« L’avenir du continent passe par une maîtrise et une utilisation maximale des mathématiques » dixit Gaston Nguereketa (Professeur des Universités)

Le continent africain est rarement distingué pour ses contributions aux mathématiques, malgré le fait qu’il regorge d’intellectuels de renommée qui ont toujours joué un rôle clé dans l’avancée de cette discipline.Mais le Professeur des Universités, Gaston Nguereketa dont le nom porte désormais le prix d’Excellence en Mathématiques créé en 2023, le « N’Guerekata Award for Excellence in Mathematics », croit fermement au développement de cette discipline grâce à la percée de jeunes mathématiciens africains décomplexés.

Depuis les Etats-Unis où réside cet homme politique centrafricain, premier docteur en Mathématiques, Gaston Nguerekata est aussi revenu sur la situation politique actuelle de la RCA dans cet entretien qu’il a accordé à votre site lesnouvellesdafrique.info.

Lesnouvellesdafrique.info (LNA) : Pr Gaston Nguerekata, bonjour

Gaston NGUEREKATA : Bonjour

lesnouvelledafrique.info (LNA) : Le prix Gaston NGUEREKATA pour l’Excellence en Mathématiques, un prix portant votre nom a été créé en 2023 pour honorer vos réalisations et votre impact dans le domaine des Mathématiques dans le but de soutenir et de promouvoir les jeunes talents africains dans le domaine des mathématiques. Qu’est-ce que ce prix représente pour vous, et comment pensez-vous qu’il contribuera à encourager la jeune génération de mathématiciens africains ?

GN : L’Afrique n’est pas seulement le berceau de l’humanité. Elle est aussi le creuset des mathématiques. Me référant par exemple aux travaux d’éminents égyptologues comme Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga, je fais remarquer que de nombreux mathématiciens non-Africains comme Euclide, le père de la géométrie moderne, ont étudié et enseigné à Alexandria en Egypte. C’est à partir du continent Africain qu’Euclide a posé dans les années 300 avant Jésus Christ, la base de cette branche des mathématiques à travers son célèbre Traité mathématique « Eléments », un ensemble de treize (13) livres pionniers. Alexandria a été un haut lieu des Mathématiques qui a aussi attiré d’autres savants comme Ptolémée et Hypatie d’Alexandrie.
Disons que les mathématiques modernes ont émergé vers la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle. Englués dans une colonisation généralisée du continent, les africains n’ont pas brillé par leur apport au développement des mathématiques, et pour cause.
Depuis, les choses ont changé car à partir de la fin de la seconde moitié du siècle passé, de nombreux mathématiciens, formés en Europe ou en Afrique dans des universités comme celles d’Ibadan au Nigeria, Makerere en Ouganda, ou Cheikh Anta Diop au Sénégal, pour ne citer que celles-là, parmi les plus anciennes et plus prestigieuses, ont apporté des contributions appréciables à l‘avancement des Mathématiques. Malgré cela, aucun prix de mathématiques ne porte le nom d’un Africain, ou d’un Noir en général.
Il était donc apparu nécessaire de combler ce vide en créant un prix de mathématiques au nom d’un des nôtres, un africain, noir en l’occurrence. Je le redis, il y a désormais de nombreux et brillants mathématiciens noirs.
Que je sois choisi pour donner mon nom à ce prix continental de mathématiques, le N’Guerekata Award for Excellence in Mathematics, est pour moi un honneur inespéré. J’ai accueilli la nouvelle avec humilité et reconnaissance envers mes collègues de la Commission Recherche et Innovation de l’Union Mathématique Africaine.

LNA : Qu’est-ce que c’est ce prix pour les Africains ?

GN : Ce prix est très compétitif et vise à récompenser chaque deux ans, un travail scientifique de haut niveau d’un chercheur africain qui travaille sur le continent ou dans la diaspora. Les lauréats sont sélectionnés par un jury de cinq (05) mathématiciens de renommée mondiale, tous non-africains. La première édition a été gagnée par le Professeur Daniel Makinde de l’Université Stellenbosch en Afrique du Sud en 2024 à Niamey au Niger.

Ce mathématicien de calibre international a formé plus de 47 docteurs et 75 masters en mathématiques, et publié plus de 150 articles selon MathScinet , la base de données officielle de la Société Mathématique d’Amérique.
Nous avons grand espoir que ce prix va booster le nombre de jeunes mathématiciens africains décomplexés, et au-delà, le développement des mathématiques sur le continent africain.

LNA : Vous enseignez actuellement aux États-Unis. Comment avez-vous vécu cette expérience d’enseigner à l’international et de collaborer avec des chercheurs du monde entier ?

GN : Passionnant. J’ai une chance inouïe : mon diplôme en poche, j’ai aussitôt quitté Montréal au Canada pour revenir enseigner à l’Université de Bangui comme premier docteur en mathématiques de mon pays. A 28 ans je deviens Vice-Recteur de l’unique université du pays, poste nouvellement créé. J’ai rapidement gravi les grades et occupé de hautes fonctions politiques et gouvernementales. La singularité de la situation est que j’ai toujours continué à enseigner. Pour des raisons politiques je me suis retrouvé à 43 ans à Morgan State University ou j’ai véritablement commencé ma carrière de chercheur. Avec beaucoup de travail et de chance, probablement, j’ai réussi à me hisser au niveau le plus élevé des chercheurs dans des domaines comme les équations d’évolution, le calcul différentiel fractionnaire, la presque périodicité et la presque automorphie. Être reconnu par la communauté mathématique mondiale comme le promoteur d’un nouveau concept, une nouvelle méthode, ou nouvelle théorie mathématique, suscite une grande fierté, une joie indicible. Mais ma plus grande satisfaction est, tout en étant le seul Noir dans une conférence internationale de mathématiques, de lire dans le regard des uns et des autres, la joie d’avoir appris de mon intervention, quelque chose de nouveau, d’original.

LNA : Quelle est votre vision de l’enseignement des mathématiques en Afrique et de la nécessité de renforcer la formation scientifique dans les universités africaines ?

GN : La situation de l’enseignement des mathématiques sur le continent est très variable. Des pays comme le Maroc, le Cameroun ou l’Afrique du Sud, par exemple, ont des programmes qui produisent de très bons mathématiciens. En général, les étudiants africains qui s’inscrivent dans les universités américaines sont bons en mathématiques. C’est le lieu de rendre hommage aux professeurs de mathématiques d’Afrique malgré les maigres moyens matériels et financiers dont ils disposent. Les mathématiques sont non seulement une discipline transversale, mais aussi et surtout un pilier de l’éducation en combinaison avec le métalangage, j’entends la langue de l’enseignement (Français, Anglais, Chinois, Swahili, etc..).

Bien enseignées, elles contribueraient de manière directe à la qualité de l’enseignement de manière générale, mais aussi et surtout au développement de chaque pays. L’usage des mathématiques permet de gagner du temps et de l’argent dans la conception et la réalisation de tout projet de développement. Notons que l’enseignement des mathématiques est moins couteux que celui des sciences expérimentales. D’où mon invitation aux gouvernements africains à investir davantage dans le développement des mathématiques.

LNA : Vous êtes un opposant de longue date au régime du Président Professeur Faustin Archange Touadéra. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous opposer à lui et à dénoncer certaines de ses actions ? Quels sont les arguments qui vous poussent à vous opposer à son projet de troisième mandat ?

GN : En 2014-2015, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, une consultation à la base, c’est-à-dire dans toutes les villes et tous les villages, a permis de concocter une Constitution qui a permis l’avènement au pouvoir de Monsieur Touadera en 2016. Il a juré par deux fois sur cette Constitution, devant Dieu et la nation, pour ne pas la modifier ou la changer en particulier de respecter le nombre et la durée de mandats présidentiels.
Si tôt réélu en 2020 lors d’un scrutin mal organisé, et largement contesté, il s’est attelé à fouler du pied les points clés de cette constitution : d’abord il a limogé illégalement deux juges de la Cour Constitutionnelle, dont les membres sont inamovibles, puis trahi son serment en faisant adopter de manière rocambolesque une nouvelle Constitution taillée sur mesure, une constitution qui lui ouvre la voie à un troisième mandat et donc d’un pouvoir à vie. Contre les dispositions constitutionnelles, il a signé des accords dont personne n’a de copies- avec des groupes de mercenaires étrangers- pour la seule protection de son pouvoir. Il a octroyé et continue d’octroyer des permis miniers et forestiers sans l’accord du parlement. Il a donc commis un parjure. Il agit comme un despote, un tyran qui a droit de vie et de mort sur chaque citoyen, en réduisant l’espace civique, emprisonnant tout opposant y compris un député pourtant jouissant d’une immunité parlementaire, etc…. Je vous fais grâce de la liste trop longue de ses violations de la Constitution, y compris celle qu’il a lui-même adoptée en 2023.
Quant à la notion de centrafricain d’origine et la question de double nationalité insérées dans la Constitution par celui-là même dont l’origine est remise en question par tous et qui veut se prendre pour un demi-Dieu, au-dessus de tout, je fais remarquer que partout où elles ont été évoquées en Afrique, elles ont conduit à des crises majeures. En dehors des pygmées, la Centrafrique est formée de populations issues de migrations plus ou moins récentes à partir des pays voisins. Je vous fais remarquer que les premiers chefs d’Etat centrafricains ont tous joui de la double nationalité, sans que cela n’ait causé de problèmes.

Cela dit, la République Centrafricaine est plongée dans une crise humanitaire, sociale et économique sans précédent. 70% de la population vit dans une insécurité alimentaire aigue. Les rares hôpitaux sont de véritables mouroirs et le pays n’a ni cimetière ni morgue. 67% des enseignants sont des maitre-parents, c’est-à-dire des bénévoles qui n’ont aucune qualification pour la fonction.
Même dans la capitale, les écoliers prennent les cours à même le sol. Les routes sont impraticables dans l’ensemble du pays et des zones entières sont inaccessibles, sauf par voie aérienne. Je me fais violence pour ne pas continuer cette liste noire. Avec cela, Monsieur Touadera veut exercer un troisième mandat à la tête du pays. Vous comprenez maintenant pourquoi je lui suis farouchement opposé.

LNA : En raison de vos prises de position politiques, vous êtes poursuivi par le gouvernement centrafricain. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette situation et comment cela a affecté votre vie personnelle et professionnelle ?

GN : J’avais demandé la démission du Président Faustin Touadera au cours d’une manifestation de patriotes centrafricains à Paris le 5 Novembre 2022. Trois jours plus tard, des amis m’informent depuis Bangui que j’aurais été condamné à deux ans de prison ferme ainsi que d’autres intervenants comme Jean-Francois Akandji-Kombet, éminent Professeur de Droit à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et le très influent bloggeur Rodrigue Prudence Mayte. C’est tout ce que je sais par rapport à cette fameuse condamnation. Je n’ai jamais été convoqué par un tribunal Centrafricain, jamais été notifié d’une décision de justice contre moi. Je considère donc qu’il s’agit probablement d’un fake news, d’une mauvaise plaisanterie de la part d’un régime aux abois. Cela dit, ma vie personnelle et professionnelle n’est en rien affectée. Je jouis de ma pleine liberté individuelle, je voyage beaucoup pour donner des conférences en Europe, en Afrique et en Asie.

LNA : Vous êtes un modèle pour de nombreux jeunes africains. Quels conseils donneriez-vous aux jeunes mathématiciens et intellectuels africains qui aspirent à réussir dans leur domaine ?

GN : J’ai trois conseils à l’endroit des jeunes africains : Un : le travail ; deux : le travail ; trois : le travail. Les jeunes doivent comprendre que la mondialisation n’est pas un vain mot et qu’elle comporte une farouche compétition entre états. L’avenir du continent, comme on l’a vu ailleurs, passe par une maitrise et une utilisation maximale des mathématiques.
Les jeunes africains doivent se débarrasser de tout complexe et ne jamais laisser personne leur dicter leur avenir. Mon professeur de mathématiques au Lycée des Rapides à Bangui, un Français, me disait en 1970, qu’en dépit de mes bonnes notes en mathématiques, je ne serai jamais un mathématicien, que les mathématiques ne sont pas faites pour les Noirs. Je lui ai fait avaler ses mots, par le travail. Ma carrière, comme celle d’autres brillants mathématiciens africains, peut servir de modèle, un modèle à la portée des jeunes africains, que je sais intelligents et créatifs.

LNA: Gaston Nguereketa je vous remercie.

GN: Merci à vous

Gaston Nguereketa, 71 ans est professeur des Universités, doyen associé à l’Université d’informatique, mathématique et sciences naturelles de Morgan –Baltimore. Il est chercheur invité à l’Université d’Etat de New-York à Buffalo (USA). Il a été vice-recteur de l’Université de Bangui. Il est également membre du conseil des chercheurs africains américains en sciences mathématiques depuis 1998.

Entretien réalisé par Adrien KOUNDOU-ZALIA

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