« Terreur judiciaire et putsch électoral », pour certains, « système autoritaire » et « atteinte à la liberté de presse et à la liberté d’expression », pour d’autres, telles sont les différentes interprétations des arrestations à tout-va menées par les nouveaux dirigeants.
Les plus récentes arrestations concernent le journaliste et patron du groupe D-media, Bougane Gueye Dany, le chroniqueur Kader Dia et Cheikh Yerim Seck, qui viennent d’être libérés, leurs dossiers ayant été classés sans suite.
Le paysage politique sénégalais est en ébullition. Les indignations fusent de tous côtés. Les Sénégalais qui s’attendaient à une rupture se disent aujourd’hui déçus et indignés face à cette situation qu’ils jugent « déplorable ».
Une situation toutefois normale, selon l’analyste politique Bakary Domingo Mané, qui affirme être en phase avec la justice sénégalaise. « Nous sommes dans un pays où les lois fonctionnent. Donc, on ne peut pas permettre à certains de se lever un bon jour et d’insulter les institutions sans s’inquiéter », déclare-t-il, ajoutant que la liberté d’expression s’entend dans le cadre de la responsabilité.
« Depuis quelque temps, ceux qui ont été arrêtés ont pris le devant de la scène médiatique pour exprimer leurs points de vue sur la situation actuelle du pays. Mais, quand on les interpelle, certains se plaignent. Quoi qu’on dise, le pays a ses lois et il faut les respecter. La justice fait son travail, donc c’est tout à fait normal dans un pays démocratique que chaque citoyen se conforme et respecte les institutions », explique-t-il.
Pour Mané, il est du ressort de la justice de mettre fin à l’impunité. « Quand on émet des contre-vérités susceptibles d’influencer une partie de la population, on doit être corrigé. Il suffit qu’ils fournissent des preuves de leurs allégations », affirme-t-il, tout en précisant que le duo Sonko-Diomaye ne bénéficierait pas des dividendes de ces arrestations. « Quand un parti comme Pastef fait face à la machine à broyer de Macky Sall, personne ne peut les empêcher de faire leur travail. Ces arrestations profitent plutôt à la République en rappelant aux citoyens leurs responsabilités, même si la liberté d’expression existe. »
Selon le journaliste, le Sénégal « ne risque pas de revivre l’épisode Macky », qu’il considère comme la pire période en matière de libertés publiques depuis l’indépendance.
« En matière de respect des libertés publiques, la rupture attendue n’a pas encore eu lieu », regrette Seydi Gassama.
Pour le directeur exécutif d’Amnesty International, « les mêmes lois liberticides utilisées par le président Macky Sall pour persécuter les opposants, les journalistes et les activistes sont toujours en place, et la répression continue. »
Dans un post sur sa page X, il affirme que « toutes ces lois, ainsi que les pratiques policières et administratives, doivent être mises en conformité avec les normes et standards internationaux ». Fort de ce constat, M. Gassama martèle : « En attendant, le ministre de la Justice doit instruire le parquet d’arrêter les poursuites pénales contre ceux qui exercent ces libertés. »
Le fondateur d’Africajom Center, Alioune Tine, rappelle que l’application de ces lois « scélérates et liberticides » a conduit près de 2 000 personnes en prison, fait des mutilés et causé « plus de 60 morts ». Heureusement, souligne-t-il, que la tragédie a pris fin avec une loi d’amnistie, « comme si on sortait d’une guerre civile. »
Alioune Tine appelle aujourd’hui à semer la concorde nationale, à apaiser et réconcilier les Sénégalais « avec la politique au sens noble et civilisé, avec la démocratie, l’État de droit et les droits humains, avec la justice et l’égalité ».
« Il faut que l’espoir porté par cette alternance générationnelle, plébiscitée par la jeunesse, ne soit pas déçu », avertit-il. Et d’ajouter : « Notre devoir est de dire ‘attention’ quand il le faut. Mais faut-il encore que nous soyons entendus, car, souligne-t-il, la pire des choses pour un pouvoir, c’est de devenir autiste. »