Paris-N’Djaména: un nouveau départ?

Et s’il ne s’était agi que d’une tempête dans un verre d’eau ? C’est l’interrogation qui a traversé de nombreux esprits, après ce qui est apparu ces derniers mois comme un début de glaciation durable dans le ciel pourtant tranquille, jusqu’alors, des relations franco-tchadiennes. 

Il n’y a pourtant rien de nouveau sous le soleil. Car, ce n’est pas la première fois que les rapports entre le Tchad et la France traversent des zones de turbulences. Depuis le président Ngarta Tombalbaye, le premier chef d’Etat du Tchad, jusqu’au Maréchal  Idriss Deby Itno, les relations diplomatiques entre les deux pays ont parfois traversé des moments de fortes secousses dont les plus graves de conséquences furent l’enlèvement de l’ethnologue Françoise Claustre (le 21 avril 1974, dans la ville de Bardaï, dans  l’extrême nord du Tchad) et l’assassinat du commandant Pierre Alphonse Galopin (le 4 avril 1975 à Zouï dans le Tibesti) par les forces d’Hissène Habré, l’ex-chef rebelle devenu plus tard chef d’État. Il n’en demeure pas moins que des années plus tard, l’ex-président tchadien fut reçu en grandes pompes à Paris par le président François Mitterrand, non sans soulever dans la presse hexagonale et dans une partie de la classe politique un immense concert de protestations.

 Souvenirs… et oscillations

Dans les mémoires, demeure vivace le souvenir des manifestations de protestations des populations tchadiennes lorsque l’entreprise pétrolière française Elf se retira brusquement du consortium constitué en vue de la construction du pipeline Tchad-Cameroun en 1999. L’entreprise française l’avait pourtant intégré à sa demande et celle des autorités françaises.

 Derrière ces oscillations entre des moments de brouilles et de retour à la normale, il y’a des explications qui tiennent à l’histoire du positionnement géostratégique de la France dans la zone soudano-sahélienne d’une part, et d’autre part à la nouvelle donne géopolitique mondiale. 

Notons que la présence militaire française au Tchad remonte bien avant son accession à la souveraineté internationale le 11 août 1960. C’était l’une des places fortes du déploiement et de la maîtrise de son expansion coloniale dans la zone soudano-sahélienne, en Afrique de l’Ouest et même en Afrique Centrale, en République centrafricaine par exemple, mais aussi au Cameroun.

Dans ce dernier  pays, le Tchad a  servi de force d’appoint aux forces françaises face aux mouvements nationalistes fédérés autour de l’Union des populations du Cameroun (UPC) de Ruben Um Nyobe. C’est d’ailleurs au Tchad, à N’Djaména, anciennement Fort-Lamy, que le célèbre écrivain français André Gide, entreprit sa première mission en tant que fonctionnaire de l’administration coloniale et dont il en fait une description pittoresque dans son ouvrage Voyage au Congo publié en 1927 aux éditions Gallimard.

 Cet intérêt lointain de la France pour le pays de Toumaï explique par ailleurs la guerre sans merci que les forces françaises ont mené jusque dans les années 80 contre les forces libyennes du colonel Mouammar Kadhafi, mort le 20 octobre 2011 dans les environs de Syrte, sa ville natale située sur la côte méditerranéenne libyenne.

 Chasse gardée

 Cet arrière-plan historique explique pourquoi dans certains milieux d’influence à Paris, le Tchad est apparu comme une chasse gardée qui ne devrait en aucun cas se soustraire de son giron. Or le monde des années 2000 n’est pas celui des années 60-80. Nous vivons un basculement géopolitique comme l’humanité n’en a pas connu depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale le 2 septembre 1945. D’un monde jadis bipolaire, nous sommes entrés de plain-pied dans un monde multipolaire et qui ne cesse de le devenir.

 Cette diversification des pôles de puissance s’étend à la quasi-totalité des activités stratégiques des Etats, qu’il s’agisse des nouvelles technologies de l’information et de la communication, des industries civiles et militaires, de la fourniture des biens et des services.

L’Europe qui a longtemps été pour les pays africains un partenaire stratégique et privilégié dans ces domaines d’activités comme dans bien d’autres connaît un net recul qui se traduit par un vide que ne cesse d’occuper les puissances émergentes. La création des BRICS (le groupe de neuf pays qui se réunissent en sommets annuels : le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran) par exemple et le projet de création de la  banque d’investissement adossé à ce nouveau pôle de puissance est une parfaite illustration de cette nouvelle architecture de l’ordre internationale.

Pour un pays comme le Tchad dont les besoins en investissements tant pour l’élévation du standard de vie de ses populations que pour la défense de sa souveraineté sont colossaux, cette nouvelle donne est plutôt une aubaine.

Toutefois, il ne s’en suit pas une rupture du Tchad avec ses partenaires historiques au premier rang desquels la France. Les deux pays entretiennent des relations historiques qui s’enracinent dans une culture commune dont la Francophonie est l’un des ponts, des échanges culturels divers, des liens économiques qui ont d’ailleurs vocation à se diversifier comme l’atteste la récente visite au Tchad d’une délégation de haut niveau du Medef International (Mouvement des entreprises de France).

 C’est en ce sens que le chef de l’Etat tchadien, Mahamat Idriss Deby Itno et son homologue français, Emmanuel Macron ont tracé de nouvelles perspectives pour les relations franco-tchadiennes la semaine dernière à Paris à l’occasion du sommet de la Francophonie: « (…) j’ai eu un entretien fructueux avec le Président Macron, mon homologue français. Nous avons évalué l’état actuel de nos relations bilatérales et exploré les avenues pour renforcer notre coopération à travers une collaboration plus dynamique, élargie et diversifiée, en mettant un accent particulier sur les secteurs économiques et académiques. Cela inclut notamment la possibilité d’implanter des universités françaises au Tchad. Nos discussions ont également abordé des questions d’intérêt commun, telles que les enjeux politiques, sécuritaires, humanitaires et environnementaux » a écrit en substance  sur son compte Facebook (Méta) et X le dirigeant tchadien, après sa rencontre avec Emmanuel Macron.

Les semaines et les mois à venir seront l’occasion de donner une traduction concrète à cette nouvelle dynamique diplomatique. À scruter de près.

Eric Topona Mocnga,

journaliste à la Deutsche Welle.

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