L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a annoncé mardi (24.09.24) avoir levé la suspension de la Guinée. Une décision que l’opposition à la transition militaire trouve regrettable, faisant référence aux violations des droits humains et à la tentative de confiscation du pouvoir par les militaires.
Dans une interview qu’il a accordée au site lesnouvelles africaines.info, le conseiller politique de l’organisation internationale de la francophonie, Alassane Ndiaye, revient sur cette décision.
Lesnouvellesdafriques.info : Le 24 septembre, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) a décidé de lever la sanction qui pesait contre la Guinée depuis 2021. Pourquoi cette décision ?
Alassane Ndiaye : Comme vous le savez, à la suite de la rupture de l’ordre constitutionnel découlant du coup de force militaire opéré le 5 septembre 2021 en République de Guinée, la Secrétaire générale a réuni le Conseil permanent de la Francophonie (CPF) qui a décidé de suspendre la Guinée de la Francophonie.
Mais cette mesure, prise conformément à la déclaration de Bamako adoptée en 2000, était assortie, d’une part, d’un appel à mobiliser l’OIF pour accompagner le processus de transition ainsi engagé ; et, d’autre part, d’une décision du CPF « de rester saisi de la situation et de réexaminer » ultérieurement « sa position en fonction des avancées (…) » qui seront notées dans le cadre de cette transition.
La Secrétaire générale a mis à la disposition de la Guinée une expertise multisectorielle pour appuyer les institutions de la transition dans la mise en œuvre des réformes (institutionnelles, électorales…) engagées par les autorités pour préparer le retour à l’ordre constitutionnel.
Je dois souligner que les autorités de la transition se sont montrées très coopératives avec l’OIF dans le cadre de cet accompagnement. Ce qui a facilité un suivi régulier de l’évolution du processus de transition. Puis, en juin dernier, l’OIF s’est dotée d’un nouveau Mécanisme de suivi et d’évaluation de la situation des pays « suspendus ».
Ce mécanisme a posé une nouvelle approche qui privilégie le contact et l’interaction réguliers dans les relations entre les Instances de la Francophonie et ces pays ; ceci, de sorte à pouvoir permettre à l’Organisation d’adapter graduellement sa position par rapport à la situation considérée. Dans le cadre de cette nouvelle approche, les États et gouvernements ont écouté à plusieurs reprises les autorités guinéennes qui leur ont présenté l’état de la situation, les défis relevés et ceux restant à relever.
Il en est ressorti que sur le terrain, des avancées certaines sont notées. Il y a eu d’abord la présentation, le 29 juillet dernier, du projet de la nouvelle constitution qui devrait être adoptée par référendum d’ici la fin de cette année 2024 ; il y a ensuite le processus de recensement de la population devant déboucher sur l’établissement d’un fichier électoral nécessaire pour l’organisation des élections de sortie de transition ; il y a enfin l’annonce, effectivement, par les autorités guinéennes, de la tenue de ces élections.
Ce sont là des signaux que l’OIF a voulu encourager. Sur la base de ces considérations, le CPF a estimé qu’il était sans doute nécessaire d’adresser aux autorités et à la population guinéenne un message à la fois d’encouragement et de solidarité. L’une des meilleures manières de le faire était de commencer à lever totalement la mesure de suspension de la Guinée de la Francophonie.
Lesnouvellesdafriques.info : Quelle importance revêt de faire participer la Guinée au XIXe sommet pour l’Organisation internationale de la francophonie et pour la France ?
Alassane Ndiaye : Il ne s’agit pas, pour l’OIF, d’une question d’importance ou pas de voir la Guinée participer au 19e Sommet des chefs d’État et de gouvernement dans quelques jours en France.
La participation devient tout simplement un droit pour tout État membre à partir du moment où, en vertu des textes de l’OIF, plus rien ne fait obstacle à ce que cet État, fut-il antérieurement suspendu, retrouve pleinement ses sièges dans les instances de la Francophonie.
Lesnouvellesdafriques.info : Des opposants guinéens vivant en Guinée et en exil depuis l’étranger n’approuvent pas cette décision. Dites-nous ce que l’organisation (OIF) attend de la Guinée ?
Alassane Ndiaye : Si vous avez bien lu la résolution adoptée le 24 septembre, vous verrez que les États et gouvernements membres de l’OIF ont clairement indiqué qu’ils suivront : « avec une attention soutenue, le respect par les autorités de transition de leurs engagements ».
C’est pour vous dire que ces autorités sont encouragées à poursuivre et à accentuer leurs efforts, de sorte à permettre le processus de sortie de la transition et d’enregistrer davantage d’avancées. Bien évidemment, avec l’appui continu de l’OIF.
Par ailleurs, la question des droits et libertés est aussi un aspect sur lequel la Guinée est attendue. Elle est également évoquée dans la résolution où il est rappelé le ferme attachement de l’OIF au respect, en toutes circonstances, de ces droits et libertés, qu’il s’agisse des libertés des médias, d’association ou de manifestation.
La Secrétaire générale est particulièrement attentive à cette question. Elle sensibilise régulièrement les autorités guinéennes sur l’importance pour la Guinée de respecter ses engagements internationaux en la matière.
Certes, elle le fait avec beaucoup de discrétion, mais c’est sa méthode, qui est de ne pas entourer son action dans ce domaine de publicité.
Lesnouvellesdafriques.info: Trois pays de la sous-région sont jusque-là dans la même situation que la Guinée. Qu’est-ce qui explique ce cas exceptionnel de la Guinée ?
Alassane Ndiaye : J’imagine que vous faites allusion au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Je ne sais pas si tous ces pays sont dans la même situation, comme vous le dites, mais ce que nous pouvons observer, c’est que les processus ne sont pas dans les mêmes conditions et n’évoluent pas au même rythme. Il y a un contexte propre à chaque pays.
Ce que je peux vous dire, c’est que l’OIF n’ignore en aucun cas, elle assure un suivi équitable de chaque situation et l’examine objectivement.
Le moment venu, partout où les conditions le permettront, la procédure appliquée à la Guinée le sera pour chaque pays et conformément au Mécanisme dont je vous parlais au début.
L’objectif de la Secrétaire générale est partagé par les États et gouvernements membres, c’est de ramener tout le monde au sein de la maison « OIF ».
Car, dans une famille, ce n’est pas parce qu’il y a un malentendu à un moment donné que ses membres doivent se renier. Au contraire, il faut discuter, il faut dialoguer.
C’est la doctrine de l’OIF pour tous ses pays membres, y compris ceux qui restent aujourd’hui sous suspension. L’enjeu, c’est de préserver l’unité de la grande famille francophone.
Auteur : Fodé Touré