Bénin : le Code du numérique perçu comme une menace pour la liberté des citoyens

Bénin : le Code du numérique perçu comme une menace pour la liberté des citoyens

Promulgué en 2018, le Code du numérique béninois continue de susciter des débats au sein de la société civile et des défenseurs des droits humains. Des peines d’emprisonnement, du harcèlement par le biais des réseaux sociaux, de la cybercriminalité, du numérique ou encore de la cybersécurité : des concepts clés qui ne sont pas définis dans le document, dénonce l’ONG Internet sans frontières. Malgré les efforts consentis par le gouvernement pour transformer la digitalisation dans ce pays, le texte est toujours pointé du doigt pour ses implications sur les libertés individuelles.

« Après six ans d’application, nous estimons au sein d’Internet sans frontières qu’il importe de jeter un regard critique sur le Code du numérique pour mieux anticiper son avenir face aux changements auxquels nous assistons en République du Bénin dans le paysage numérique et face aux ambitions du gouvernement béninois dans ce secteur », explique Dr Qemal Affagnon , responsable de la section Afrique de l’Ouest d’Internet sans frontières.

Selon lui, une tendance abusive aux interpellations sans convocation et des cas de détentions arbitraires qui ont été observés ces derniers temps. Ce qui les pousse à plaider pour la relecture du code numérique, même si « le gouvernement béninois a certes opéré des réformes qui ont favorisé de grandes réalisations dans le secteur du numérique, réalisant des progrès sur le plan des infrastructures numériques et dans la dématérialisation des services de son administration publique, dans la mise en œuvre de projets structurants pour le développement des infrastructures numériques et des services et systèmes d’information sécurisés ». S’illustrant également par sa volonté de procéder à la codification des textes législatifs et réglementaires dans le secteur du numérique », explique-t-il.

« À travers le Code du numérique, le Bénin s’est doté d’un cadre législatif adopté par l’Assemblée nationale en juin 2017 et promulgué ensuite par le Président de la République en avril 2018. Toujours en 2018 , les députés béninois avaient procédé à la mise en conformité du Code du numérique avec la Constitution du Bénin . Cette mise en conformité est intervenue après une décision rendue par la Cour constitutionnelle un an au préalable. La décision de la Cour constitutionnelle avait apporté des modifications à certains articles du code . Les parlementaires se devaient donc d’intégrer ces corrections au texte pour qu’il soit conforme à la Constitution.»

Ensuite, depuis sa version modifiée de 2020, le Code du numérique contient 647 articles répartis dans 31 chapitres et 8 livres. Dans l’ensemble, le document prévoit des règles applicables entre autres au commerce électronique, à la protection des données personnelles, à la cybercriminalité et à la cybersécurité. Outre les communications électroniques et les secteurs précités, les livres du Code portent également sur les services de confiance, par exemple. Au regard de tout ceci, on peut donc dire qu’il s’agit d’un projet de grande envergure.

Pour l’expert, Internet sans frontières salue les avancées apportées par le Code du numérique, « qui a permis au Bénin de se positionner comme un modèle dans la sous-région, d’autant plus que ce texte contribue à l’avancement des droits numériques, de manière générale ».

De plus, dit-il, dans sa volonté de procéder à la codification des textes législatifs et réglementaires dans le secteur du numérique , ce texte de loi vient faciliter, par exemple, l’organisation du secteur des opérateurs GSM en vue d’améliorer leurs prestations. Ce texte contient des procédures de sanctions applicables aux opérateurs de réseaux et services de communications électroniques, par exemple . Il en est de même pour les procédures applicables au règlement des différends dans le domaine des communications électroniques et de la poste. On peut également faire allusion au contenu du code qui traite également de la liste des bandes de fréquences radioélectriques destinées à l’établissement et à l’exploitation des réseaux ouverts au public soumis au régime de licence en République du Bénin . Le périmètre couvert par ce texte de loi est donc bien large et le Code tente donc d’encadrer l’action des différents intervenants dans le secteur numérique du Bénin tout en apportant également une protection virtuelle convenable aux internautes au travers des diverses activités qui se développent en ligne , en République du Bénin.

Malgré ces avancées, les défis restent immenses.

À en croire M. Affagnon, les dispositions qu’il dénonce entre autres dans ce code sont importantes. Il explique qu’ « on retrouve la peine d’emprisonnement qui, par une formulation trop large et trop vague, pourrait servir à étouffer la liberté d’expression en ligne. » Or, la liberté d’expression est un droit fondamental reconnu à l’article 23 de la Constitution du Bénin. De plus, la liberté d’expression existe lorsque les citoyens peuvent exprimer leur opinion, y compris des points de vue critiques à l’égard des autorités, sans craindre des conséquences négatives, telles que l’emprisonnement. À Internet sans frontières, nous estimons que la protection de la liberté d’expression en ligne permet de s’attaquer plus facilement aux problèmes systémiques qui concernent le fonctionnement d’un État.

De plus, la protection de la liberté d’expression en ligne permet également de dissuader les politiques de poursuivre des activistes, par exemple , notamment pour diffusion de fausses nouvelles ou pour harcèlement par le biais des réseaux sociaux, une formulation trop large et trop vague. Ou, dit-il, en droit international des droits de l’homme, les textes stipulent que les citoyens doivent pouvoir porter des messages critiques, voire outrageants à l’encontre du président de la République, par exemple, ou d’autres personnalités publiques, sans avoir peur d’être arrêtés ou d’être détenus pour ces propos.

Et puis, alors qu’on parle du Code du numérique, les concepts clés tels que cybercriminalité , cybersécurité ou encore numérique ne sont pas définis dans le document . Ces définitions sont fort utiles dans un document aussi sensible que le Code du numérique, surtout s’il s’agit de concepts qui peuvent être compris de différentes manières, selon les écoles de pensée et les époques. Le fait que ces concepts clés, à savoir la cybercriminalité, la cybersécurité ou encore le numérique, ne soient pas définis dans le code est étonnamment irrespectueux envers les citoyens béninois au regard de la place qu’occupe le secteur du numérique dans la politique menée par le gouvernement béninois. Par ailleurs , la codification actuelle peut être qualifiée de lente concernant la mise à niveau du cadre juridique au sujet de l’intelligence artificielle, de la blockchain, de l’open data ( les données publiques) et des plateformes en ligne.

Des actions menées pour accompagner sa transition

Internet sans Frontières a tout d’abord pris part aux travaux préparatoires de l’examen périodique universel afin de faire évoluer la discussion avec tous les États concernant la relecture du code, en particulier ceux qui ont de l’influence au sein des Nations unies, dit-il. L’EPU est un mécanisme d’évaluation mené par les États pairs, piloté par les États eux-mêmes et par le biais duquel tous les États membres de l’ONU sont examinés selon les mêmes modalités.

En dehors des sessions de discussion organisées dans le cadre de l’examen périodique universel, nous avons également travaillé avec les députés béninois en organisant des sessions de travail avec eux pour leur montrer, dans un premier temps, les dispositions du Code du numérique qui ne participent pas à la libre expression ainsi qu’au respect des droits numériques en prenant appui sur le droit international des droits de l’homme.

Des recommandations pour réformer le texte

Au regard des recommandations soutenues par le Bénin dans le cadre de l’examen périodique universel, nous demandons aux autorités béninoises d’accorder une place conséquente à la liberté d’expression ainsi qu’au droit à la vie privée pour que ces thématiques occupent une place importante dans le volet numérique des actions du gouvernement béninois en cours de déploiement.
En effet, conclut le docteur, dans le cadre de la poursuite de la mise en œuvre du programme d’actions du gouvernement, l’année 2025 pourrait connaître la mise en œuvre de nouveaux projets structurants dans le secteur du numérique et des médias.

Dans le même temps , les regards sont tournés vers le Bénin, afin que le pays mette en œuvre les recommandations qui lui ont été adressées, notamment au sujet du Code du numérique, et pour qu’il puisse entamer la préparation de l’examen suivant.

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