avoir exercé ses droits humains”. “En fait, tout le monde ferme les yeux sur les dérives de ce régime. Le Burundi, c’est l’exemple type de la crise oubliée, que personne ne veut voir”, poursuit Me Niyongere qui se souvient de l’arrivée au pouvoir du général Ndayishimiye à la mort de son prédécesseur Pierre Nkurunziza en 2020. “Parce qu’on osait se montrer critique, certains Européens ont menacé de nous classer comme mouvement radical. Aujourd’hui, ils sont obligés de constater que nous avions raison, que le discours d’ouverture du nouvel homme fort ne s’est jamais concrétisé. Bien au contraire, le pays vit aujourd’hui sous une chappe de plomb insupportable pour tous les Burundais.”

La “politique des yeux fermés” agace nombre de Bujumburiens qui, derrière les murs de leur maison, à l’abri des oreilles indiscrètes lâchent : “le fait qu’un calme relatif soit revenu dans le pays, qu’il n’y ait plus de coups de feu, suffit aux diplomates. La seule chose qui les embête c’est la pénurie d’essence qui les touche aussi.” Une pénurie qui dure depuis des mois et qui ne fait que s’accentuer et provoque une inflation généralisée. “On peut faire quatre jours, parfois plus sans carburant”, explique un de nos interlocuteurs. “Cette rareté de l’essence et du diesel, le marché noir auquel sont obligés de recourir certains chauffeurs font inévitablement grimper le prix des denrées qui arrivent ici. Le sucre est devenu introuvable, le sel est hors de prix comme certains fruits et légumes. Aujourd’hui, face au Mpox qui concerne de plus en plus de monde, cette pénurie généralisée, qui touche aussi les produits pharmaceutiques, devient mortelle. Les pharmacies sont vides, les médicaments aux origines douteuses s’achètent à la sauvette, sur des échoppes improvisées. C’est tout aussi mortel”.

Quelques jours avant de s’envoler pour la Chine, le président de la république a annoncé l’arrivée de trois navires pétroliers pour mettre un terme à la pénurie d’essence. Ils sont toujours attendus. “Sans devise, comment voulez-vous payer ces pétroliers ?”, s’interroge un enseignant burundais qui explique qu’il fait 5 heures de marche tous les jours pour son aller-retour jusqu’à son école. “Et nous sommes des milliers dans ce cas. Les enfants viennent mais arrivent exténués et le plus souvent le vendre vide. On ne peut pas apprendre dans ces conditions. Le pouvoir sait que ces navires n’existent pas. Nous le savons aussi mais on ne peut s’empêcher d’y croire au moins quelques jours. L’espoir, c’est tout ce qui nous reste”.

Combines et mégestion

La crise économique que traverse le Burundi depuis des années ne fait que s’accentuer jour après jour. “Face à cette situation, de nombreux Burundais n’hésitent plus à vendre tous leurs biens pour tenter de s’exiler”, explique Me Niyongere. “On est loin du Burundi présenté comme un paradis sur terre par notre président”, ajoute un autre avocat burundais. Pour expliquer cette crise, une énumération revient comme une antienne, “la corruption, la mégestion et les combines dans le premier cercle du pouvoir” issu des années de lutte armée. “Ce sont des maquisards qui se partagent aujourd’hui le pouvoir. Ils n’ont aucune formation et s’entourent d’une clique inculte. Un professeur d’université de Bujumbura rappelait récemment dans une interview que “le pouvoir actuel se fout des compétences scientifiques ou académiques. Le Président de la République aussi. À un moment donné, il a même humilié des diplômés en disant qu’on n’a pas besoin d’être diplômé pour récolter plus de maïs”. On comprend mieux pourquoi on s’enfonce dans une crise inextricable”.

À l’index de perception de la corruption de l’ONG Transparency international, le Burundi occupe le 162e rang sur 180 État. “Nous sommes considérés comme l’un des pays les pauvres du monde mais cette pauvreté ne concerne pas la mafia à la tête de l’État. Nous pensions avoir atteint des sommets sous la présidence de Pierre Nkurunziza mais son successeur le surclasse”, poursuit notre fonctionnaire. “Et dans ce système de corruption, son épouse, Angeline Ndayishimiye occupe une place de plus en plus centrale”, poursuit-il en évoquant “un régime monarchique”. “Le rôle de première dame prend de plus en plus les allures d’une institution de fait sans soubassement légal”, complète Me Niyongere.

Élections à venir

C’est dans ce contexte de crise profonde que se profilent les élections législatives de cette fin de printemps. “Les dates ne sont pas arrêtées mais les Burundais n’attendent rien de ce scrutin qui va se dérouler, vers le mois de mai prochain, sans réelle opposition, dans un pays où il est devenu pratiquement impossible de se déplacer, sans liberté de parole”, continue notre enseignant. “Les Européens ne sont pas chauds pour envoyer une mission d’observation”, explique un juriste, qui poursuit : “Le pouvoir va se perpétuer. Les dérives autoritaires aussi.”

Nos interlocuteurs, tiraillés par la peur, évoquent l’absence de perspective pour leur avenir. Insistent sur leur sentiment d’abandon. “Tout le monde se moque du Burundi. On est trop petit. On a des richesses mais le grand marchandage se passe à l’abri des regards entre le sommet de l’État et quelques grandes sociétés. Il n’y a rien à en attendre pour le petit peuple qui meurt de faim. En interne, aucune voix ne parvient à se faire entendre. Le Burundi va crever et tout le monde s’en fout.”.

Depuis des années, le pays survit grâce à l’aide internationale. Une perfusion officiellement conditionnée aux réformes entreprises par les autorités. En février 2022, l’Union européenne, dans la foulée des États-Unis, a levé sanctions prises en 2016, au plus fort des violences nées de la décision du président de l’époque, Pierre Nkurunziza, de briguer un troisième mandat inconstitutionnel. À l’époque, l’UE et ses pays membres avaient sanctionné le gouvernement burundais notamment pour son rôle dans de graves violations des droits de l’homme. Près de six ans plus tard, officiellement, la levée des sanctions a été prise suite aux “progrès observés dans le pays”, même si l’UE reconnaissait qu’il y avait “encore des défis à relever”. Une décision “inexplicable” pour l’ONG Human Rights Watch qui accusait les États-Unis et l’UE de fermer les yeux devant “la répression brutale”,

L’UE, elle, disait croire au “processus politique pacifique qui a débuté avec les élections générales de mai 2020” qui ont porté au pouvoir Évariste Ndayishimiye, et qui aurait “ouvert une nouvelle fenêtre d’espoir pour la population burundaise”.

Cet “espoir” n’est aujourd’hui plus qu’une lointaine chimère mais l’assistance financière n’est pas remise en cause malgré l’effondrement général de toutes les normes démocratiques sous la houlette d’un pouvoir qui a montré toute l’étendue de son incompétence et de sa cupidité.

Source : La libre Afrique

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