Tribune / Tchad : les horizons de la refondation

Une chronique d’Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle et auteur de Essai pour la refondation du Tchad, Collection Grandes figures d’Afrique (Harmattan, 15 décembre 2021)

Le Tchad est entré dans la dernière ligne droite vers le référendum de décembre 2023 sur la nouvelle constitution, qui va définir notamment la nouvelle forme de l’État. Cette échéance référendaire n’est pas une première dans l’histoire politique du Tchad post-démocratique. Depuis la vague des processus démocratiques des années 1990, à laquelle le pays s’est arrimé comme nombre d’États africains, plusieurs révisions et modifications constitutionnelles majeures ont été initiées, après l’adoption par référendum de la Constitution du 31 mars 1996, puis sa promulgation le 14 avril de la même année.
Elle a par la suite été modifiée par la loi constitutionnelle n° 003/PR/2003 du 10 avril 2003 ; puis par la loi constitutionnelle n° 08/PR/2005 du 15 juillet 2005.

Le 30 avril 2018, les députés ont adopté une nouvelle Constitution qui a instauré la Quatrième République, un régime présidentiel renforçant les pouvoirs du président de la République de l’époque, Idriss Déby Itno, et supprimé le poste de Premier ministre.
Promulguée le 4 mai 2018, cette Constitution a été révisée le 14 décembre 2020 et prévoit que, en cas de vacance du pouvoir, le président du Sénat assure l’intérim pendant 45 à 90 jours, le temps d’élire un nouveau président de la République. Elle a été suspendue au lendemain du décès du chef de l’État, Idriss Déby Itno, et de la prise du pouvoir par le Conseil militaire de transition (Cmt), avec, à sa tête, son fils, le général Mahamat Déby Itno.

Instabilité chronique

À la veille de ce rendez-vous politique majeur des Tchadiens avec leur destin, certaines questions méritent d’être posées.

– Pourquoi le Tchad, en dépit des réformes institutionnelles passées, résolument novatrices, voire avant-gardistes à plusieurs égards, a-t-il toujours basculé dans les travers des conflits politico-militaires?

– Pourquoi tant de différends internes hypothèquent-ils toute dynamique de progrès et de réconciliation nationale?

– Pourquoi les protagonistes sont-ils plus portés à semer des embûches sur la voie de leurs adversaires qu’à rivaliser d’ardeur sur le terrain des idées ou des projets de société?

– Pourquoi, plus de six décennies après l’accession du Tchad à la souveraineté internationale et plus de trois décennies après l’instauration du pluralisme démocratique, l’espace politique national demeure-t-il un terrain d’affrontements ?

Comme nous le faisions observer dans notre ouvrage, Essai pour la refondation du Tchad (Grandes figures d’Afrique, Harmattan, 15 décembre 2021), cet état de guerre larvée, voire de paix précaire, tient davantage à la sincérité des engagements que prennent les politiques dans l’okespace public.

En effet, avant même l’ouverture des assises du Dialogue national inclusif et souverain (août-octobre 2022) son caractère « inclusif » et « souverain » était déjà remis en question par certains acteurs politiques et ceux de la société civile qui l’avaient boycotté. Les conclusions de ces assises sont toujours remises en cause par cette frange de censeurs, même si le processus devant déboucher au retour à l’ordre constitutionnel suit son cours cahin-caha.

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Dès lors, nul besoin d’être devin pour percevoir, dans ces désaccords, les signes annonciateurs des événements dramatiques du 20 octobre 2022, qui ont fait plusieurs centaines de morts.

Débat sur la forme de l’État

C’est dans une perspective similaire que nous nous penchons à nouveau sur la forme de l’État, que nous avons déjà évoquée dans notre ouvrage précédemment cité. Ce débat déchaîne, depuis quelque temps, passions et outrances qui sont de nature à faire perdre de vue à certains Tchadiens que, au-delà des réformes institutionnelles somme toute légitimes, nous devons faire société et faire nation. À l’approche du référendum constitutionnel, certaines prises de position semblent perdre de vue cet impératif catégorique.

Il s’élève ici ou là des voix qui sont manifestement partisanes d’une conception fédérale de l’État, qui serait à mille lieues de l’État-nation qui doit absolument être préservé. Notre philosophie de l’État fédéral a pour socle une meilleure inclusion du citoyen dans le processus de production et de redistribution des richesses nationales, d’une part, et une participation plus active et véritablement citoyenne aux processus décisionnels, d’autre part.

Autrement dit, pour ce qui nous concerne, l’horizon ultime d’un État fédéral serait de faire de chaque Tchadien un citoyen à part entière et de ne pas laisser sur le bord de la route des Tchadiens qui auraient le sentiment d’être tenus pour des citoyens entièrement à part. À cet égard, le Tchad n’invente guère la roue. Il existe, en Afrique comme ailleurs dans le monde, de nombreux exemples viables qui ont fait école et à partir desquels nous pourrions bâtir un fédéralisme aux couleurs tchadiennes, à vocation citoyenne et républicaine.

Maintenir le dialogue

Dans le même ordre d’idées, afin de se prémunir de toute contestation qui viendrait ôter toute crédibilité aux résultats sortis des urnes, il est crucial à ce stade, pour le pouvoir central, de demeurer à l’écoute et de maintenir ouverte la porte du dialogue et de la concertation.

Il faut d’ores et déjà saluer, dans cette perspective, les récents “accords de Kinshasa”, qui ont réintroduit dans le jeu politique certaines formations politiques et rétabli dans leurs droits civiques et politiques de nombreux citoyens qui en étaient temporairement exclus. Ce dégel est d’autant plus louable qu’une participation citoyenne accrue ne peut que contribuer à renforcer la crédibilité procédurale et politique du référendum constitutionnel.

Étape importante avant le retour à l’ordre constitutionnel

Enfin, il est capital de souligner que, pour les acteurs politiques nationaux et la communauté internationale, le référendum de décembre prochain tient lieu d’avant-première pour les élections générales qui marqueront la fin de la Transition et le retour à l’ordre constitutionnel d’ici à la fin de l’année 2024.

S’il faut d’ores et déjà convenir que des défaillances ne sont pas à exclure, l’enjeu majeur sera de réussir le pari décisif de la participation, donc de l’inclusion, et de la conformité des résultats officiels à la vérité des urnes.

Aux Tchadiens de choisir, en leur âme et conscience, la forme de l’État qui leur sied. Un premier pas vers le retour à l’ordre constitutionnel souhaité par tous.

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