Départ des militaires français du Tchad: la fin d’une ère

Départ des militaires français du Tchad: la fin d'une ère
La France a rétrocédé le jeudi (30 janvier 2025) sa dernière base militaire au Tchad. Une cérémonie marquant ce retrait a eu lieu ce vendredi matin à N’Djaména en présence du président tchadien, Mahamat Idriss Déby Itno. Au cours de cette cérémonie, le dirigeant tchadien a salué  le « départ définitif et complet » des forces françaises de son pays. Il a par ailleurs déclaré que  « le Tchad restera ouvert au dialogue avec tous ses partenaires internationaux y compris la France, dans le respect des principes sur lesquels se fondent les relations entre les pays ».
 
L’analyse du journaliste Éric Topona Mocnga, journaliste à la Deutsche Welle.
 
La nouvelle avait suscité un profond sentiment d’incrédulité dans l’opinion publique tchadienne et internationale et fit dans le même temps, les choux gras de la presse nationale et internationale. Le Tchad a mis fin aux accords de coopération en matière de défense avec la France le 28 novembre 2024. La surprise était d’autant plus grande que la forme du message permettait à juste titre de supputer que le départ des troupes françaises du pays n’était pas l’issue d’une concertation préalable entre les deux parties. Car, il n’est pas inutile de rappeler que dans les usages diplomatiques, la forme est tout aussi importante que le fond, lorsque quelquefois, l’une n’est pas tout simplement l’expression de l’autre. Par ailleurs, le choix des réseaux sociaux pour rendre public ce départ visait manifestement à lui donner l’écho le plus large possible.
 
Inutile de revenir sur le champ lexical de ce communiqué  du chef de la diplomatie tchadienne Abderaman Koulamallah, le ministre des Affaires étrangères, des Tchadiens de l’étranger, de la Coopération internationale et porte-parole du gouvernement.
 
Au demeurant, il y’a lieu de constater que certains mots étaient de nature à donner du grain moudre aux milieux panafricanistes et souverainistes qui voient la France à l’origine de tous les maux du continent africain et donc son départ comme l’un des jalons importants de sa renaissance. Les départs successifs des troupes françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger, parfois sous la pression populaire, étaient de nature à conforter l’argument selon lequel le départ des troupes françaises du Tchad s’inscrivait dans l’air du temps.
 
Départ en bon ordre
 
Le départ des troupes françaises du Tchad  ne s’est pas effectué dans les mêmes conditions que dans les trois autres pays du Sahel sus-évoqués. Après le départ d’un contingent de 120 militaires le 11 décembre 2024, la rétrocession au Tchad de la base de  Faya-Largeau (Nord) le 26 décembre 2024, et celle d’Abéché (Est), le 11 janvier 2025, la Base aérienne Sergent-chef Adji Kosseï  de N’Djaména à été également rétrocédé aux autorités tchadiennes le jeudi 30 janvier 2025. « La rétrocession de la base Sergent Adji Kosseï de N’Djaména vient boucler définitivement la présence française au Tchad, conformément à la volonté des hautes autorités » de N’Djaména, a affirmé l’état-major tchadien dans un communiqué publié à la veille d’une cérémonie officielle, qui a eu lieu ce vendredi (31 janvier) à N’Djaména en présence du président Mahamat Idriss Déby Itno pour marquer la fin d’une longue histoire remontant à l’arrivée des troupes coloniales françaises en 1900.
 
« Le camp de Kossei à été rétrocédé ce jeudi 30 janvier à l’armée tchadienne », a ajouté pour sa part le porte-parole de l’état-major des armées français, le colonel Guillaume Vernet. Selon l’officier Français, les personnels et matériels de combat ont été transférés en France, seuls restent sur place des conteneurs qui seront ramenés par voie terrestre et maritime par des prestataires privés.
 
Il faut noter que toutes les étapes du processus  de retrait, n’ont été émaillées d’incident ni acte de malveillance ou d’hostilité de part et d’autre. Le processus a été réalisé en coordination avec les autorités tchadiennes dans le respect de la souveraineté du Tchad.
 
Par ailleurs, pour ceux qui sont attentifs aux déclarations des autorités tchadiennes, notamment la sortie du président Mahamat Idriss Deby Itno à ce sujet, ce départ était non seulement prévisible, mais nécessaire pour des raisons de contexte et d’époque qui s’imposent aux parties tchadienne et française. Pour le chef de l’Etat tchadien, ces accords de coopération en matière de défense qui liaient la France et le Tchad vieux de presqu’un demi-siècle, sont devenus « complètement obsolètes », et s’inscrivent à contre-courant des « réalités géopolitiques et géostratégiques de notre temps ». C’est une évidence.
 
Du côté français le Livre Blanc pour la Défense et la Sécurité nationale qui date de 2013, fait un constat quasiment similaire s’agissant de la présence militaire française en Afrique : « Dans un monde où perdurent de très grandes inégalités de pouvoir et de ressources, les interventions extérieures ne doivent pas être soupçonnées d’être un nouvel instrument de projection abusive de puissance. Pour obtenir l’adhésion qui est une condition de leur succès, elles doivent répondre aux attentes des populations concernées et être portées par des organisations dans lesquelles ces populations se reconnaissent. En Afrique, l’Union africaine et les organisations sous-régionales sont ainsi devenues des acteurs de la sécurité du continent qui apportent une contribution importante à la paix et à la sécurité internationales.
 
La France tire toutes les conséquences de cette évolution et les opérations auxquelles elle participera seront, autant que possible, menées dans des cadres multilatéraux. Elle veillera à ce que ces opérations fassent l’objet, sous l’égide de l’ONU, d’un large accord sur leurs objectifs politiques et qu’elles relèvent d’une action convergente et coordonnée, associant les organisations multilatérales appropriées, en particulier les organisations régionales ou sous-régionales concernées ».
 
La mission effectuée  debut 2024 sur le continent par Jean-Marie Bockel, « envoyé personnel » d’Emmanuel Macron, notamment au Tchad, est à inscrire dans la prise en compte par les deux parties de cette nouvelle donne géopolitique et géostratégique.
 
Il est donc excessif de considérer qu’il s’agit d’une rupture à proprement parler. Puisque les autorités  tchadiennes ont annoncé vouloir poursuivre sa coopération avec Paris dans d’autres domaines.  Le président tchadien Mahamat Idriss Deby a salué ce vendredi 31 janvier  le « départ définitif et complet » des forces françaises stationnées au Tchad au cours d’une cérémonie organisée à N’Djamena pour ce retrait « historique » marquant aussi la fin de la présence française au Sahel.« Nous ne rompons pas notre relation avec la France, mais nous mettons un terme à la dimension militaire de cette coopération », a poursuivi  le chef de l’Etat tchadien devant un parterre d’invités.
Aussi, lorsque le chef de l’Etat tchadien considère ces accords comme frappés d’obsolescence, il s’agit implicitement de considérer qu’il est devenu nécessaire de les repenser. Pour dissiper toute ambiguïté, le général Mahamat Idriss Deby Itno avait déclaré le 1er décembre 2024 que « cette décision de rupture ne représente en aucun cas un rejet de la coopération internationale, ni une remise en cause des relations diplomatiques avec la France » quelques jours après l’annonce surprise de la rupture de ces accords avec son allié traditionnel, qui remontent à l’indépendance du pays le 11 août 1960.
 
« Ce n’est pas une rupture avec la France comme le Niger ou ailleurs« , avait déclaré pour sa part  Abderaman Koulamallah, le chef de la diplomatie tchadienne.
 
Soutien décisif de Paris 
 
Si la France est présente au Tchad longtemps avant les indépendances, précisément depuis 1890 avec les troupes du commandant François Lamy, il ne faut pas considérer que durant toute cette présence, seule l’affirmation de ses ambitions hégémoniques a motivé cette présence. À plusieurs reprises, et ce depuis 1978, l’intégrité territoriale du pays a été menacée au Nord et à l’Est par les tentatives d’annexion de la Bande d’Aouzou (en 1973) par le bouillant colonel et guide libyen Mouammar Kadhafi. Ses prétentions ne furent sauvées que grâce à l’intervention militaire de Paris. 
 
À partir des années 90, les forces françaises sont intervenues à diverses reprises tant par les airs que par le renseignement pour stopper le déferlement de groupes armés rebelles sur N’Djaména. 
 
Il convient de souligner que c’est sous l’opération Épervier que le régime du président décédé Idriss Déby Itno a reçu à plusieurs reprises le soutien décisif (aérien et en renseignement) de l’armée française à chaque fois qu’il était menacé par des assauts rebelles : en 2005, 2006, 2008 ou encore en 2019 et 2021.
 
Sans le soutien de Paris, le président tchadien Idriss Déby Itno n’aurait pas pu par exemple contrer l’offensive de trois forces rebelles coalisées début février 2008.
 
Dans un proche avenir, il faut attendre de voir les nouveaux contours de la coopération militaire entre la France et le Tchad avant de se risquer à toute conclusion hâtive.  
Coopération