Dans un rapport de 23 pages intitulé « Ils m’ont jeté dans l’eau et battu » : La nécessité de rendre des comptes pour la torture au Rwanda, l’ONG Human Rights Watch documente la torture et les mauvais traitements infligés à des détenus par des fonctionnaires pénitentiaires et des détenus dans la prison de Nyarugenge, située à Kigali, la capitale du Rwanda, ainsi que dans la prison de Rubavu, dans l’ouest du pays, et dans un centre de détention non officiel à Kigali connu sous le nom de « Kwa Gacinya ».
Selon Clémentine de Montjoye, l’auteure du rapport, qui met en lumière la récurrence systématique de ces mauvais traitements, l’ONG a documenté la détention illégale et les abus subis par des personnes dans ce centre de détention non officiel à Kigali, où elles ont été forcées de témoigner pour des crimes. Ces témoignages ont été extorqués à travers des passages à tabac, des simulacres d’exécution et des menaces de mort, avant que les détenus ne signent des confessions utilisées lors des procès. Elle souligne que des juges ont ignoré ces allégations lorsqu’elles ont été soulevées lors des procès, en violation des normes internationales relatives aux droits humains.
Dans les prisons de Rubavu et de Kigali, un système de torture a également été documenté, selon la chercheuse senior. « Un grand réservoir d’eau était utilisé pour submerger les prisonniers, qui étaient ensuite battus, souvent comme punition. Certains détenus dorment dans des conditions froides, tandis que d’autres sont battus jusqu’à l’épuisement. Nous avons constaté que le directeur de la prison, qui avait mis en place ce système à la prison de Rubavu, a été muté à Kigali, où le même système a été instauré. En 2019, cela avait entraîné la mort d’un détenu », dénonce-t-elle.
Ces pratiques ont créé un environnement d’impunité presque totale.
Selon Mme de Montjoye, en général, les autorités rwandaises bénéficient d’une impunité quasi totale pour les violations des droits humains et les abus, notamment en ce qui concerne les mauvais traitements et la torture infligés aux détenus. Cependant, elle note qu’une brèche dans ce mur d’impunité est apparue l’année dernière, avec l’arrestation et le procès de six responsables pénitentiaires et de douze prisonniers chargés de la sécurité. Cela laisse entrevoir la possibilité de poursuites supplémentaires contre les responsables de ces abus.
Le Rwanda, souvent reconnu pour son refus de se conformer aux rapports des organisations de défense des droits humains, fait face à des critiques récurrentes. Mme de Montjoye explique comment Human Rights Watch parvient à collecter des informations malgré ces obstacles. « Human Rights Watch travaille sur le Rwanda depuis les années 1990. Bien que quatre de nos chercheurs aient été interdits d’entrée dans le pays au cours des trois dernières décennies, nous continuons à documenter les violations des droits humains. Ce rapport est le fruit de recherches menées depuis 2019, comprenant des entretiens avec d’anciens détenus et l’observation de procès au cours desquels des allégations de torture ont été soulevées par des accusés demandant de l’aide pour mettre fin à leurs conditions de détention pénibles », explique-t-elle.
Mme de Montjoye, qui travaille auprès de la division Afrique, souligne que le Rwanda est souvent perçu comme un partenaire privilégié, notamment en matière de sécurité, à travers sa participation aux forces de maintien de la paix de l’ONU, que ce soit en République centrafricaine ou dans d’autres pays, ainsi qu’à travers des actions bilatérales comme sa présence dans le nord du Mozambique. Par ailleurs, elle reconnaît les progrès indéniables réalisés par le Rwanda en matière de développement depuis le génocide de 1994.
Cependant, elle préconise une approche nuancée vis-à-vis du Rwanda. « Tout en reconnaissant les avancées en matière de développement, cela ne devrait pas empêcher les partenaires du Rwanda de demander des comptes aux autorités sur le respect des droits civils et politiques. Il est crucial de mettre fin à cette impunité et d’améliorer le respect des droits de l’homme », conclut-elle.
Elle ajoute que le procès historique des responsables pénitentiaires constitue un premier pas important vers la justice, mais qu’une réponse plus globale est nécessaire pour éradiquer la pratique profondément enracinée de la torture au Rwanda.