« L’accueil d’un bébé hydrocéphale au sein de la famille est mitigé », selon le Pr Youssoupha Sakho (neurochirurgien).

Le 25 octobre est la date choisie pour sensibiliser sur la maladie de l’hydrocéphalie, une pathologie assez fréquente chez les nourrissons qui se traduit par une morphologie classique de grosse tête sur un corps frêle. Considérée en Afrique comme la réincarnation du mal qui doit être exorcisé, pourtant l’hydrocéphalie découle d’une cause scientifiquement connue, comme nous le décrit, dans cet entretien, le Pr Youssoupha Sakho.

Ce neurochirurgien des hôpitaux et ancien chef de service de neurochirurgie de l’Hôpital Général Idrissa Pouye de Dakar (HOGIP) explique en profondeur les mécanismes relevant de l’hydrocéphalie et son diagnostic.

Lesnouvellesdafrique.info (LNA) : Pr Youssoupha Sakho, bonjour,

Pr Youssoupha Sakho : Bonjour.

LNA : l’hydrocéphalie est une accumulation excessive de liquide à l’intérieur des cavités du cerveau, due à une mauvaise circulation ou une absorption déficiente. Mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette déficience ?

Youssoupha Sakho : Hydrocéphalie signifie littéralement « eau dans le cerveau ». À cette définition, il faudrait ajouter la distension progressive des cavités ventriculaires du cerveau, ce qui va se traduire chez le nourrisson ou chez le petit enfant par cette morphologie si classique de « grosse tête sur un corps grêle ».

Mais pour une meilleure compréhension du mécanisme de l’hydrocéphalie, il faudrait que l’on rappelle d’une façon succincte et simple l’anatomie des ventricules du cerveau et la physiologie du liquide céphalo-spinal ou céphalo-spinal (LCR). Sur le plan anatomique, l’on sait qu’au niveau des hémisphères cérébraux sont aménagées des cavités appelées ventricules. Elles sont au nombre de 4 et elles communiquent entre elles pour former un véritable système ventriculaire. Ce système ventriculaire compartimenté est en situation intra-cérébrale ; il s’ouvre vers des espaces sous-arachnoïdiens péri cérébraux et péri médullaires (espaces délimités par les méninges et qui enveloppent le cerveau et la moelle épinière).

Cet ensemble constitue un espace de stockage et de circulation du liquide céphalo rachidien dont la composition est proche du plasma sanguin (mais sans les protéines et les éléments cellulaires). Ce liquide a un aspect clair « eau de roche », et il est sécrété aux niveaux de formations glandulaires intra-ventriculaires désignées comme plexus choroïdes. La réabsorption de ce liquide se produit au niveau de la surface médiane du cerveau, précisément aux niveaux des granulations (granulations de Pacchioni) qui sont des sortes d’exutoires qui s’ouvrent sur les grosses veines médianes de la dure-mère (sinus longitudinal supérieur).

À l’état normal, il existe un équilibre entre la quantité de LCR secrétée et celle qui est réabsorbée ; en moyenne, 500 cc de LCR se forment en 24 h, ce qui signifie que ce système de circulation qui contient 150 cc se renouvelle au moins 3 fois par jour. Il faut savoir que le LCR assure une triple fonction : celle de protection de l’encéphale contre les agressions traumatiques ou chimiques, surtout de transport d’éléments nutritifs ou bien d’hormones, et en dernière instance, ce LCR permet aussi un nettoyage afin que le cerveau se débarrasse de toutes les substances dégradées.

Par rapport à tout ce préalable qui peut sembler rébarbatif, on peut comprendre que l’hydrocéphalie relève de 3 mécanismes : soit c’est un blocage de la circulation du LCR par le développement d’une tumeur ou la présence d’une malformation dans le système ventriculaire (exemple : sténose de l’aqueduc de Sylvius). On parle d’hydrocéphalie tumorale et d’hydrocéphalie malformative.
Le deuxième mécanisme se laisse voir devant un liquide céphalo rachidien dont la fluidité de circulation est altérée par une infection (méningite) ou une hémorragie méningée ; on parle ainsi d’hydrocéphalie post infectieuse ou post hémorragique.
Le troisième mécanisme est soupçonné devant un défaut de résorption du LCR comme conséquence d’une incompétence des granulations de Pacchioni secondaire au vieillissement ou bien à une thrombophlébite cérébrale.

En fin de compte, ces 3 phénomènes morbides vont perturber gravement l’hydrodynamique du liquide céphalo rachidien qui va s’accumuler progressivement dans une enceinte close dont les parois (paroi épendymaire) vont subir des contraintes excessives. Le résultat, c’est l’installation d’une distension et d’un élargissement des ventricules (ventriculo-mégalie) ; le second impact nocif sur le cerveau est que ce gradient de pression va se déployer au détriment du parenchyme cérébral qui va progressivement souffrir, avec à la longue un phénomène de perte neuronale.

Scanner cérébral qui montre un élargissement important des ventricules

Cette détérioration structurale va entrainer des désordres neurocognitifs chez les enfants. Il est évident dans le cadre de cet interview destiné au grand public d’aborder toutes les problématiques en rapport avec la physiopathologie de l’hydrocéphalie que chez l’adulte, on peut rencontrer une pathologie particulière qu’on appellera hydrocéphalie chronique dont la traduction clinique est totalement différente de celle de l’enfant.

LNA : Alors à partir de quel moment on établit le diagnostic de l’hydrocéphalie chez le patient et quels sont les symptômes apparents ?

Pr Youssoupha : Les circonstances de découverte d’une hydrocéphalie sont multiples. Le diagnostic peut se faire lors d’un contrôle échographique effectué au cours d’une consultation.
Il faudrait insister auprès des femmes en état de grossesse sur l’importance des visites prénatales. Cette hydrocéphalie peut s’associer à un spina bifida dont une des étiologies serait en rapport avec une carence maternelle en acide folique. Les gynécologues accoucheurs ou les sage-femmes peuvent être confrontés à des problèmes de dystocie ou d’interruption médicale de grossesse dont l’effectivité continue de soulever beaucoup de problèmes éthiques.

Le cas des parents qui amènent en consultation leur enfant qui présente d’une façon fréquente des pleurs incessants avec irritabilité combinée à un refus de téter avec des régurgitations. Chez le grand enfant, on peut constater une maladresse gestuelle, un ralentissement psychomoteur ou bien une régression des capacités d’apprentissage.
Parfois, c’est la maman qui alerte sur l’aspect tendu et immobile de la fontanelle antérieure.

Deux signes d’examen, dont les plus caractéristiques : c’est d’abord le regard qualifié en soleil couchant. En effet, le noir d’iris a tendance à descendre en dessous de la ligne des paupières inférieures ; surtout si l’aspect volumineux de la tête est attesté par la mesure du périmètre crânien (une courbe incluse dans tous les carnets de santé des enfants).

Aussi, la palpation de la tête confirme l’élargissement de la fontanelle antérieure et son caractère distendu, et parfois un amincissement du cuir chevelu parcouru par des veines. On constate aussi un visage petit par rapport au crâne.

L’hydrocéphalie peut se manifester tardivement chez les grands enfants après fermeture physiologique des sutures crâniennes par un syndrome d’hypertension intracrânienne qui associe des vomissements intermittents et incoercibles et des céphalées aiguës.
L’examen neurologique du nourrisson retrouvera des troubles de certains réflexes archaïques, une hypertonie axiale.
La confirmation diagnostique est effectuée par des outils d’imagerie cérébrale tels qu’une échographie, un scanner, ou une imagerie par résonance magnétique (IRM). Et parfois, on réalise une ponction ventriculaire pour analyser l’aspect et la composition du LCR. Selon le contexte et les données cliniques, on aboutit à une orientation étiologique.

LNA :  Est-ce que l’hydrocéphalie est une maladie qui nécessite toujours une intervention chirurgicale ?

Pr Youssoupha : La plupart du temps, l’indication d’une chirurgie se pose devant une hydrocéphalie de l’enfant et du nourrisson. Il s’agira d’envisager des procédures chirurgicales de contournement de l’obstacle à la circulation du LCR par des techniques de diversion ou de dérivations ventriculaires vers des sites de résorption intra ou extra crâniens. Par la neuroendoscopie ou bien par l’insertion d’un shunt ventriculo péritonéal ou ventriculo-cardiaque, on arrive à contrôler le processus hydrocéphalique.

Toutes ces techniques chirurgicales se pratiquent de façon routinière dans les différents services neurochirurgicaux du Sénégal. Il faut dire qu’il y a quelques années, nous étions confrontés à un problème d’approvisionnement de matériels de dérivation qui furent très onéreux pour les populations. Devant une hydrocéphalie en rapport avec une tumeur cérébrale, on procède à une chirurgie directe d’exérèse par l’ouverture de la boite crânienne ou bien par des techniques minimales invasives endoscopiques.

LNA : Expliquez-nous comment s’effectue la prise en charge ?

Pr Youssoupha : La prise en charge de l’hydrocéphalie est multidisciplinaire, le neurochirurgien étant le maitre d’orchestre. D’abord, il y a le gynécologue obstétricien ou sage-femme qui interpelle le neurochirurgien dans l’élaboration d’un projet thérapeutique qui doit être impérativement validé par les parents. Puis il y a le pédiatre qui souvent réfère le patient au neurochirurgien pour avis diagnostic et thérapeutique. Ce dernier participe aussi au suivi post-thérapeutique (surveillance des signes cliniques du PC, du regard).

Le pédopsychiatre et le psychomotricien sont aussi impliqués dans la prise en charge. Il apparaît alors que la prise en charge de ces pathologies pédiatriques demeure lourde pour les parents qui souvent vivent dans un environnement d’inconfort et d’insécurité matérielle. Les politiques publiques en santé de la majorité des pays du Sud prennent rarement en compte ces pathologies non transmissibles alors qu’elles sont pourvoyeuses d’une mortalité appréciable.

LNA : En Afrique, particulièrement au Sénégal, les malades qui souffrent de cette pathologie bénéficient-ils de l’accès aux soins et qu’en est-il des traitements ?

Pr Youssoupha : Il faut savoir qu’au niveau de l’espace francophone subsaharien, le Sénégal fut le premier à disposer d’un service de neurochirurgie ; ainsi, de nombreux travaux cliniques ont déjà été réalisés sur ce thème. En moyenne annuellement, nous pouvons dire qu’une centaine de patients porteurs d’hydrocéphalie sont opérés dans la région de Dakar. Nos jeunes collègues qui officient dans les autres régions (Kaolack, Saint-Louis, Ziguinchor, Thiès) ne sont pas en reste. Il faut avouer que nous éprouvons parfois quelques difficultés pour assurer un suivi post-thérapeutique de qualité pour des patients qui habitent dans des lieux éloignés d’une unité neurochirurgicale. Nous pensons amoindrir ces obstacles en initiant des campagnes de sensibilisation et de formations auprès des parents et surtout auprès des travailleurs de santé de première ligne.
Dans la sous-région subsaharienne, nous constatons presque à l’identique le même profil épidémiologique, avec toujours la prédominance de l’hydrocéphalie post méningitique suivie de l’hydrocéphalie malformative par sténose de l’aqueduc de Sylvius ou bien associée à un spina bifida.

LNA : La stigmatisation et la discrimination sont aussi les maux dont souffrent les patients de l’hydrocéphalie. Comment faire pour lutter efficacement contre les clichés ?

Pr Youssoupha : L’accueil au sein de la famille d’un bébé hydrocéphale est mitigé, tout dépend de la socio-culture dans laquelle la famille est immergée.

Enfant hydrocéphale ; noter la macrocéphalie et le regard en coucher de soleil

Historiquement, l’on a noté au sein de certains groupes sociaux du Sud des pratiques « d’euthanasie passive ». Les hydrocéphalies monstrueuses sont considérées comme la réincarnation du mal qui doit être exorcisé. Parfois, ce sont les parents qui isolent l’enfant de son entourage pour ne pas susciter une crainte ou une exclusion sociale. Le versant positif que l’on constate, c’est un sentiment d’hyperprotection et de compassion extrême qui se fait jour devant ce petit être ; et les parents s’investissent fortement dans la prise en charge globale.

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