’’Les technologies numériques ont besoin d’un cadre de réflexion pour mieux servir les intérêts de l’humanité’’pour Qemal Affagnon (Internet sans frontières)

L’accès à Internet reste encore difficile pour l’Afrique malgré les nombreux progrès réalisés ces dernières années dans le secteur du numérique. Le forum du Sommet mondial sur la Société de l’information (SMSI) qui s’est déroulé du 14 au 16 mai 2025 à Cotonou s’est voulu un cadre d’échanges pour un engagement stratégique face aux défis de la transformation numérique comme le rappelle Qemal Affagnon dans cet entretien.

Il est le Responsable de la section Afrique de l’Ouest à Internet sans frontières.

lesnouvellesdafrique.info (LNA) : quel bilan tirer du forum mondial sur la Société de l’information qui s’est tenue du 14 au 16 mai 2025 à Cotonou ?

Qemal Affagnon: le Sommet mondial de la Société de l’Information (SMSI+20) se veut une opportunité de transformer les défis numériques en solutions globales et cette année, les participants se sont retrouvés autour du thème : « Bilan des 20 ans du Sommet mondial sur la société de l’information en Afrique ». C’est autour de ce thème que les échanges ont eu lieu durant le Forum africain qui s’est tenu à Cotonou. Cette rencontre hybride a permis de réunir des intervenants de tout le continent pour réfléchir autour de la transformation numérique opérée par l’Afrique au cours des deux dernières décennies et contribuer à l’élaboration d’une position régionale commune avant la manifestation de haut niveau du Forum SMSI+20 en juillet 2025.

Avec l’intégration de la société civile et du secteur privé, on peut dire que ce Forum africain ne sert pas uniquement à transmettre des informations de façon unilatérale, mais qu’il fait également office de lieux de rencontre où les participants ont l’occasion d’échanger leurs expériences dans un cadre formel. Ce fut l’occasion pour notre organisation Internet Sans Frontières de rappeller qu’il est important de profiter du projet de loi initié actuellement par le gouvernement pour modifier le code du numérique, afin que ce texte de loi soit mis à niveau conformément aux normes internationales.

A travers l’organisation de deux ateliers consultatifs à l’Assemblée nationale, Internet Sans Frontières a apporté sa modeste contribution à la relecture de ce texte pour que les dispositions actuelles qui enfreignent à l’exercice du droit à la liberté d’expression, puissent être modifiées conformément aux engagements que le Bénin a pris, en adhérant au mécanisme de l’examen périodique universel. Ce mécanisme a permis au Bénin de recevoir des recommandations de plusieurs États pairs mais dont la mise en oeuvre tarde malgré l’acceptation de ces recommandations. Durant le 4ème cycle de l’examen périodique universel, plusieurs États ont souligné un recours abondant à la procédure pénale à des fins de dissuasion générale en République du Bénin. De plus, ces Etats estiment que certaines dispositions actuelles contenues dans le code du numérique, permettent de dissuader, de façon générale, les voix critiques à l’endroit du gouvernement et dans le même temps que le code du numérique fragilise la liberté d’expression des internautes béninois sur tout le territoire national et sur toutes les plateformes qu’ils utilisent pour faire valoir ce droit à la liberté d’expression .

LNA : pourquoi d’ailleurs le choix du Bénin pour la célébration des 20 ans de la société de l’information (Smsi+20)

Q.A: la décision d’organiser le Sommet mondial sur la société de l’information remonte à 1998. L’idée de ce sommet a pris corps lors de la Conférence plénipotentiaire de l’UIT qui à Minneapolis, a adopté la résolution 73 appelant à la tenue d’un Sommet mondial sur la société de l’information. En 1999, le Conseil de l’UIT a adopté une autre résolution décidant de la préparation de ce sommet. C’était après que le Comité administratif de coordination ait exprimé un soutien sans réserve à la tenue du Sommet mondial sur la société de l’information lors de sa session d’avril à Genève. A l’époque, le SMSI a été placé sous le haut patronage du Secrétaire géneral de l’ONU Kofi Anan.

Pour sa part, l’Union Internationale des Télécommunications en a assuré la mise en oeuvre . Par la suite, la Tunisie et la Suisse se sont mises sur les rangs pour accueillir ce sommet. C’est ainsi que tour à tour, Genève en 2003 dans un premier temps, puis Tunis en 2005 ont permis que les États, les organisations internationales, le secteur privé et la société civile posent les fondations d’un engagement collectif autour de deux documents clés à savoir la Déclaration de principe et le Plan d’action de Genève. Le choix du Bénin pour abriter la rencontre du Sommet mondial sur la Société (SMSI+20) peut se comprendre au regard des investissements stratégiques opérés par ce pays qui a fait un bond dans la modernisation de ses infrastructures numériques et qui s’active dans son ambition de devenir la plateforme des services numériques pour toute l’Afrique de l’Ouest. Par ailleurs, ce sommet organisé au Bénin se veut une plateforme d’engagement stratégique. Il marque ainsi la volonté des parlementaires africains de ne pas rester en marge de la révolution numérique et de faire des TIC un levier de développement humain, social et économique.

LNA : comment évaluerez vous concrètement les avancées en termes de numérique en Afrique ces vingt dernières années ?

Q.A: présenté comme le prochain eldorado technologique, le continent africain connaît une effervescence croissante dans le domaine des technologies numériques, et des événements tel que le Sommet mondial sur la société de l’information. Ceci illustre clairement une mobilisation globale en faveur d’une transformation numérique qui touche tous les secteurs d’activités en Afrique. En termes d’avancées, l’essor du numérique a été marqué par une augmentation significative du nombre d’utilisateurs d’Internet sur le continent. Toutefois, on observe également ces vingt dernières années des risques liés au numérique qui peuvent affecter la sécurité, la santé, le bien-être et la vie privée des internautes du continent .Il s’agit par exemple des risques liés à la désinformation au moment où , Meta qui réunit Facebook, Instagram et Whatsapp ou encore X annonce la suppression du fact-checking. Il faut aussi souligner les nombreuses menaces liées à la cybersécurité , la cybercriminalité ou encore le vols de données ou des risques liés à la perte de confidentialité des données personnelles dans un contexte où, certains acteurs proposent désormais des services tels que des primes d’assurance vie ou d’assurance maladie qui sont élaborées grâce à l’exploitation sauvage des données avec le risque d’enfermer les internautes dans des sociétés discriminatoires.

LNA : quels sont les efforts déployés en matière de transformation numérique selon vous?

Q.A: en ce qui concerne la transformation numérique, on assiste au déploiement de projets qui visent à élargir l’accès à internet, notamment en Afrique de l’Ouest par exemple. On peut également parler des initiatives qui sont mises en place pour améliorer la culture numérique et les compétences des Africains où l’accent est mis sur la formation et l’alphabétisation numérique pour préparer les populations à l’économie numérique. En intégrant des systèmes numériques dans le fonctionnement de divers services gouvernementaux comme c’est le cas au Bénin par exemple, les administrations africaines peuvent améliorer la transparence, réduire la bureaucratie tout en s’assurant que les citoyens obtiennent les avantages auxquels ils ont droits. Cependant, il importe de ne pas négliger les mesures de sécurité dans la mise en place de ces nouveaux services afin d’éviter que les innovations proposées ne reposent pas sur une perméabilité des bases de données qui pourraient favoriser des abus comme on a pu le voir avec l’affaire société Cambridge Analytica. Dans un passé récent, la société Cambridge Analytica, a pu profiter de l’analyse de données pour vendre des services qui ont été au cœur de plusieurs scandales au Nigéria, en Afrique du Sud et au Kenya par exemple  On trouve également parmi les clients de la société Cambridge Analytica le gouvernement américain, le gouvernement russe mais aussi d’importantes organisations gouvernementales et non gouvernementales. Tout ceci nous montre l’importance de pareilles données et l’impact que ce type de données pourraient avoir sur les comportements sociaux, les décisions et les processus de prise de décision politique .

LNA : Dernièrement on parle beaucoup de réduction de la fracture numérique ? Comment est t’il possible d’y parvenir?

Q.A: Malgré les progrès réalisés ces dernières années dans le secteur du numérique en Afrique, une bonne partie de la population africaine ne dispose toujours pas d’un accès à Internet . En outre, la fracture numérique conséquente entre les sexes et un écart important dans les compétences numériques continuent d’entraver les progrès du continent vers la réalisation de l’universalité de l’Internet. Voilà autant de défis qui persistent, notamment en matière d’infrastructures et de compétences. Si la percée de la technologie mobile sur le continent africain ouvre de nouvelles perspectives pour le développement économique et l’inclusion sociale, son véritable impact dépendra de l’élargissement de l’accès aux infrastructures numériques mais aussi la formation des populations locales.

LNA : À quoi devrait t’on s’attendre pour le prochain forum de juillet prochain qui doit se tenir à Genève ?

Q.A: Le SMSI a permis de structurer les efforts africains autour de plusieurs axes majeurs tels que la gouvernance transparente de l’Internet, mais aussi l’émergence de thématiques nouvelles comme l’intelligence artificielle et la souveraineté numérique. Ces avancées sont certes louables mais il faudrait que ce cadre de réflexion puisse garantir que les technologies numériques servent mieux les intérêts de l’humanité. Lors du prochain forum de juillet, il faudrait que les discussions facilitent également la promotion de la confiance et de la sécurité dans le domaine numérique, en mettant l’accent sur l’utilisation équitable des données et la protection de la vie privée.

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