« L’Afrique va décoller aujourd’hui si la paix intervient en RDC », Patrick Mboyo (docteur en droit public et chercheur associé à l’Université Paris-Saclay, France)

Goma est aux mains du groupe armé M23 et de ses alliés des forces rwandaises qui continuent leur progression dans la région. Ne vire-t-on pas à une régionalisation du conflit ?

Une évidence pour Patrick Mboyo, docteur en droit public et chercheur à l’université Paris-Saclay.

Ceci s’explique par la présence de plusieurs armées de la région, à savoir celle rwandaise, tanzanienne, burundaise ou angolaise, sur le territoire congolais pour divers motifs, avance-t-il. Et pour l’enseignant-chercheur, ces armées peuvent à tout moment entrer en confrontation pour une raison ou une autre.

Les propos d‘Evariste Ndayishimiye de vendredi dernier (31.01.25) lors du sommet extraordinaire de la SADC viennent conforter le risque que le conflit dans l’est de la RDC se transforme en guerre égionale. poursuit M. Mboyo.

« Si l’est du Congo n’a pas la paix, la région n’a pas la paix » a mis en garde le président burundais dans une vidéo postée sur sa chaîne Youtube.

Impact de la crise dans la région des Grands Lacs

Depuis octobre 2013, 10 000 soldats burundais opèrent dans l’est de la République démocratique du Congo dans le cadre d’un accord de coopération militaire avec Kinshasa.

Pour sa part, l’armée ougandaise a annoncé ce vendredi son intention de renforcer ses défenses. M. Mboyo estime que ce conflit représente une réelle menace pour toute la région.

Pour lui, l’éparpillement de la population congolaise à elle-même, qui représente 110 millions d’habitants, plus que toute la population de ses neuf voisins réunis que sont le Rwanda, le Burundi, l’Ouganda, l’Angola, la Zambie, le Sud Soudan, la Tanzanie, le Congo Brazzaville et la Centrafrique, produirait une dégénérescence.

« La naissance du conflit de la RDC est partie en 1994 justement de la déstabilisation démographique du pays », rappelle-t-il.

À l’époque, la RDC, ex-Zaïre comptait un peu moins de 50 millions d’habitants et plus de deux millions de personnes venues du Rwanda, Hutu comme Tutsi, selon M. Mboyo.

C’est dire que cette arrivée massive des réfugiés rwandais à l’époque, en plus de ceux ougandais et burundais, avait créé une déstabilisation démographique.

Sans nul doute, le risque de revivre pareille situation avec cette crise qui sévit dans l’est de la Rdc va entraîner une déflagration, selon le chercheur. Il cite en exemple l’intervention de l’Afrique du Sud dans ce conflit qui ne serait pas par hasard un pays situé pourtant à plus de 1000 km de la frontière sud de la RDC, sans oublier l’implication des pays de la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe).

C’est dire tout le risque de déflagration qui est réel. Patrick Mboyo invite à une prise en charge rapide afin que ce qui s’est passé dans les années 1990 ne se reproduise pas pour une affaire qui concerne toute l’Afrique.

Tensions communautaires, objet de l’insurrection du M23

« La constitution rwandaise bannit la différenciation ethnique », d’après Mboyo qui juge infondées les raisons évoquées par le groupe armé, à savoir la présence des tutsis au Congo.

L’enseignant-chercheur décèle une incongruité avançant la thèse selon laquelle la présence des Tutsis s’étend un peu partout au-delà du Congo. Ils sont au Burundi, en Ouganda, en Éthiopie. Une raison qui n’est pas valable, estime le chercheur, puisque ces derniers vivent au Congo depuis l’opération « banyarwanda » de 1959 dans le territoire des Mulengué (localité de l’Est de la République démocratique du Congo située au Sud-Kivu).

De son point de vue, les Congolais autochtones ne demandent que le respect du vivre-ensemble. Le problème d’ethnicité a créé des soucis et provoqué des millions de morts au Congo.

Pourquoi Kigali et Kinshasa ne parlent pas le même langage ?

Le sommet de Luanda prévu en décembre dernier pour mettre fin à l’interminable conflit meurtrier en RDC a échoué avant même de commencer. La raison : les deux présidents rwandais et congolais n’ont pas répondu à l’appel de João Lourenço, le président angolais. Kigali ayant posé comme préalable la signature d’un accord : que Kinshasa mène un dialogue direct avec le M23.

Ce refus de Kagamé de signer les accords de Luanda a rajouté de l’huile sur le feu, estime le docteur en droit public, s’y ajoute la lancinante question des FDLR (les forces démocratiques de libération du Rwanda) qui sont pris comme prétexte par le président rwandais. Ce dernier pointe du doigt Kinshasa qui lui apporterait son soutien. Mboyo pense que le président rwandais instrumentalise cette question des FDLR qui est inexistante selon lui.

Quel pas pour une résolution efficace de cette crise ?

Elle devra passer par un processus déjà démarré en 2013 avec l’accord d’Addis-Abeba. Celui-ci avait impliqué tous les pays de la région, à savoir Kagame, Museveni et le président Kabila à l’époque, mais aussi l’Union africaine ainsi que le Conseil de sécurité de l’ONU, rappelle l’enseignant à l’université de Grenoble. Aujourd’hui, l’intérêt réside dans ce besoin d’aide pour la République démocratique du Congo de faire face aux velléités expansionnistes de M. Kagame.

« La RDC doit aussi mettre de l’ordre dans son territoire. » déclare t’il.

Dernièrement, l’idée d’une réforme constitutionnelle avait divisé les Congolais. L’opposition y a en effet vu une manœuvre du chef de l’État réélu en décembre 2023 pour un second et dernier mandat. Elle avait alors dénoncé une tentative de Tshisekedi de s’accrocher au pouvoir.

Pour le chercheur, on assiste d’une part à la déstabilisation de la RDC de Paul Kagame avec la complicité du président ougandais Yoweri Museveni. D’autre part, Felix Tshisekedi fait face à une gouvernance calamiteuse avec une mauvaise gestion, sans compter l’armée qui ne sait plus à quel saint se vouer : celle-ci combat-elle pour le pays ou pour les intérêts de M. Tshisekedi ?

Pour Patrick Mboyo, tous ces pays qui gravitent autour doivent intimer l’ordre à Kagamé de s’arrêter. La RDC est le carrefour de l’Afrique de l’Est et la paix dans cette région va permettre de faciliter une redynamisation de l’économie africaine. Celle-ci qui est, selon lui, le poumon entre deux géants économiques, à savoir le Nigeria et l’Afrique du Sud.

Mais entre massacres, déstabilisation perpétuelle et tueries à l’est de ce pays, la recherche du progrès tant souhaité risque d’être difficile, conclut -il.

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