Guinée: une fin de transition incertaine et inquiétante, selon le professeur Gayo Diallo

Guinée: une fin de transition incertaine et inquiétante, selon le professeur Gayo Diallo

Ce mardi (31.12.24) devrait officiellement marquer la fin de la transition en Guinée. C’est en tout cas le délai officiel sur lequel la junte au pouvoir depuis septembre 2021 avait signé avec la Cédéao.

Mais tout porte à croire que les militaires n’ont pris aucune mesure concrète pour respecter le délai convenu, au grand dam des acteurs politiques et activistes de la société civile guinéenne qui redoutent la « confiscation du pouvoir par le général Mamadi Doumbouya. Une attitude que le professeur Gayo Diallo, universitaire et  membre du laboratoire d’idées La Nouvelle Donne, juge unilatérale, solitaire et brutale. Dans cet entretien qu‘il nous a accordé, M. Gayo Diallo passe au crible les trois années de la gestion de la junte.

Lesnouvellesdafrique.info: En Guinée, la transition devrait prendre fin officiellement ce 31 décembre. Comment analysez-vous l’attitude des militaires au pouvoir ?

Professeur Gayo Diallo: L’attitude des militaires au pouvoir en Guinée est marquée par une gestion unilatérale, brutale et court-termiste de la transition.  Malheureusement, elle témoigne d’une volonté de se maintenir au pouvoir, par la force si nécessaire, trahissant ainsi les aspirations du peuple guinéen et faisant fi de l’incertitude quant à l’avenir politique du pays. À l’approche de la date annoncée pour la fin de la transition et sous la pression nationale et internationale pour un retour à un gouvernement civil, leur comportement se manifeste par des actions répressives, comme l’arrestation d’une figure de l’opposition qui dénonçait la situation. Ils semblent privilégier une stabilité superficielle à court terme pour consolider leur position, s’éloignant ainsi des promesses faites lors du coup d’État du 5 septembre 2021.  Des signes de résistance aux demandes citoyennes pourraient influencer leur stratégie. La Nouvelle Donne appelle les militaires du CNRD à faire preuve de responsabilité et à respecter les engagements pris lors du coup d’État de 2021.

Lesnouvellesdafrique.info: Les militaires vont-ils rendre le pouvoir à un civil élu ?

Professeur Gayo Diallo: Bien que ce soit l’objectif de toute transition, le comportement du CNRD rend la situation incertaine.  La majorité des Guinéens et la communauté internationale souhaitent un retour à un gouvernement civil élu, mais l’attitude des militaires ces trois dernières années semble défier cet objectif.  Leur volonté de céder le pouvoir dépendra fortement de la mobilisation des partis politiques, de la société civile et des citoyens guinéens qui aspirent au changement et à une sortie de crise pacifique.

 

Lesnouvellesdafrique.info: Ce 15 décembre, des acteurs de la société civile ont manifesté leur souhait de mettre en place un nouveau dialogue pour discuter de l’éventuel glissement du calendrier de la transition ainsi que de la mise en place d’une transition civile. Mais franchement, cela va-t-il aboutir à une fin apaisée de la transition guinéenne ?

 

Professeur Gayo Diallo: L’instauration d’un dialogue est cruciale pour apaiser les tensions, mais sa réussite dépend de l’engagement des militaires au pouvoir et de la capacité des acteurs civils à s’unir.  Si le dialogue est perçu par tous comme une véritable opportunité de changement et de transition vers un gouvernement civil, il pourrait conduire à une issue favorable.  Cependant, les défis structurels et les intérêts divergents des parties prenantes complexifient la situation.  L’intérêt immédiat du CNRD et de ses partisans doit céder la place à la construction d’un projet collectif qui transcende les intérêts particuliers.

Lesnouvellesdafrique.info: Le 6 janvier prochain, les manifestations vont reprendre dans le pays, à l’appel des Forces vives de Guinée – une organisation non homogène composée de partis politiques et d’organisations de la société civile. Peut-on craindre une montée des violences comme celles que la Guinée a connues sous différents régimes civilo-militaires ?

Professeur Gayo Diallo: Face aux manifestations annoncées et au déploiement massif de forces de sécurité, le risque d’escalade de la violence est réel.  L’histoire de la Guinée a montré que les tensions peuvent rapidement dégénérer et entraîner des pertes humaines. La situation dépendra donc de l’attitude des forces de l’ordre et de la gestion des manifestations par le pouvoir. Si les militaires maintiennent l’interdiction des rassemblements tout en autorisant ceux de leurs partisans, la situation pourrait devenir incontrôlable. S’il est louable pour les forces politiques et la société civile d’avancer groupées, il convient toutefois d’éviter les alliances contre-nature et de rester surtout sur un combat pour des principes. Ainsi, si le parti RPG est tout à fait le bienvenu dans cette démarche, il n’est pas souhaitable d’associer la personne de l’ancien président monsieur Alpha Condé, qui est en grande partie responsable de la situation de l’arrivée des militaires et de la transition actuelle.

Lesnouvellesdafrique.info: Comment éviter une escalade de violences et de tensions sociales ?

Professeur Gayo Diallo: Pour prévenir l’escalade, il est essentiel de promouvoir un dialogue inclusif et sincère, d’encourager la médiation entre les parties prenantes et de garantir la protection des droits humains et des libertés fondamentales, tout en respectant les engagements pris.  Les autorités doivent démontrer leur volonté de respecter les libertés d’expression et de rassemblement, sensibiliser les communautés à la résolution pacifique des conflits et demander aux partisans du CNRD et du gouvernement de s’abstenir de toute contre-manifestation.  Malheureusement, l’attitude récente des autorités ne semble pas aller dans ce sens, mais nous espérons nous tromper.

 
Lesnouvellesdafrique.info: Revenons à présent sur le drame survenu à N’Nzérékoré lors d’un match de football en soutien aux militaires au pouvoir. Un incident meurtrier fait suite à l’incendie survenu dans un dépôt de carburant à Kaloum, le 18 décembre 2023. Même si les deux événements sont totalement différents par leur mobile, quels enseignements tirez-vous de ces catastrophes humaines sous le CNRD ?

Professeur Gayo Diallo: Ces tragédies en Guinée mettent en lumière les conséquences dramatiques de l’imprudence et du manque de régulation, que ce soit lors d’événements publics ou dans la gestion des infrastructures à risque. Elles soulignent la nécessité d’une meilleure gestion des crises et d’une communication transparente de la part des autorités.  Le drame du dépôt de Kaloum s’est produit alors que l’accès à internet était coupé et que des médias indépendants étaient interdits, aggravant les problèmes d’information et de communication.

Malheureusement, les leçons ne semblent pas avoir été tirées, comme le montre le tournoi de Nzérékoré qui s’est tenu dans un stade dont les travaux de réhabilitation sont à l’arrêt depuis 2010.  De plus, le nombre exact de victimes reste inconnu, les autorités ayant communiqué un bilan de 56 morts, contre 153 selon les ONG de défense des droits humains.  La Nouvelle Donne appelle à une gouvernance responsable, transparente et à l’écoute des citoyens pour éviter de futurs drames. Ces incidents doivent inciter à renforcer les mesures de sécurité et à réévaluer les pratiques en matière d’organisation d’événements et de gestion des infrastructures.

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