C’était en juillet 2024, sous le ciel d’Afrique, précisément au Mali, le monde entier découvrait alors, médusé, de nombreux cadavres de mercenaires russes de la milice d’Africa Corps (ex-Wagner) ensablés dans le désert sahélien. D’autres, qui avaient eu la vie sauve, avaient été faits prisonniers.
Les regards hagards, tétanisés, humiliés, ils réalisaient qu’ils ne vivaient pas un cauchemar, mais une humiliante et cuisante défaite, alors que, dans certains palais présidentiels en Afrique, Africa Corps était considéré comme une protection tous risques et le symbole de l’invincibilité russe en Afrique.
Douche froide
Au sein de certaines opinions publiques en Afrique, qui en étaient à triompher de la substitution dans leurs pays de la coopération militaire européenne, notamment française, par celle d’une Russie respectueuse de la souveraineté des États africains, ces images d’une assistance militaire russe à la renverse firent l’effet d’une véritable douche froide. Mais plus qu’en Afrique, ce fut à Moscou que cette déroute des hommes de Wagner, en plein conflit russo-ukrainien, fut du plus mauvais effet.
La Russie de Vladimir Poutine, comme le personnage d’ailleurs, a construit sa communication en direction du monde occidental, comme du sud global, sur le mythe de l’invincibilité. Et le tsar de Moscou, dans sa stratégie de communication présidentielle, joue à merveille, depuis des décennies, de symboles qui confortent une image d’invulnérabilité. Il était cependant raisonnable pour la Russie d’arguer que l’humiliation des paramilitaires de Wagner dans le bourbier sahélien ne concernait que des forces combattantes russes de seconde zone et non l’armée régulière de Russie.
Voici qu’intervient, il y a quelques jours, l’effondrement spectaculaire du régime cinquantenaire des Assad, dont l’héritier, Bachar, et son clan sont soutenus militairement depuis 2015 par Moscou. La chute de Bachar al-Assad et son exfiltration précipitée vers Moscou furent d’autant plus surprenantes que la Russie était partie prenante des combats, notamment par le biais de sa flotte militaire aérienne qui n’a cependant pas pu stopper la progression des nouveaux maîtres de Damas jusqu’au cœur de la capitale syrienne. L’effondrement du régime de Bachar al-Assad et de sa coterie n’est pas sans rappeler le renversement en 1979 du Shah d’Iran (Mohammad Reza Chah Pahlavi dit Aryamehr ou Shahanshah), pourtant soutenu par les Américains et les Israéliens. Mais c’est tout précipitamment que le tout-puissant maître de Téhéran d’alors dut quitter le pouvoir, sous les coups de boutoir de la révolution islamique, pour un exil d’où il ne reviendra jamais, abandonnant des terres dont il fut pourtant le monarque absolu. Il est mort le 27 juillet 1980 au Caire, en Égypte.
La chute, le 8 décembre 2024, du dictateur syrien pose bien évidemment des questions sur la capacité de la Russie de Vladimir Poutine à incarner sans défaillir la puissance qu’elle revendique sur la scène internationale. En effet, c’est dès 2011 que Moscou, d’abord par la voie diplomatique, est venu au secours de Bachar al-Assad en bloquant une résolution au Conseil de sécurité des Nations unies, officiellement pour empêcher toute intervention militaire de l’OTAN en Syrie, comme en Libye, dans le contexte brûlant des printemps arabes. Mais c’est en 2015 que Moscou assoit sa présence militaire en Syrie, autant par la formation de l’armée syrienne que par une assistance militaire en armes, dans les airs, sur terre et en mer. La Russie empêchera ainsi les troupes islamistes de Daesh de marcher sur Damas. Mais c’était d’abord pour les intérêts bien compris de la Russie.
Lieu de positionnement stratégique
La Syrie a longtemps été pour la Russie un lieu de positionnement stratégique. Elle avait toute autorité sur une base aérienne à Hmeimim d’où elle pouvait projeter ses miliciens d’Africa Corps, entre autres jusqu’en Afrique. La base navale de Tartous, seule base militaire navale russe hors des frontières nationales et en Méditerranée, est aujourd’hui à l’abandon. Il n’est pas superflu de relever que, durant la Guerre froide, cet outil militaire stratégique pouvait accueillir 50 navires de guerre. Cette base militaire fut d’ailleurs fortement mise à contribution par Moscou au moment du déclenchement de la guerre en Ukraine.
Ces importants intérêts géostratégiques de Moscou, en plus d’intérêts économiques non moins importants, expliquent le profil bas de la Russie depuis l’arrivée au pouvoir des rebelles et son attitude conciliante pour ne pas insulter l’avenir.
Panique des putschistes du Sahel
Mais la Russie seule n’a pas de souci à se faire depuis la chute des Assad. Certains dirigeants africains voyaient en Moscou une assurance tous risques pour se maintenir ad vitam aeternam au pouvoir ; certains au prétexte douteux d’être les chantres d’une révolution panafricaniste et souverainiste, voire d’une obscure renaissance africaine, qui peut faire abstraction des libertés et d’une vie démocratique. Ces régimes, de transition au départ, se muent chaque jour en régimes despotiques et habités par l’obsession d’un pouvoir perpétuel, car ils pouvaient se targuer du parapluie militaire invulnérable de la Russie de Poutine. Ceux-là, comme ceux qui seraient tentés de faire leurs classes à l’école russe, face à l’effondrement en château de cartes du régime de Bachar al-Assad, en dépit de la surprotection de Moscou, en sont sûrement à se poser cette question biblique pleine de sens : « Si le bois vert brûle, qu’en sera-t-il du bois sec ? »
Éric Topona, journaliste à la Deutsche Welle en Allemagne
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