RDC: « La prison de Makala est un véritable chaos, un lieu où la vie est réduite à une simple survie », Stanis Bujakera (journaliste)

La prison centrale de Makala à Kinshasa a été il y a une semaine le théâtre d’effusion de sang.

Dans cette prison, la plus grande du pays, le bilan humain dénombré est lourd, après l’incident survenu dans la nuit du dimanche 1er au lundi 2 septembre dernier. Cent Vingt-Neuf (129) détenus ont péri entre sommation, bousculades, étouffements dans une tentative d’évasion selon les autorités congolaises. Sans oublier les viols perpétrés contre plusieurs femmes.

Le journaliste congolais Stanis Bujakera, correspondant de « Jeune Afrique » et « Reuters », Directeur de Publication Adjoint du site « Actualité-cd » avait pourtant alerté plusieurs fois sur les conditions carcérales de la prison, à travers des vidéos prises et diffusées à sa sortie. Dans un entretien qu’il a accordé à votre site les nouvellesdafrique.info, il revient sur les conditions carcérales désastreuses de cette prison qui abrite aujourd’hui plus de 15 000 pensionnaires, soit 10 fois sa capacité normale.

lesnouvellesdafrique.info (LNA) : rappelons que vous êtes un ancien pensionnaire de la prison de Makala. Vous y avez séjourné puis libéré en mars dernier, pour un article portant sur la mort de l’ancien ministre Chérubin Okende, que vous aurez produit mais qui ne portait pourtant pas votre signature. Vous dénonciez les conditions désastreuses des prisonniers sous toutes ses formes ? Stanis Bujakera, l’évènement survenu à la prison de Makala vous surprend-il ?

Stanis Bujakera : d’abord sur ma situation, j’ai été arrêté la veille des élections. Un journaliste de moins sur le terrain pendant cette période, c’est une vérité de moins, c’est une transparence de moins.
En plus sur le dossier principal de mon arrestation, les autorités avaient tout faux. C’était une arrestation contre la vérité, contre la transparence et surtout contre le journalisme indépendant. Mais nous avons résisté jusqu’au bout, parce que la vérité résiste toujours à l’épreuve du temps.
Alors sur la situation de la prison, Makala vue de l’intérieur, ressemble davantage à un centre de concentration qu’à un établissement pénitentiaire. Les conditions de détention sont absolument déplorables et infrahumaines. Conçue à l’époque coloniale pour accueillir 1500 détenus, elle abrite aujourd’hui plus de 15 000 personnes. Ce qui entraîne une surpopulation catastrophique. Les détenus sont traités comme des sous-hommes, privés de leurs droits fondamentaux et soumis à des conditions de vie inhumaines.
L’accès à l’eau potable est quasi inexistant, les robinets étant souvent à sec. L’électricité est instable, ce qui aggrave encore les conditions de détention. Les toilettes sont rares et insalubres, ce qui pose de graves problèmes d’hygiène. La nourriture est insuffisante et de mauvaise qualité, ce qui entraîne des problèmes de santé. Les soins médicaux sont quasi inexistants, laissant les détenus sans assistance face à leurs souffrances.
Makala est un véritable chaos, un lieu où la dignité humaine est piétinée, où les droits fondamentaux sont bafoués et où la vie est réduite à une simple survie. C’est un scandale qui nécessite une intervention urgente pour améliorer les conditions de détention et rétablir la dignité des détenus. Je ne suis donc pas surpris par la situation passée dans la nuit de dimanche 1er au lundi 2 septembre 2024. D’ailleurs, ça relève d’un miracle que pareille situation n’arrive que rarement ou presque pas, parce que Makala réunit chaque jour, les ingrédients pour une déflagration à tout moment.

LNA : qu’est-ce ce qui se passe réellement dans cette prison de Makala ?

Stanis Bujakera : au sein de la prison surpeuplée de Makala, où plus de 15 000 détenus sont entassés, les conditions de détention sont particulièrement alarmantes pour les groupes vulnérables. Parmi les détenus, on compte environ 700 femmes, qui partagent un pavillon dédié et près de 500 mineurs, qui sont pourtant traités de la même manière que les prisonniers adultes et hommes. Cette situation est d’autant plus grave que, lors des événements tragiques de la nuit de dimanche à lundi, plusieurs femmes ont été victimes de viols perpétrés par des codétenus. Ce qui s’est passé à Makala est une situation extrêmement grave, qui met en lumière les carences du système carcéral et la défaillance du système judiciaire congolais. Sur les 15.000 détenus, seulement près de 3000 ou 4000 sont condamnés. Les autres sont des prévenus. En plus aujourd’hui au Congo, tout le monde, les magistrats y compris, reconnaît que la justice congolaise est malade. Et tout le monde insiste sur la nécessité de la guérir. Mais en attendant cette guérison, savez-vous combien de personnes périssent de cette maladie ? L’autre question qui se pose est : quelle est la crédibilité d’un jugement rendu par une justice malade ?

Il y a donc nécessité urgente de protéger les droits et la dignité des détenus, en particulier les plus vulnérables. Il est essentiel de prendre des mesures immédiates pour séparer les détenus selon leurs besoins spécifiques, améliorer les conditions de détention et prévenir de telles atrocités à l’avenir.

LNA : Vous saviez les risques que vous preniez lorsque vous avez diffusé ces vidéos prises dans cette prison lors de votre séjour. Peut-on dire que cette situation qui prévaut actuellement aurait pu être évitée si les autorités avaient pris au sérieux ce que vous dénonciez ?

Stanis Bujakera : J’étais conscient du risque pris. Mais le salut du peuple est la loi suprême. Quand il s’agit de sauver des vies, il faut savoir prendre des risques, il faut savoir mettre en danger sa vie pour sauver des vies. C’est ce que j’ai fait. C’était risqué oui, mais le  salut du peuple est la loi suprême. À Makala, les droits de l’homme sont systématiquement bafoués, réduits à néant. Les droits fondamentaux des détenus sont constamment piétinés, y compris le droit à la vie. Chaque jour, des vies sont perdues à Makala pour diverses raisons, mais principalement en raison de l’incapacité de l’État à assumer ses responsabilités. L’État ne protège pas, ne garantit pas les droits des détenus, les laissant à la merci d’un système carcéral défaillant et inhumain. Les détenus de Makala sont littéralement abandonnés à leur triste sort, livrés à une situation de détresse et de désespoir. Ils n’ont pas accès à : des conditions de détention dignes, des soins médicaux adéquats, une alimentation suffisante et n’ont droit, même à un minimum de respect de leur dignité humaine. C’est un scandale qui nécessite une intervention urgente pour rétablir les droits et la dignité des détenus de Makala. Et face à cette gravité, je répète que le salut du peuple est la loi suprême.

LNA : mercredi dernier, le directeur de l’établissement pénitentiaire a été démis de ses fonctions. Certaines langues se déliaient même sur une supposée fuite de sa part, un avis officiel de recherche lancé à son encontre. Pendant ce temps, le ministre de la justice lui parle de tentative de sabotage, une version différente de celle des autorités congolaises. Comment analysez-vous tout cela ?

Stanis Bujakera : Ce que je sais, c’est que le directeur de la prison suspendu et recherché avait officiellement quitté le pays plusieurs jours plutôt pour raison de santé. Aussi, je sais que depuis l’année dernière, ce même directeur là alertait les autorités sur des risques d’évasion ou troubles au sein de cette maison carcérale suite aux conditions déplorables des détenus. Mais apparemment, il n’a pas été suivi. Ce que je constate enfin, ce que, c’est un échec de l’État qui n’a pas pris des dispositions pour protéger les vies humaines.

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