Grossir pour un corps de rêve, le nouveau challenge des Sénégalaises

« Urgence », « Diogoma », « Belli », sont des noms attribués à des produits pour grossir de la poitrine, les fesses ou les hanches. C’est désormais le challenge des femmes sénégalaises pour prendre du poids et attirer l’attention des hommes.

S’il fut un temps où les médicaments prescrits pour les allergies « antihistaminiques » vendus en pharmacie étaient prisés pour leurs effets stimulants d’appétit, aujourd’hui, la tendance est à l’utilisation des produits dits « bio », conçus sous forme de comprimés, d’huiles, de crèmes ou de suppositoires. Aujourd’hui, les femmes africaines ne lésinent pas sur les moyens pour galber leurs rondeurs pour paraître plus belles – à tous les coûts.

Au Sénégal, la pratique fait fureur, surtout sur les réseaux sociaux tels que TikTok, Instagram et Facebook. Ces plateformes numériques sont devenues des moyens de vente et de communication incontournables pour rehausser le caractère bénéfique de l’utilisation des produits de « beauté », en témoignent les commentaires laissés par des internautes et des utilisatrices. Plus besoin de se déplacer dans les boutiques : un simple coup de fil, le produit est livré en un temps record.

Dans cette boutique sise à Sacré-Cœur, un quartier de la périphérie dakaroise, l’enseigne lumineuse indique : vente de produits bio. À l’intérieur, les produits rangés sur des comptoirs attirent les clients. Venue à notre rencontre, la gérante explique que la boutique propose du sirop et une poudre à base de fenugrec, une plante qui agit sur le système digestif, stimule l’appétit et est recommandée pour l’amaigrissement. Elle est mélangée avec du miel.
La vendeuse explique que celle-ci contient peu de sucre et permet de reprendre naturellement du poids. C’est simple et plus économique, dit-elle.
Toutefois, la gérante reconnait que beaucoup de facteurs peuvent agir sur la prise de ces produits, comme l’amaigrissement consécutif à une maladie ou à des raisons personnelles, estime-t-elle.

Les rondeurs, critère de sélection pour les hommes ?

Traditionnellement, en Afrique, les femmes avec des rondeurs sont considérées comme les plus belles. Une poitrine généreuse, des hanches larges, une belle courbure des fesses attirent plus les hommes et font partie des critères de sélection.
Les goûts comme les couleurs ne se discutent pas, rappelle Moussa Sylla, étudiant en formation. Pour lui, les hommes qui sont pour cette pratique ou qui poussent leurs conjointes à le faire n’ignorent pas les conséquences qui peuvent en découler.

« Je suis en déphasage total parce que je ne suis pas adepte de ces pratiques ». Personnellement, j’aime tout ce qui est naturel, dit Moussa.

En plus de l’aspect religieux qui l’interdit, Moussa invite les femmes à réfléchir sur les conséquences sur leur santé.

Pour sa part, Pape estime « qu’une telle pratique découle d’une question de mentalité qui est bien sénégalaise, parce que dans bon nombre de cas, c’est le mari ou le partenaire qui exige de sa femme de prendre du poids pour être Diongoma (femmes aux courbes généreuses). » Toutefois, dit-il, « les couples ne doivent pas accepter de subir la pression sociale ».

L’impact des plateformes numériques

Il suffit de scruter les vidéos sur les réseaux sociaux pour se faire une idée de la recrudescence du phénomène. De belles filles aux formes généreuses font des présentations sous forme de tutos pour inciter à l’achat des produits de « beauté ». La plupart d’entre elles sont des actrices de séries télévisées qui sont employées comme égérie pour vendre les offres des entreprises. Un bon outil marketing qui permet d’écouler ces produits.

 

Cheikh fait partie des détracteurs de cette méthode de vente en ligne. Pour lui, « ceux qui s’adonnent à la vente en général ne s’y connaissent pas assez ». « Le malheur est que les femmes accourent pour s’en procurer sans prendre conscience des risques que cela peut engendrer », pense-t-il.
Un avis que ne partage pas cette vendeuse qui s’active sur TikTok. Satou (nom d’emprunt) insiste sur la qualité de ses produits. Mais elle dénonce aussi la pléthore de vendeurs amateurs sur les réseaux sociaux.
« Le mécanisme est simple pour vendre : cela passe par une vidéo expliquant le contenu des produits ». Le vendeur (se) montre comment réaliser la fabrication pour mettre en confiance les internautes. Ils existent sous toutes les formes : sirops, crème à appliquer sur les zones à grossir, suppositoires. Ces mélanges sont faits par les vendeurs, explique une vendeuse.

« Moi, je suis sûre de ce que je propose et c’est grâce à cette confiance que les clients me sont fidèles. » D’ailleurs, je n’hésite pas à leur dire de me rendre le produit s’ils ne sont pas satisfaits, dit Satou.

 

Risque sanitaire
La diététicienne, Adam Mbodj, doute de la seule composition des plantes naturelles telles que le fenugrec, le kigelia, etc. Des arbres africains que l’on retrouve dans les soins raffermissants…
Elle explique le rôle que ces plantes jouent dans la prise de poids, puisqu’elles contiennent de la vitamine A et E lorsqu’elles sont transformées en huiles ou en suppositoires. Mais à elles seules, elles ne peuvent pas favoriser une prise de poids considérable pour autant au point d’opérer un changement radical chez la personne.
« La présence de corticoïdes peut être à l’origine de la prise de poids, toutefois elle doit être prescrite et non prise sans avis médical », dit-elle.


Adam attire par ailleurs l’attention sur le fait que la prise de poids n’est pas recommandée à tout le monde, mais aux personnes qui sont maigres. La nutritionniste préconise la consommation des féculents en association avec des aliments riches en protéines. Elle conseille une alimentation équilibrée constituée de fruits, de produits laitiers et de céréales.

L’analyse de l’une de ces plantes utilisées dans ces produits ont montré une composition en ignames riches en glucides à presque 24% et plus de 70% de teneur en amidon qui normalement ne font pas grossir. Alors que comme indiqué chez ces vendeurs de produits bio, elles font soi -disant grossir des gens pour une composition de 0,2% de lipides fait savoir une micro-nutritionniste. Aya Langar précise que sa composition est de seulement 118 kg calories pour 100g et contient des fibres solubles dont le rôle est de réguler le transit intestinal sans oublier qu’elle est indigérable chez certaines personnes, ajoute t’elle.

La practicienne en énergétique chinoise  met l’accent aussi sur le surdosage qui peut créer énormément de problèmes surtout chez les personnes qui souffrent de pathologies cardiovasculaires, de diabète ou d’hypertension artérielle. Elle trouve important de mentionner  le nom de ces plantes et le détail de leur composition, ce qui implique l’intervention d’un professionnel de santé concernant toutes manipulations de ces plantes.

La naturopathe trouve impossible de grossir d’une partie du corps et pas d’un autre hormis de faire de la chirurgie qui implique de reformer le corps par des prothèses. Dès lors, elle nie la possibilité de placer de la graisse juste avec l’alimentation dans des indications particulières.

La psychologie des femmes et le poids
Selon Ami, une jeune fille rencontrée dans un magasin de prêt-à-porter : « Le rêve de toutes les femmes est d’avoir des rondeurs, une poitrine généreuse pour plaire aux hommes, mais il faut le faire naturellement avec une certaine prise de conscience. »
Elle avoue être allée à la pharmacie pour se renseigner sur les produits bio qu’elle préfère. En revanche, Ami s’interroge sur la provenance de ces produits sur le marché. Sont-ils faits au Sénégal ou à l’étranger ? Quel rôle jouent les autorités compétentes, etc.
Quant à Mme Diallo, elle déconseille l’utilisation de ces produits pour s’en être procuré plus d’une fois. Elle raconte avoir subi des palpitations et des brûlures d’estomac.

La chirurgie plastique, un autre recours pour avoir de belles rondeurs

Le fameux Brasilian Butt Lift ou lifting fessier brésilien a fait place aux leggings à effet rehausseur de fesses pour femmes. Une procédure spécialisée de transfert de graisse corporelle qui augmente la taille et la forme des fesses.
Désireuse d’une posture volumineuse, naturelle et plus jeune, les femmes en font recours. Il s’agit pour le chirurgien d’utiliser la propre graisse de la personne pour améliorer la forme des fesses. Le BBL offre un aspect et une sensation plus naturels, contrairement aux implants fessiers.

Une telle pratique existe-t-elle au Sénégal ?

Nos recherches nous ont menés vers un spécialiste en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique sans succès. Mais de sources médicales, l’opération coûterait entre 4000 et 8000 euros (2.000.000 à 5.000.000 de francs CFA).
Le fameux lifting nécessite des semaines de récupération, la patiente est sous-vêtements de compression pour réduire l’enflure avec des risques d’infection et de caillots de sang, d’où la nécessité d’un chirurgien compétent.
Si, en Occident, les normes de la beauté sont la minceur pour se tailler un « summer body », l’Afrique, en revanche, vit sous le diktat de la rondeur qui pose les mêmes soucis que le culte de la minceur.

De Kinshasa à Dakar en passant par Douala et Brazzaville, les femmes sont prêtes à tout avaler pour leurs rondeurs, au prix de leur santé.
Khadija, agent commercial, dénonce aussi cette pratique qui a pour finalité de juste satisfaire les hommes.
« Tout ça tourne autour des hommes », renchérit-elle. D’autant plus que ce sont certains hommes mêmes qui encouragent leurs conjointes à le faire rien que pour répondre à un idéal culturel et traditionnel, allant même jusqu’à devenir exigeants, s’indigne-t-elle.

Du point de vue sociologique

« Dans le contexte actuel, nous sommes amenés à faire face à des critères de beauté établis tels que les rondeurs, le teint clair, l’expression d’une certaine fémininité », explique la sociologue Awa Diop qui explique que la féminisation authentique a cédé la place à une féminisation consumériste.

Mme Diop voit en l’utilisation de produits artificiels tels les perruques, les cheveux naturels, le phénomène skinlight, les faux ongles, les fausses hanches, une culture du paraître, déplore la sociologue .

Le « marché des corps retravaillés », comme elle l’appelle, dû à l’implosion des réseaux sociaux qui en facilite la vente, est à mettre sous le regard d’une femme qui veut plaire à l’homme.
Un autre phénomène notoire au Sénégal est « la dynamique de rivalité et de concurrence absolue, une compétition de mobilisation d’astuces dans laquelle les femmes s’engouffrent pour paraître plus belles. »
Awa les lie aux aspects de Diongué (l’art de la séduction à la sénégalaise) et le mooc pocc (moyen de retenir son homme) qui étouffent la femme.

Entre prise de pilules, gélules ou sirops au point de mettre leur santé en danger, la sociologue Awa Diop souligne l’inconscience sur l’impact néfaste de certains produits de beauté. Celle-ci plaide pour une forte sensibilisation sur la question dans un contexte sanitaire où les cancers de femmes se multiplient et font ravage en Afrique.

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