Dans une interview à la DW, Mamadian Diallo, du Mouvement démocratique libéral (MoDeL), dont le principal leader, Aliou Bah, est en prison depuis le 7 janvier pour « offense et diffamation » à l’encontre du président de la transition, dénonce une injustice et une usurpation du pouvoir par la junte.
DW : Bonjour madame Diallo.
Mamadian Diallo : Bonjour.
DW : Depuis le 31 décembre 2024, l’opposition guinéenne dit ne plus reconnaître le pouvoir militaire dirigé par Mamadi Doumbouya. Mais n’est-ce pas que la junte déroule tranquillement son agenda sans aucune contrainte ?
Mamadian Diallo : Tout dépend de ce que vous appelez tranquillement. Pour ce qui est de notre positionnement, c’est-à-dire des Forces vives de Guinée, nous l’avons clamé avant et nous continuerons à le dire : le contrat que la junte avait, avec notamment les acteurs politiques en accord avec la société civile, c’était jusqu’au 31 décembre 2024. Donc, à partir de cette date, nous cessons de la reconnaître comme autorité de la transition.
D’ailleurs, le 6 janvier dernier, il y a eu une manifestation qui a été réprimée. On a dénombré trois morts. Et, pour nous, au niveau du Mouvement démocratique libéral, le président du MoDel est entre les mains des autorités de la transition pour « offense au chef de l’État » uniquement parce qu’il a critiqué la gestion de cette transition mais la junte veut tout simplement continuer à gouverner par les armes. Ceci dit, en face d’eux, ils auront une résistance et une résistance pacifique, mais qui continuera à se battre pour que finalement les engagements qui sont pris par les militaires au pouvoir soient respectés.
DW : Justement, selon le porte-parole du gouvernement guinéen, le référendum constitutionnel devrait avoir lieu en mai et les élections générales en octobre. Vous y croyez ?
Mamadian Diallo : Pas du tout. En fait, à nos yeux, les promesses de la junte ne représente plus grand-chose. Parce que pendant ces trois années, les militaires ont eu la possibilité de faire preuve de bonne foi, de responsabilité et de respect de leurs engagements. Il n’en est rien. C’est le même porte-parole du gouvernement qui disait que le président ne passerait pas un jour de plus à la tête de l’État à l’issue de la période de transition. Donc on ne croit plus en rien de ce qui peut être promis par cette junte.
DW : Depuis le 7 janvier dernier, un tribunal de Conakry a condamné à deux ans de prison ferme Aliou Bah, le leader de votre parti politique, le mouvement démocratique libéral, le modèle, pour offense et diffamation à l’encontre du président de la transition. Là aussi, vous n’avez rien pu faire pour éviter cette condamnation ?
Mamadian Diallo : Non, parce qu’au tribunal de première instance de Kaloum, un juge qu’on a espéré être face à ses responsabilités pour prendre la décision qu’il faille, n’a pas été à la hauteur. Parce qu’Aliou Bah n’est coupable d’aucun chef d’accusation. Non seulement il n’a commis aucune offense au chef de l’État, mais il n’a pas commis de diffamation. Donc effectivement, nous n’avons rien pu faire, mais nous continuons le combat. Et nos avocats ont déjà interjeté appel au niveau de la cour d’appel et la procédure suit son cours.
Mais nous ne comptons pas baisser les bras parce qu’Aliou Bah n’est autre qu’un prisonnier de Mamadi Doumbouya, donc un prisonnier d’opinion. Et aujourd’hui, il est le symbole de ce qu’on peut appeler la détermination, la résistance face à cette dictature qui est en train de bien s’installer en Guinée.
DW : Êtes-vous en contact avec lui ? Savez-vous exactement quelles sont ces conditions de détention ?
Mamadian Diallo : Il est à la maison centrale de Conakry. Ceci dit, il est serein et déterminé à mener le combat jusqu’au bout. Donc, même si on le garde physiquement en détention, Aliou Bah se sent libre, déterminé et il nous demande juste d’être plus fort que lui. Parce que lui, il le sera.
DW : Cela fait six mois que deux leaders de la société civile, Foniké et Mamadou Billo Bah, ont disparu. Et récemment, un journaliste critique de la junte a également été enlevé. Avez-vous des informations du lieu où pourraient se trouver ces personnes enlevées ?
Mamadian Diallo : On n’a aucune nouvelle d’eux. J’espère juste qu’ils sont en vie. Nous demandons à ce qu’ils nous les rendent. Foniké, Biloba et tous les autres d’ailleurs parce que ça ne se doit pas. On mérite la démocratie dans ce pays. Mais c’est un combat que nous allons continuer à mener.
DW : Des leaders de l’opposition comme Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré vivent désormais en exil. Et comme eux, de nombreuses voix critiques du pouvoir guinéen dénoncent un régime autoritaire qui a confisqué le pouvoir. Mais le général Mamadi Doumbouya n’a jamais dit qu’il allait se présenter à une élection présidentielle.
Mamadian Diallo : Mais le général Mamadi Doumbouya avait dit aussi que la transition se terminerait le 31 décembre 2024. Le général Mamadi Doumbouya avait dit que c’était la parole d’un soldat et que la parole d’un soldat, c’est sacré.
On n’a rien vu de tout cela jusqu’ici. Donc effectivement, même si le général Mamadi Doumbouya ne s’est pas prononcé sur la question, ce qui est sûr, le général Mamadi Doumbouya ne devait plus être président de la transition en Guinée depuis le 31 décembre 2024.
DW : Les activités des partis politiques, y compris les manifestations, sont de nouveau autorisées en Guinée. N’est-ce pas un signe d’ouverture du champ politique pour aller à des élections ouvertes à tous les candidats ?
Mamadian Diallo : Ce qui est sûr, c’est que pour la manifestation des forces vives qui a été réprimée, nous avons comptabilisé encore trois morts, malheureusement. Mais la manifestation du 6 janvier n’était qu’un début. Nous allons continuer à nous exprimer par des voies pacifiques afin de nous faire entendre, parce que notre message ne s’inscrit que dans la démocratie. Et c’est de notre plein pouvoir de devoir nous exprimer quand on n’est pas d’accord avec ce qui se passe dans le pays. C’est ce que nous entendons faire aussi.
DW : Merci madame Diallo.
Mamadian Diallo : Merci à vous.
Propos recuillis par Bob Barry