Le chef du gouvernement guinéen se prononce à nouveau sur le processus de retour à l’ordre constitutionnel dans son pays. Alors que la fin de la transition était promise par le général Mamadi Doumbouya pour décembre prochain, Bah Oury réitère indirectement que cela n’est pas faisable. C’est ce qui ressort d’une interview accordée à la radio allemande DW.
Depuis le mois de février dernier, vous êtes le Premier ministre du gouvernement de transition guinéenne. Quel bilan faites-vous des huit mois de gestion de l’équipe gouvernementale dont vous êtes le principal coordonnateur ?
Ce n’est pas aisé, disons, de faire un bilan à mi-parcours parce qu’il y a eu beaucoup de choses qui ont été faites dans le cadre d’une période particulièrement difficile parce que, comme vous le savez, j’ai été nommé pratiquement deux mois après l’explosion du dépôt de carburant de Conakry, qui a été un coup de massue sur l’économie nationale, avec ses implications sur le plan social.
Et puis il y avait aussi d’autres impératifs par rapport à la stabilisation du processus avec des revendications concernant certains activistes politiques. Il y avait aussi une difficulté en ce qui concerne la desserte d’électricité : pendant le mois de Ramadan, c’est-à-dire durant tout le mois de mars, les populations ont, avec beaucoup de résilience, jeûné dans une situation particulièrement difficile tout en restant stoïques.
Donc, j’ai pris mes fonctions dans un contexte particulièrement chargé parce qu’il fallait réagir à des urgences tant sur le plan économique et social que, bien sûr, sur le plan politique. Mais grâce à Dieu, depuis lors, les choses sont en train de se stabiliser. Il y a des avancées notoires dans beaucoup de domaines.
En ce qui concerne la desserte de l’électricité, les choses se sont nettement améliorées. Pour ce qui est de l’aspect politique, il y a une décantation qui fait que nous avons de très bons rapports avec la Cédéao et, sur le plan de la pacification de la vie politique, un dialogue relativement constructif est enclenché, qui est relativement inclusif, où tous les acteurs soucieux de participer au développement du pays à instaurer un climat de partenariat pour avancer prennent part.
Nous, nous avons ouvert les portes de la Primature et bien entendu les portes du gouvernement pour que chacun d’entre nous se sente redevable de la nécessité de conjuguer les efforts pour avancer, pour que la Guinée, de ce point de vue, passe avec brio une étape cruciale de son histoire.
Cela fait trois ans que le général de brigade Mamadi Doumbouya a pris le pouvoir. Dans une de vos interviews, vous dites qu’il est pratiquement impossible d’organiser l’élection présidentielle en 2024. Quand la Guinée va-t-elle alors se doter d’un fichier électoral consensuel et quand aura lieu finalement cette élection présidentielle pour mettre fin à la transition ?
Dans la phase actuelle, nous sommes en train d’accélérer le processus. Une mission technique de la Cédéao sera à Conakry, à la fin de cette semaine, le 22 septembre, pour échanger avec nos équipes sur la faisabilité et sur l’examen de ce qui est en train d’être fait par la Guinée.
De ce point de vue, nous attendons une approche constructive de part et d’autre pour que la communauté sous-régionale puisse, par le principe de la subsidiarité, avoir une vue d’une action positive en direction du système des Nations Unies et de l’Union africaine pour que la Guinée puisse bénéficier des concours substantiels afin de contribuer au financement du processus de retour à l’ordre constitutionnel et, bien entendu, à avoir l’assistance technique suffisante pour ne pas être dans une phase difficile.
Vous l’avez dit, vous avez besoin de beaucoup d’argent. De combien avez-vous besoin pour organiser cette présidentielle ?
J’ai demandé aux services concernés, notamment au ministère de l’Administration du Territoire, de ne pas donner de chiffres à l’emporte-pièce.
Nous attendons la mission de la Cédéao qui aura un regard objectif et critique pour nous permettre d’examiner le contenu des budgets prévisionnels qui ont été déjà conçus par les autorités chargées du processus.
Mais ce qui est le plus important, nous avons, de ce point de vue, de manière factuelle, besoin de choses concrètes. En même temps, nous sommes en train de mettre des dynamiques et des réformes d’envergure pour permettre à l’État guinéen d’avoir les moyens de sa gouvernance actuelle et future.
Parce que le retour à l’ordre constitutionnel, ce n’est pas simplement une course de vitesse pour organiser des élections, c’est remédier de manière structurelle aux causes qui amènent une forme d’instabilité institutionnelle et, par conséquent, une instabilité politique et économique qui fait que nous n’arrivons pas à actualiser notre immense potentiel.
Nous voulons changer cela avec, par exemple, le Programme national de recensement administratif à vocation d’État civil pour avoir la possibilité d’affecter à chaque citoyen guinéen un numéro d’identification personnel qui nous permettra d’avoir une meilleure maîtrise de la gestion de toutes nos politiques publiques. Parce que sans cela, c’est comme si vous nagiez à l’aveuglette.
Le fichier électoral, à ce niveau-là, n’est qu’un aspect d’un vaste programme qui va se décliner par la suite. Donc, c’est pour dire que nous sommes en train de reconstruire les bases permettant à un État moderne de pouvoir émerger par rapport à ce qui existait auparavant.
Les partis politiques opposés à la prolongation de la transition soupçonnent le général Mamadi Doumbouya de vouloir se présenter à la prochaine élection présidentielle alors qu’il avait promis que ni lui ni aucun membre du CNRD ne serait candidat. Mais à Conakry, l’hypothèse de la candidature de Mamadi Doumbouya est devenue un secret de polichinelle, n’est-ce pas ?
Vous savez, il y a beaucoup de supputations, mais ce qui est sûr, ce qui prévaudra, ce sont les dispositions constitutionnelles qui vont être adoptées à partir de ce moment-là.
Nous voulons une approche inclusive du processus constitutionnel, c’est-à-dire, il n’est pas question de faire une loi fondamentale pour simplement éliminer ou limiter les candidatures, mais le peuple guinéen, qui est souverain, tranchera en définitive par rapport à l’adoption de la Constitution qui sera, à ce moment-là, la loi fondamentale.
Et, pour le processus électoral, les Guinéens décideront de qui pourra être leur président ou leur dirigeant. Parce que vous savez que c’est une opération qui va être complexe.
Mais ce qui est fondamental, c’est la recherche de la stabilité du pays, c’est l’aspect le plus essentiel. Et par rapport à ceux qui disent qu’il y aura, disons, une dérive en termes de durée de la transition, il ne faut pas qu’ils s’avancent trop parce que nous sommes en train d’envisager de la manière la plus proactive possible les moyens pour nous permettre d’être, dans une large mesure, non pas éloignés de ce qui a été initialement prévu.
Bah Oury, vous êtes un fervent défenseur des droits humains et depuis deux mois, l’on est sans nouvelle de deux membres influents du FNDC. Le porte-parole de votre gouvernement nie tout enlèvement de Foniké Menguè et Billo Bah et déclare ne pas savoir où ils se trouvent. Savez-vous où sont retenus ces deux militants de la Société civile ?
Non ! Si j’étais au courant, je serais heureux de le faire savoir au monde entier.
Mais cette question ne nous fait pas honneur parce que nous n’avons pas intérêt, en tant que gouvernement, à avoir deux activistes qui disparaissent. Ce n’est pas dans notre intérêt d’avoir cela parce que nous voulons avancer de la manière la plus sereine possible pour conforter les institutions démocratiques et qu’elles respectent les principes fondamentaux des droits de l’Homme.
Ceci dit, nous sommes dans une période qui est une période assez troublée, aussi bien de par la fragilité actuelle de nos institutions que par l’insécurité ambiante dans la sous-région. À cela, il faut ajouter un certain activisme de certaines forces politiques qui n’ont pas digéré d’avoir perdu le pouvoir et qui n’hésitent pas à utiliser tous les moyens possibles et inimaginables pour espérer ramener la Guinée à la situation d’avant. Donc, dans ce contexte-là, ce que nous pouvons recommander aux uns et aux autres, c’est d’exprimer leur opposition de la manière la plus responsable, la plus constructive, pour ne pas se laisser embarquer dans des aventures qui risqueront d’être sans lendemain avec des blessures encore sur la société et sur les populations.
Ceci dit, le procureur général de la République avait fait un communiqué en ce qui concerne la disparition supposée de ces deux activistes. Depuis lors, nous insistons auprès de l’autorité judiciaire pour qu’elle continue à faire les recherches afin qu’on sache où se trouvent les deux activistes dont on est sans nouvelles jusqu’à présent.
Une actualité brûlante, concernant justement la Guinée, est bien la courte apparition dans une vidéo de l’ex-président Alpha Condé qui serait désormais dans un pays d’Afrique alors qu’il était censé vivre en exil en Turquie. Votre gouvernement est-il au courant de ce changement de lieu de résidence d’Alpha Condé ?
À mon niveau, je n’ai pas reçu d’ information officielle sur ce chapitre. Mais ce qu’on sait, c’est que M. Alpha Condé a été à un moment donné, de par l’autorité du CNRD, libre de ses mouvements et envoyé en Turquie. Maintenant, c’est un citoyen dans le contexte actuel qui est libre de ses mouvements parce que les autorités guinéennes en la matière ont été très explicites.
Mais ce que nous souhaitons, c’est que les pays qui pourraient l’accueillir fassent de telle sorte que leur pays ne sert pas de base de déstabilisation de la République de Guinée. C’est la seule chose que nous pouvons rajouter par rapport à cette question.
Source : DW