C’est un classique des régimes autoritaires, pire, des dictatures, lorsque les fruits tardent à tenir la promesse des fleurs, lorsque l’horizon du grand soir ne cesse de s’éloigner ou de s’assombrir. Il faut impérativement bricoler une musique nouvelle, un nouveau chant de ralliement pour dissiper les doutes, maintenir l’unité dans les masses ou des troupes qui gagnent le doute et l’inquiétude. L’échappatoire classique des régimes de fer en pareille circonstance est de désigner des boucs émissaires.
Voici près de trois ans qu’un Conseil national de salut public (CNSP) a renversé, au Niger, un régime civil démocratiquement élu, avec comme priorité la restauration de la sécurité sur toute l’étendue du territoire et la restitution au peuple nigérien de sa souveraineté qu’auraient dévoyée la France, ancienne puissance coloniale, et ses suppôts intérieurs, au premier rang desquels le chef de l’État de l’époque, Mohamed Bazoum.
Dans la foulée, ce dernier fut mis aux arrêts avec sa famille et des charges ont aussitôt été émises contre lui. Il fut alors présenté comme l’incarnation des malheurs du peuple nigérien et sa destitution, comme l’acte fondateur de l’indépendance véritable de ce pays sahélien.
Toutefois, les Nigériens et l’opinion publique internationale attendent toujours que Mohamed Bazoum s’exprime sur les faits qui lui sont reprochés. Non seulement ce procès risque de ne jamais avoir lieu sous cette junte, mais, en outre, le régime actuel redoute une prise de parole libre de l’ancien chef de l’État.
La France, bouc émissaire des militaires
Avec l’érosion du temps, la mise en accusation perpétuelle de Mohamed Bazoum n’étant plus audible, lui-même s’étant retiré des affaires alors que la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader, il fallait rapidement livrer au peuple nigérien un autre bouc émissaire sur lequel pourrait être jeté perpétuellement l’anathème, chaque fois que les échecs et l’incurie du pouvoir de Niamey amplifient l’inquiétude au sein des populations sur leur capacité à tenir leurs promesses.
La France est devenue l’agneau du sacrifice, qui bien évidemment n’a pas besoin d’être coupable pour être immolé.
Tous les échecs du général Tiani et de son équipe gouvernante sont depuis lors attribués à la France.
À cet égard, le discours à la nation prononcé le 31 mai 2025 par le général Abdourahamane Tiani est un cas d’école. Il voit la main noire de la France derrière les groupes terroristes qui tiennent en échec les forces armées régulières, leur infligeant au passage de lourdes pertes en hommes et en matériels, tout en grignotant des parts importantes du territoire national. Il voit la main noire de la France derrière une mystérieuse force française qui tente de déstabiliser le Niger depuis le Bénin, sans jamais avoir pu apporter un commencement de preuve à ses fantasmes complotistes contre la France.
Les fondements de la démocratie sapés
Cette rhétorique accusatrice, dont Stalinefut coutumier durant la guerre froide, prospère difficilement à l’ère des autoroutes de l’information et des réseaux sociaux. La junte nigérienne en a pleinement conscience dès l’aube de sa prise de pouvoir. C’est pour conjurer ce péril qu’elle s’est immédiatement attaquée aux garanties démocratiques de la liberté d’expression, notamment la liberté de la presse. Elle a très tôt redouté l’émergence d’un discours alternatif, voire de contre-pouvoirs qui viendraient démonter le chapelet d’arguties qu’elle ne cesse de bâtir dans sa fuite en avant.
Human Rights Watch s’en faisait déjà l’écho dans son rapport sur le Niger, publié dans les mois qui ont suivi le coup d’État du 26 juillet 2023 : « Le coup d’État du 26 juillet a attiré l’attention du monde entier sur la situation des droits humains au Niger, y compris sur les restrictions en matière de liberté d’expression et sur la détérioration de l’espace civique. Le 3 août, le CNSP a suspendu pour une durée indéterminée les chaînes d’information Radio France internationale (RFI) et France 24, enfreignant ainsi le droit à l’accès à une information libre et indépendante. Cette obstruction à la liberté de la presse a créé un vide informationnel en privant les médias locaux d’un accès à des sources d’information fiables et indépendantes. Les médias nigériens ont eux aussi été empêchés de rendre compte de l’information librement. »
Dans cette obsession complotiste, le régime ne repousse pas seulement le moment fatidique de la reddition des comptes sur sa politique sécuritaire, il poursuit sa quête de boucs émissaires, au point de suspecter la Chine de vouloir le déstabiliser après la France, toujours avec le bras armé du Bénin de Patrice Talon. Ce faisant, le pouvoir nigérien compromet gravement son avenir économique et se prive d’une manne financière pourtant utile à l’élévation du standard de vie de ses populations.
Comme l’histoire l’atteste de manière systématique, lorsque des régimes politiques paranoïaques – qui ont fondé leur autorité sur la peur et la coercition –n’ont plus de boucs émissaires extérieurs à servir au peuple pour se dédouaner de leurs échecs, ils commencent à les chercher parmi ses membres, y compris ceux du premier cercle. Cette étape dans le délitement du système est parfois celle qui précède son implosion sur fond de théorie du complot.
Par Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle, à Bonn (Allemagne)