Qemal Affagnon, directeur d’Internet sans frontières, était récemment au Bénin pourparticiper à un forum sur la liberté d’expression avec différentes personnalités de la vie politique et administrative du pays. Dans une interview accordée à la rédaction de lesnouvellesdafrique.info, il a longuement parlé de ce dont il s’agissait.
Lesnouvellesdafrique.info : M.Affagnon bonjour ?
Qemal Affagnon : Bonjour !
Lesnouvellesdafrique.info : Mi-mai 2025, vous étiez à Cotonou pour un forum réunissant des personnalités béninoises. De quoi était-il question ?
Qemal Affagnon : Sur invitation du parlement béninois, Internet Sans Frontières a pris part du 14 au 16 mai 2025, au Sommet Afrique SMSI+20. Il s’agit d’ un événement qui a permis de réunir un large éventail d’acteurs parmi lesquels on retrouve des responsables gouvernementaux, des parlementaires, des partenaires de développement, des dirigeants du secteur privé, des organisations de la société civile, des représentant d’ universités et de médias. Il s’agissait de profiter de cette rencontre, pour réfléchir au parcours numérique de l’Afrique et élaborer des stratégies dans ce secteur d’activité pour l’avenir. Bien avant cette rencontre, Internet Sans Frontières a organisé conjointement avec la représentation nationale, deux ateliers consultatifs relatifs à la mise en œuvre des recommandations de la 42e session du groupe de travail sur l’Examen Périodique Universel, au sujet du Code du numérique.
Lesnouvellesdafrique.info : Quel était l’objectif ?
Qemal Affagnon : Le but visé était de profiter de l’organisation de ces deux ateliers parlementaires afin de sensibiliser les députés à la relecture de la loi n° 2017-20 du 20 avril 2018 portant Code du numérique en République du Bénin. Internet Sans Frontières a profité du cadre de cadre de réflexion de l’Examen Périodique pour apporter sa modeste contribution au processus de mise en œuvre des obligations qui incombent au Bénin en deux temps. En amont de l’évaluation suite à laquelle, le gouvernement avait accepté de réviser le code du numérique dans ses dispositions contraires aux normes internationales relatives à la liberté d’expression et des droits numériques, Internet Sans Frontières avait apporté une contribution écrite, au groupe de travail sur l’Examen Périodique Universel. Par la suite, nous avons poursuivi nos efforts en nous impliquant dans la mise en œuvre des dites recommandations.
Lesnouvellesdafrique.info : Grâce à ce récent forum et aux deux ateliers que vous avez organisés au Bénin l’année dernière, vous avez désormais une meilleure compréhension de la situation de la liberté d’expression dans le pays. Pensez-vous que cette liberté d’expression est respectée au Bénin ?
Qemal Affagnon : Dans sa dimension collective, la liberté d’expression fait partie des critères appréciatifs d’un régime démocratique. Il s’agit d’un droit qui apparaît comme le garant d’un débat public accessible à tout le monde et il est souhaitable que la liberté d’expression se caractérise par une ouverture au pluralisme des idées, mais aussi comme un moyen de pression dans le contrôle de l’action publique ou de surveillance éclairée de l’exercice du pouvoir politique.
Il arrive cependant que le Bénin s’ éloigne de cet idéal de sorte que de nombreux journalistes fassent l’objet d’intimidations ou de poursuites abusives par exemple. Durant le 4e cycle de l’examen périodique universel, plusieurs États ont souligné un recours abusif à la procédure pénale à des fins de dissuasion générale en République du Bénin. De plus, ces Etats estiment que certaines dispositions actuelles contenues dans le code du numérique, permettent de dissuader, de façon générale, les voix critiques à l’endroit du gouvernement et dans le même temps que le code du numérique fragilise la liberté d’expression des internautes béninois sur tout le territoire national et sur toutes les plateformes qu’ils utilisent pour faire valoir ce droit à la liberté d’expression.
C’est fort de constat que nous estimons à Internet Sans Frontières que la révision du Code du numérique, annoncée pour la session parlementaire en cours est un moment important pour rectifier le tir. Internet Sans Frontières en profite également pour attirer l’attention sur certaines situations qui sont préoccupantes d’une manière particulière. Depuis un moment au Bénin, on assiste par exemple à la multiplication de certains sites d’informations souvent d’origine anonyme. Ces sites d’informations illégaux viennent polluer l’environnement médiatique et tendent parfois à se substituer aux vrais journaux et aux médias du pays. Cette situation a amené la Haute Autorité de l’Audiovisuel à envisager la restriction d’accès de ces sites d’informations illégaux en ligne.
Toutefois, la manœuvre permet de rétrécir au passage l’espace civique sous la pression de lois restrictives telles que le Code du numérique. À cela, s’ajoutent certaines ingérences politiques qui tendent à empêcher la presse de jouer un rôle de contre-pouvoir. À l’approche des élections générales de 2026 au Bénin, les Béninois se souviennent par ailleurs que pendant les législatives de 2019, l’accès aux réseaux sociaux avait été restreint et par suite que l’accès à Internet a été totalement coupé sur toute l’étendue du territoire national pendant 24 heures.
Lesnouvellesdafrique.info : Quelles sont vos attentes à la fois du récent forum et des deux ateliers de formation que vous avez organisés en 2024 au Bénin ?
Qemal Affagnon : À travers l’organisation de deux ateliers consultatifs relatifs à la mise en œuvre des recommandations de la 42e session du groupe de travail sur l’Examen Périodique Universel, au sujet du Code du numérique, Internet Sans Frontières visait plusieurs objectifs. Tout d’abord, nous cherchions à examiner les recommandations formulées par le groupe de travail de l’EPU au Bénin.
Nous en avons profité pour passer également en revue les recommandations acceptées par le pouvoir exécutif avec les députés. À travers cet exercice, il était question de démystifier la complexité du numérique par l’expérimentation et la pratique avec les députés de la 9e législature. Ceci nous a permis d ’explorer l’opportunité de la relecture du code au regard de l’évolution des pratiques numériques au sein de la société béninoise et de donner ainsi du pouvoir d’agir au parlement béninois afin qu’ils tiennent compte des recommandations relatives au Code du numérique, durant la première session ordinaire de l’année qui est en cours.
Dans la structure de l’Examen Periodique Universel, le Parlement sert de lien entre les arènes internationales et nationales des droits humains. C’est l’un des principaux canaux par lesquels les recommandations des mécanismes internationaux et régionaux des droits de l’homme parviennent au niveau national, notamment par le contrôle de l’action du gouvernement et l’évaluation des politiques publiques. Nous souhaitons que nos députés prennent très au sérieux ce rôle au regard de la réélection du Bénin au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies.
Pour ce second mandat consécutif, le Bénin s’est engagé à promouvoir et à protéger les droits fondamentaux. À l’occasion de la première session ordinaire de l’Assemblée nationale en cours, nous estimons à Internet Sans Frontières, que le temps est par conséquent venu de combler le fossé entre les paroles et les actes sur le terrain.
Lesnouvellesdafrique.info : En général, les parlements africains sont dominés par les partis au pouvoir, avec des députés qui suivent toujours les directives d’en haut. Ceci étant, espérez-vous que les élus béninois, notamment ceux du camp présidentiel qui ont participé au forum, vous soient utiles dans votre combat pour la liberté d’expression au Bénin ?
Qemal Affagnon : Lorsqu’ils formulent des recommandations dans le cadre de l’Examen Périodique, les États cherchent souvent à ce que celles-ci soient acceptées en vue d’assurer leur mise en œuvre. Les États, examinateurs peuvent ensuite jouer un rôle déterminant dans ce processus de mise en œuvre. Il faut dire toutefois que la responsabilité première de la mise en œuvre des recommandations acceptées incombe à l’État examiné.
Celui-ci doit travailler en étroite collaboration avec les acteurs nationaux et internationaux pour assurer l’efficacité et l’effectivité de la mise en œuvre des recommandations acceptées. Au cours de la phase de mise en œuvre, l’État examinateur peut, par le biais de ses ambassades et agences de développement, aider l’ État examiné en fournissant une assistance technique et ou financière pour des actions visant à soutenir la mise en œuvre des recommandations. Les États, examinateurs doivent également fournir un soutien financier et politique aux ONG, qui disposent d’un savoir-faire et d’une expertise pour contribuer au processus de mise en œuvre des recommandations acceptées par l’Etat examiné. Une précision, toutefois concernant votre question très pertinente.
En fait, un pays qui accepte les recommandations formulées lors de l’Examen Périodique Universel a l’obligation de faire tout son possible pour les mettre en œuvre. Cependant, l’acceptation des recommandations ne signifie pas que tout le Parlement doit les mettre en œuvre, mais plutôt que l’État doit s’efforcer de les appliquer à travers les leviers législatifs dont il dispose.
Lesnouvellesdafrique.info : Merci, M.Affagnon !
Qemal Affagnon : Merci à vous également !