En Guinée, les femmes à barbe sont stigmatisées

La pilosité féminine a toujours fait l’objet de commentaires et de représentations particulières. Les femmes à barbe sont souvent associées à des sorcières ou incarnent  de mystérieux personnages. Si certaines d’elles acceptent leur aspect physique, d’autres ont du mal à s’assumer à cause des préjugés qu’elles subissent au quotidien.

En Guinée, par exemple, la barbe et la moustache sont réservées aux hommes et pour de nombreuses personnes, les femmes à barbe ne sont pas des épouses ordinaires ou ne doivent pas être en couple avec un homme. Dans certains quartiers de Conakry, les femmes à barbe préfèrent témoigner sous un anonymat.

« Nous sommes vues comme des femmes répugnantes, des sorcières, des types de femmes à ne pas épouser parce que nous sommes susceptibles de troubler le climat social dans une communauté, dans une famille. Alors que c’est Dieu qui a voulu qu’on soit ainsi. Chaque jour, on nous remarque, on a l’impression d’être considéré comme un lourd fardeau pour la société. Parfois, nous sommes obligées de nous raser les barbes, les moustaches », déclarent-elles.

Hawa Kourouma, une femme à barbe, fait partie de celles qui osent aborder ouvertement le sujet.

« Les signes de la barbe se sont manifestés très tôt chez elle, lorsqu’elle avait 9 ans. Au début, elle n’a pas eu trop de considération, dit-elle. Mais je ne pouvais pas imaginer qu’elles allaient se pousser très vite jusqu’à atteindre un niveau assez surprenant, c’est-à-dire très visible», dit Hawa qui reconnait que la vie n’a pas toujours été facile pour elle, à cause de sa condition physiologique.

Hawa a longtemps éprouvé un sentiment d’amertume. « Je voulais me suicider, parce que c’était trop pour moi », témoigne-t-elle.

« Il y en a qui pensaient que moi, je n’étais vraiment pas une personne normale. J’étais classée dans une catégorie. On m’a toujours dit : toi, tu es comme un garçon, un homme. Tu ne dois vraiment pas être considérée comme une femme normale. Vous imaginez, j’étais dévisagé de travers durant des heures. Parfois, il m’arrivait d’éprouver du dégoût pour ma personne. J’avais honte, ça me gênait de voir que j’étais au centre du débat. Et à l’université aussi, les mêmes paroles revenaient. Voyez-vous à quel point j’étais traitée de femme sorcière, mangeuse d’hommes, type de femme à ne pas épouser. Et franchement, ça me faisait mal au cœur que les gens continuent de parler de moi comme cela alors que c’était indépendamment de ma faute », insiste Hawa.

Et d’ajouter : « Entendre ces mots, ce rejet social, me faisait mal, j’étais traumatisée. » Je pleurais parfois toute seule à la maison. Pire, c’est quand je sors même : les gens sont étonnés de me voir avec la barbe. On me pointait du doigt en disant : « C’est la femme barbue. »

Mais Hawa a fini par s’accepter malgré le regard insupportable de la société sur sa personne.

« Lorsque j’ai posté une vidéo en ligne en disant que je m’assume telle que je suis, et aussi servir d’exemple pour les autres femmes. » La vidéo a été virale sur les réseaux sociaux. Et les réactions ont généré divers avis. Franchement, en voyant différentes opinions, j’ai été réconforté. Donc ce n’était plus la peine de se cacher au regard des gens ou de se préoccuper des préjugés. À la base, je suis issue d’une famille Velue. Quand on prend le côté maternel, ma grand-mère a aussi développé les barbes comme moi. Nous nous ressemblons, on dirait des sœurs jumelles. Ma mère, pareille. Je peux dire que c’est une chose que j’ai héritée», raconte Hawa Kourouma.

Le Dr. Ben Youssouf Keita, médecin généraliste, explique que « l’hirsutisme ou femme velue voire poilue » est une apparition de poils dans des zones non habituelles chez une fille ou une femme.

« L’hirsutisme est dû à une production anormale de testostérone chez la femme qui, dans des conditions normales, n’en produit qu’une infime quantité, soit 20 à 30 fois moins que l’homme. Les ovaires de la femme produisent la progestérone et l’œstrogène (hormones de la féminité). Quand une femme souffre de la maladie d’ovaires poly kystiques ou de tumeur de la glande surrénale, elle peut produire une quantité anormale de testostérone qui la masculinise, provoquant l’hirsutisme chez elle. En d’autres termes, c’est une maladie organique sur les ovaires, donc des glandes ovariennes sur la femme, c’est-à-dire des kystes nombreux, ce qu’on appelle poly kystes ovariens qui peuvent procéder à la production exagérée d’hormones androgènes», explique Dr. Ben Youssouf.

Pour lui : « Quand ces hormones androgènes sont produites, le taux de testostérone peut augmenter anormalement sur la femme, faisant en sorte que les poils apparaissent où ils ne doivent pas apparaître sur la femme, c’est-à-dire le manteau, la poitrine, le ventre, les fesses. » Dans les conditions normales, l’hormone produite par la femme ne voit les poils qu’au niveau du symphyse du pubis, c’est ça. En dehors de là-bas, la femme ne doit pas avoir de poils, sauf sur la tête, ses cheveux, ses longs cheveux et sous les aisselles, c’est tout. Mais quand il y a donc cette hyperproduction due à la maladie polykystique des ovaires, ça lui permet simplement de faire un traitement qui puisse diminuer cette production et, si nécessaire.»

 Pour sa part, Zainoul Traoré, sociologue et enseignant-chercheur en sociologie dans les universités guinéennes, explique que : « Les interprétations varient selon les réalités socioculturelles. Il y a des communautés qui ne voient pas trop d’inconvénient et d’autres non : ces femmes sont porteuses de mauvais augures. Mais sociologiquement, tout ce qui est minoritaire s’écarte de la norme. C’est un cas pathologique », dit-il.

Toujours selon lui : « Dans le passé, il y a eu des femmes célèbres qui ont connu ce phénomène, comme la Française Clémence Lestienne, une boulangère qui faisait la sensation en vendant ses pains d’épices. Il y a eu une autre femme, la célèbre actrice américaine, Jennifer Miller. Aujourd’hui, les femmes qui ont les barbes sont complexées parce que dans notre société, les interprétations sont du point de vue culturel. On suppose que celles qui ont les barbes, ce sont des femmes d’une autre catégorie. Ça peut être des questions mythiques, de sorcellerie, des phénomènes extra-humains. Ce qui veut dire que ces femmes ne sont pas à épouser, ce sont des femmes de mauvais augure, etc. », conclut M. Traoré.

Auteur : Fodé Touré

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