Des étudiants africains dans le piège du conflit Russo-Ukrainien: les leçons d’un naufrage

Des étudiants africains dans le piège du conflit Russo-Ukrainien: les leçons d'un naufrage

Par Éric Topona Mocnga, journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.

Durant plusieurs décennies, les migrations universitaires à travers le monde des jeunes étudiants africains étaient source d’espoir pour leurs familles et de souveraineté pour les jeunes Etats africains nouvellement indépendants. Pour les familles, il s’agissait d’une fierté et d’une certitude de promotion sociale ; pour les Etats, c’était le seul moyen d’opérer la nécessaire africanisation des cadres qui devaient s’atteler sans délai aux gigantesques chantiers du développement.

Conscients de la responsabilité qui pesaient alors sur leurs épaules, la jeunesse africaine de l’aube des indépendances a laissé des souvenirs impérissables dans l’histoire de l’Afrique, tant et si bien que certains ont été des modèles d’excellence qui n’avaient rien à envier à leurs condisciples occidentaux ou asiatiques.

Témoignages désespérants et glaçants

Les images qui font le tour du monde depuis quelques mois et abondamment relayées par les réseaux sociaux, notamment la vidéo récente dans laquelle on découvre les confessions d’un jeune étudiant togolais, retenu captif dans une prison en Ukraine, à côté d’un geôlier ukrainien, sont tout aussi désespérantes que glaçantes. Elle suscite de nombreuses questions qui demeurent sans réponse, et elles questionnent sur l’encadrement et la protection des ressortissants africains hors d’Afrique, aussi bien de la part de leurs Etats que de l’Union africaine.

Comment un étudiant africain, parti étudier la médecine en Russie, se retrouve prisonnier de guerre en Ukraine, parce qu’il se serait vu proposer une rémunération mirobolante, après avoir signé un contrat de travail dont il déclare en mondovision qu’il ne stipulait pas qu’il se retrouverait pris au piège de ce qui s’est avéré être en dernier ressort un traquenard ?

La question mérite d’autant plus d’être posée qu’il bénéficie a priori d’un capital intellectuel et d’une capacité de discernement qui n’est pas donné au commun des migrants africains.

 Déficit de protection consulaire 

Notre questionnement est d’autant plus légitime que l’Afrique, il faut le souligner pour le déplorer, est le continent dont les ressortissants à l’étranger bénéficient de la protection consulaire la moins appuyée lorsqu’elle existe. Il ne fait guère de doute que si les autorités ukrainiennes médiatisent à juste titre l’emploi que l’armée russe fait des Africains recrutés comme mercenaires dans la guerre qui les oppose à Moscou, il s’agit d’une part de donner mauvaise conscience à ceux des Africains qui ne jurent que par la Russie de Vladimir Poutine, d’autre part de révéler la face cachée d’une Russie qui n’a que très peu de considération pour la dignité humaine des Africains.

Toutefois, on ne peut guère passer sous silence l’indignation et la révolte légitime que doivent susciter cette violation du droit de la guerre et des droits de l’Homme par les forces militaires russes.

Tromperie et contraintes

S’il s’agissait d’engagements volontaires, on n’aurait pu que s’en tenir au respect de la liberté de ces jeunes Africains qui se constituent mercenaires aux côtés de l’armée russe. Mais les témoignages se multiplient qui attestent que ces recrutements, si l’on peut les désigner péjorativement comme tels, sont effectués sur deux critères hautement blâmables et condamnables : la tromperie au moment de l’exposition des raisons de l’offre d’emploi, et la contrainte lorsque ces Africains se retrouvent dans la nasse et contraints de servir de chair à canon.

Plus grave, ces témoignages révèlent que ces Africains qui sont ainsi enrôlés de force sont en outre envoyés en première ligne ; autrement dit, ils tiennent lieu de chair à canon, de sorte que nombre d’entre eux sont décédés et ne retrouveront plus jamais leurs familles.

Il est de notoriété publique que dans ce conflit, les deux belligérants font face à des difficultés à recruter des volontaires dans leurs populations respectives, car il se répand de plus en plus un sentiment de lassitude face à l’absence manifeste d’issue à cette guerre.

La Russie a ainsi été obligée de recourir à des Nord-Coréens dont l’apport a été récemment décisif dans la bataille de Koursk.

Toutefois, les soldats nord-coréens sont sur le front de guerre aux côtés des Russes avec le soutien officiel de leur État et moyennant des contreparties, alors que les Africains enrôlés sont des électrons libres qui ne répondent à personne.

C’est aussi le lieu de questionner la proactivité diplomatique des Etats africains et de l’Union africaine depuis le début de ce conflit, comme nous l’évoquions plus haut.

Toutes les représentations diplomatiques africaines auprès de Kiev et de Moscou, et l’Union Africaine, devaient mener des campagnes d’information auprès des Africains expatriés dans ces pays afin qu’ils ne fassent pas l’objet d’éventuelles manipulations pour servir de chair à canon contre leur gré.

Même s’il faut le reconnaître, certains Africains y sont de leur plein gré, mus par le mirage d’une vie meilleure et de revenus substantiels, voire une fascination maladive pour le gain facile. Mais au point de postuler pour un métier qui vous expose à une mort précoce et tragique comme nul autre métier au monde ?

Au-delà de ces drames, on mesure jusqu’où, hélas, certaines jeunes d’Afrique, sans perspectives et désespérés, peuvent s’expatrier au péril de leurs vies, y compris pour se retrouver dans la gueule du loup russe dont ils ne sortiront jamais.

Nous saluons enfin les mises en garde formulées par les autorités Togolaises qui « informent l’opinion publique que les autorités togolaises ont récemment été saisies de cas de ressortissants togolais, capturés et détenus par les forces armées ukrainiennes alors qu’ils participaient à des opérations militaires aux côtés des forces armées russes dans le cadre du conflit actuel ».

C’est pourquoi, « face à cette situation préoccupante, le ministère (des affaires étrangères, de l’intégration régionale et des Togolais de l’extérieur)  appelle les citoyens, notamment les jeunes désireux de poursuivre leurs études à l’étranger, à la plus grande vigilance. Il les exhorte à vérifier l’authenticité des offres de bourses avant tout engagement, et à se rapprocher de ses services compétents ou de tout autre ministère concerné, notamment le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour obtenir des informations fiables et sécurisées avant tout départ à l’étranger, en particulier à destination de la Russie ».