Le président Houphouët Boigny disait, à propos de la situation des Etats africains, que : « Nous n’avons pas hérité d’une nation, mais d’un Etat artificiel né de la colonisation. Il faut des années pour faire une nation, tant il est vrai que la détribalisation ne se décrète pas ».
Pour rappel, la délimitation des Etats africains tient son origine dans la fameuse Conférence de Berlin de 1885. Cette conférence a posé les grands principes de l’occupation des territoires africains. Les délimitations proprement dites ont été effectuées sur la base des accords bilatéraux entre les puissances occupantes. C’est le cas le traité d’occupation des territoires de la Guinée Bissau et de la Guinée Conakry entre la France et le Portugal.
Il faut rappeler que ces découpages n’avaient d’autre objectif que la préservation des intérêts des occupants, en évitant les affrontements entre eux, au détriment des considérations sociologiques africaines.
Dès l’indépendance, la question s’est posée sur le maintien ou pas des frontières issues de la colonisation. Deux camps se sont affrontés.
Le premier défendait l’idée du maintien de l’héritage colonial, afin d’éviter les conflits entre les Etats nouvellement indépendants.
Le deuxième camp défendait l’effacement des frontières coloniales, pour tenir compte des données sociologiques africaines.
Finalement c’est le premier camp qui a eu raison sur le second, d’où la consécration du « principe d’intangibilité des frontières laissées par les colonisateurs » dans la charte constitutive de L’OUA/UA.
Cette réalité fait qu’il n’est pas rare de rencontrer en Afrique un Etat multinational (Exemple avec les soussous, malinkés, peulhs et forestiers) et une nation partagée entre plusieurs Etats. (Exemple : l’empire Wassolo, partagé entre la Guinée, le Mali et la côte d’Ivoire)
Qu’est-ce- qui caractérise un Etat ?
L’Etat est composé de trois (3) éléments : un territoire, une population et un gouvernement. Donc, l’Etat est l’ensemble des personnes vivant sur un territoire donné et reconnaissant une même autorité politique.
Qu’est-ce- qu’une nation ?
Il y a deux (2) thèses qui s’affrontent : la thèse objective ou l’école allemande et la thèse subjective ou l’école française.
La conception objective de la nation (défendue par les allemands) apprécie la nation suivant des éléments objectifs comme l’unité de langue, de race, d’ethnie ou de religion.
La conception subjective (défendue par les français) apprécie la nation sur la base des éléments subjectifs comme le sentiment de parenté spirituelle, les passés historiques communs, des destins communs et surtout le vouloir vivre ensemble.
Suivant cette dernière conception, la nation guinéenne se justifie par le fait que nous avons tous connu la colonisation, l’indépendance, les différents régimes passés, les différentes calamités naturelles. Autrement dit, nous partageons les mêmes bonheurs et les mêmes malheurs.
Entre l’Etat et la nation, qui précède qui ?
C’est la question d’antériorité et de postériorité entre l’Etat et la nation.
Contrairement à la plupart des sociétés occidentales, qui ont vécu des siècles entant que nation avant de penser à un encadrement juridique et politique plus approprié appelé Etat, les Etats africains sont issus de la colonisation. Ils ont cherché à construire la nation après leur indépendance. D’où la naissance des partis uniques au lendemain des indépendances africaines pour consolider l’unité nationale et parer à la fragilisation du tissu social.
60 ans après l’Afrique est toujours à la recherche d’une nation, comme si on n’est toujours pas sorti des pièges des anciennes puissances colonisatrices.
Quel traitement a été réservé au phénomène ethnique au lendemain des indépendances
Après leur indépendance, rares sont des Etats africains, à part de quelques-uns comme l’Ethiopie et l’Afrique du Sud, qui ont réservé un traitement honorable au phénomène ethnique. Il a toujours été nié, voire même combattu, au nom de l’unité nationale. Pourtant lors qu’un fait social de cette envergure est minimisé ou savamment néglige, sans encadrement juridique, il évolue dans la clandestinité. Dans ce cas, il devient plus dangereux et nuisible à la société.
Comment sortir de cette impasse ?
La multiplicité ethnique doit être une chance et non une malédiction. L’un des saluts, pour vivre en paix en Guinée, passe forcément par la reconnaissance du fait ethnique à travers un meilleur traitement. Nul n’ignore aujourd’hui que les données politiques et sociales sont éminemment ethniques. Elles commencent à devenir la base arrière de tout homme public en République de Guinée.
On doit mettre cette transition à profit pour régler la question ethnique. Il faut la reconnaître, l’encadrer pour ne plus qu’elle nous échappe. L’équilibre ethnique et la reconnaissance des coordinations régionales sont recommandés. Faire autrement est une fuite en avant à laquelle nous seront condamnés à revenir.
La constitution ivoirienne de 2016, a consacré tout le Titre XIV à la Chefferie traditionnelle. L’article 175 fait d’elle l’organe chargé « de la valorisation des coutumes, de la promotion des idéaux de paix, de développement et de cohésion sociale, du règlement non juridictionnel des conflits dans les villages et entre les communautés ». Elle participe même à l’administration du territoire.
En Guinée, par exemple, la Chefferie traditionnelle peut jouer un rôle prépondérant dans le règlement des conflits domaniaux entre les familles et les conflits entre éleveurs et cultivateurs dans les villages. Elle peut être une référence morale dans les conflits politiques.
Dr Abdourahamane Wassolo DIALLO
(Docteur en droit public, Enseignant- Chercheur ;
Chargé des cours de Droit à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques
de l’Université de Sonfonia).