Tinzawaten​: un an après (​Par Eric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)

Tinzawaten​: un an après (​Par Eric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)

La ​bataille de Tinzawaten qui a opposé en juillet 2024​ (du 25 au 27 juillet 2024​), les groupes armés du ​CSP-DPA (​Cadre stratégique permanent pour la défense du peuple de l’Azawad) à la coalition des mercenaires russes du groupe Wagner et des F​Forces armées maliennes (Fama), marque indubitablement un tournant historique et stratégique depuis que la Russie de Poutine, dans son ambition géopolitique de s’affirmer sur le terrain militaire et sécuritaire en Afrique comme puissance militaire de substitution de l’Occident, reçoit d’immenses couronnes de lauriers de ses satellites africains.

Les images qui ont fait le tour du monde de soldats de Wagner retenus en captivité en terre africaine, humiliés, voire déshumanisés, à côté des nombreux cadavres de leurs compagnons d’armes gisant sur les plaines sablonneuses du Sahel, ont grandement écorné le mythe de l’assurance tous risques que les hommes de Wagner, sous-traitants de l’influence russe en Afrique, étaient censés apporter à certains Etats africains et à leurs populations.

Plus préoccupant et tout aussi humiliant pour le narratif de Wagner et leur tutelle à Moscou, fut le fiasco retentissant de « l’opération vengeance » de la coalition Wagner/FAMA. Partis laver leur honneur et ramener, selon la communication de cette coalition, les dépouilles des mercenaires russes et libérer leurs compagnons d’armes faits prisonniers, celle-ci a rebroussé chemin après avoir vainement tenté d’atteindre l’objectif de reconquête qu’elle s’était fixé.

Perte de terrain de Moscou

Une année plus tard, force est de constater que ni les forces armées régulières des Etats qui ont fait appel au savoir-faire sécuritaire des mercenaires russes, ni les mercenaires russes eux-mêmes, sont depuis lors nettement moins loquaces sur leurs faits d’armes.

L’ère Prigogine a assurément marqué un âge d’or du groupe Wagner. Mais au-delà de la gouaille du père fondateur et de son culot sans égal à travestir la réalité, l’image, le mythe d’invincibilité de la Russie en Afrique a également été largement entamé à l’occasion de l’effondrement en Syrie du régime de Bachar-El-Assad.

En effet, pour maints observateurs en Afrique, comment comprendre que dans ce pays, et cette région du monde où la Russie a des intérêts géostratégiques à préserver, hautement plus importants qu’en Afrique, elle n’a pas été capable de protéger le régime de son fidèle allié syrien ? Cette perte de terrain de Moscou, après la déroute de Wagner à Tinzawaten, a installé dans les opinions et parmi les clients africains de Wagner une profonde perplexité.

Le dédain des hommes de Wagner

Il n’est pas anecdotique de constater que, quelque temps seulement après Tinzawaten, sont apparues des dissensions entre le haut commandement de l’armée malienne et les hommes de Wagner. Habités d’un fort sentiment de supériorité, voire de condescendance, les mercenaires de Wagner ne font guère de différence entre un haut gradé de l’armée malienne et un soldat.

Dans leur esprit, ce sont d’abord des Africains qu’ils tiennent tous en piètre estime.

À cet égard, il n’y a pas lieu d’en être surpris, lorsqu’ont été publiés les Forbidden Stories. Ces enquêtes extrêmement fouillées et documentées par un consortium de médias de grande réputation ont révélé au monde le comportement cruel des hommes de Wagner au Mali. Pis encore, une enquête de l’université de Berkeley, tout aussi richement documentée avec des vidéos diffusés sur la chaîne Telegram par leurs auteurs, révèle des crimes commis sur les populations civiles maliennes par les mercenaires russes, qu’ils exhibent par ailleurs et s’en vantent comme des trophées de guerre. Ces preuves d’exactions ont été transmises à la Cour Pénale Internationale (CPI) pour des poursuites éventuelles.

Si la Russie n’est pas partie au Traité de Rome, donc peu susceptible de coopérer avec la justice pénale internationale, les forces de défense et de sécurité maliennes ont en revanche du souci à se faire à cet égard. Le haut commandement tout au moins, pourrait à court ou moyen terme, faire face à une judiciarisation internationale des crimes de Wagner commis en territoire malien, en tant que complices passifs ou actifs.

Ce passif des mercenaires de Wagner au Mali depuis la déroute de Tinzawaten et le refroidissement de leurs rapports avec le haut commandement malien, explique sans doute le changement de statut récemment décidé par Moscou.

De Wagner à Africa Corps

Le groupe a été débaptisé pour devenir Africa Corps, mais en outre, il relève désormais directement du ministère russe de la défense. Cette mue, hormis la dénomination nouvelle qui vient d’être officialisée par Moscou, avait été amorcée dans les faits depuis la disparition de Prigogine. Mais dans les faits, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit toujours des mêmes hommes, tout au moins formés dans un moule mental identique, habités des mêmes préjugés racistes sur l’Afrique, dont le mode opératoire sur les champs de bataille n’est pas susceptible de changer.

​Il faut d’ailleurs relever que même si la forte personnalité de Prigogine donnait l’impression d’une totale autonomie de Wagner en Afrique, il n’en demeure pas moins qu’en arrière-plan, ce groupe de mercenaires affairistes a pris pied en Afrique avec le blanc-seing de Moscou qui devrait donc désormais assumer officiellement, les errements éventuels des orphelins de Prigogine.

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