« Le cinéma sénégalais est en stagnation », déplore Moe Sow (cinéaste)

L’avant-première du film documentaire « Thierno Souleymane Baal » a été lancée mardi dernier (03.09.2024) au cinéma Pathé de Dakar.

C’est un film qui retrace le parcours spirituel et politique de l’homme qui a été au cœur de la Révolution du Fouta en 1776. Au cours d’un entretien accordé à notre site lesnouvellesdafrique.info, le producteur sénégalais, Moe Sow est revenu sur la production de ce film en particulier et sur le cinéma sénégalais en général.

lesnouvellesdafrique.info (LNA) : pouvez-vous vous présentez pour nos lecteurs qui ne vous connaissent pas ? Qui est Moe Sow ?
Moe Sow : Moe Sow est un cinéaste sénégalais qui a grandi à New York et à appris à faire des films là- bas. Ensuite, je suis allé en Angleterre où j’ai fait du dessin en industriel, mais en éditeur libre. Je ne dispose pas d’un diplôme en film mais, j’ai suivi une formation durant trois années. Par la suite, je suis rentré au Sénégal. J’ai mis en place un hub cinématographique sur l’Avenue Bourguiba (Dakar) pendant quatre années que j’ai fini par laisser pour me consacrer exclusivement à la production de mes films. J’ai aussi travaillé pour Air Sénégal (compagnie aérienne) comme Directeur de Marketing et de Communication. D’ailleurs, c’est moi qui ai fait les logos des avions et décoré l’intérieur.

 

LNA:L’avant-première de votre film documentaire de l’emblématique Thierno Souleymane Baal a eu lieu mardi au cinéma Pathé de Dakar. D’abord pourquoi le choix de ce cinéma ?

Moe Sow : Pathé (cinéma), c’est un lieu où on pouvait faire une première projection sur le grand écran avec un système Dolby qui est vraiment la dernière technologie. Aussi en termes de prestance, c’est le tapis qu’on déroule. Même si pour la décoration, Oumou Sy (ndlr, styliste sénégalaise de renommée internationale) a misé sur le traditionnel en mettant du « rabal », qui montre la culture africaine sous toutes ses formes. Et je pense que ça bien marché dans la mesure où les gens ont adoré.

LNA: Thierno Souleymane Baal, c’est l’homme qui a inspiré la révolution au Fouta. Qu’est-ce qui vous a motivé à produire ce film sur lui ?

Moe Sow : en fait, j’ai été approché par l’association « Ceerno Sileymaani Baal » car, j’avais fait un film sur Cheikh Hamidou Kane (écrivain sénégalais) intitulé, » Kaw Cheikh », que l’association avait bien appréciée.
C’est donc après un colloque fait sur Thierno Souleymane Baal, qu’elle m’a demandé de lui réaliser le film. Seulement sur la documentation remise, quelque chose a attiré mon attention. Il s’agissait d’un petit livre écrit par un certain Mamadou Youry Sall, qui m’a inspiré pour écrire l’histoire de Thierno Souleymane Baal. On peut dire que c’était plus une commande, quelque chose que je fais naturellement. Même s’il faut reconnaître que je suis quelqu’un qui est très attiré sur l’histoire du Sénégal.
Actuellement, je suis sur une série de 10 épisodes, sur 10 héros du Sénégal. Travailler sur des héros comme Ndatte Yalla du Walo, faire un film sur Aline Sitoe Diatta ou encore sur Cheikh Omar Tall, vous-voyez tout ça, c’est comme une série, mais une série sur l’histoire du Sénégal.

LNA: Moe Sow, je signale que vous n’êtes pas à votre première production sur des figures historiques. Vous-avez fait un film sur le célèbre écrivain Cheikh Hamidou Kane auteur de » l’Aventure Ambiguë », vous-venez de le dire, un autre sur le mythique groupe de musique sénégalaise Xalam. Peut-on dire que vous vous intéressez à la vulgarisation des hommes de culture ? Etes-vous de ceux qui pensent que nos grands hommes ne sont pas assez connus ?

Moe Sow : « la Charité bien ordonnée commence par soi-même », dit-on. Je n’ai rien contre les séries ‘’Novelas’’, ni contre les gens qui se lancent dans ce type de séries. Il s’agit de leur choix. Mais moi, je suis d’avis qu’il faut essayer de rétablir les vérités historiques du Sénégal qui se trouve être un grand pays qui a participé à la marche du monde.
Il faut vulgariser quelqu’un comme Thierno Souleymane Baal qui a promulgué la Constitution. Une vraie Constitution qui peut être mise aujourd’hui à côté de celles des révolutions atlantiques comme la Constitution Française et celle Américaine. Les termes sont les mêmes. Ce qui s’est passé en 1776 avec Thierno Souleymane Baal, ressemble parallèlement un peu à la révolution Américaine qui a été théorisée après Hamilton, même si ce dernier n’a jamais été président. Car, le premier fut Georges Washington.
C’est pareil au Fouta où la révolution s’est faite avec Thierno Souleymane Baal mais, qui n’a pas été président. C’est plutôt Abdoul Kader Kane qui fût le président. On peut aussi aujourd’hui faire la translation avec ce qui s’est passé avec le mouvement Pastef au Sénégal. Celui qui l’a théorisé est Ousmane Sonko mais, c’est Bassirou Diomaye Faye qui est devenu président.

LNA: Justement, pour cette avant-première, le cinéma Pathé a reçu un invité de marque, en la personne du Premier Ministre Ousmane Sonko. Qu’est ce qui explique sa présence ?

Moe Sow : Pour moi, Ousmane Sonko est quelqu’un qui aspire peut-être à la démocratie. Vous savez, l’histoire de Thierno Souleymane Baal est énorme. Donc celui qui aspire à la démocratie a peut-être lu ou est forcément intéressé par son histoire. La raison est toute simple : c’est quelqu’un, quand on site les théoriciens de la démocratie, on ne peut l’exclure. Je pense que dans l’ancien régime, lorsqu’on parlait d’administration sobre et vertueuse, ce sont des termes qui ont appartenu à Thierno Souleymane Baal. Lorsque l’on parle de la Crei (Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite) et d’audit des gens aujourd’hui, il s’agit des théories de Thierno Souleymane Baal, qui disait en ces termes :  » si vous voyez que le chef a plus que ce qu’il devait avoir, c’est parce qu’il s’est servi des deniers de l’Etat, il faut le démettre ».

LNA: Une certaine similitude entre les dirigeants actuels du Sénégal et lui, voulez-vous dire ?

Moe Sow : beaucoup de similitudes. Raison pour laquelle, j’ai fait cette petite comparaison pour vous dire, que tout cela entre dans la bonne marche de la démocratie.

LNA: comment se porte le cinéma au Sénégal d’après vous ?

Moe Sow : pour ma part, je ne parlerai pas de régression mais plutôt de stagnation. Si l’on remonte un peu dans le temps des Sembene et Ramaka, ils ont fait de vrais films dans le sens où ils avaient de vrais budgets. Moi je ne peux comprendre qu’eux, qui avaient des budgets d’un milliard, de deux milliards dans les années 1980 en faisaient de très bons films. Alors qu’aujourd’hui, avec une inflation de plus de 20%, nous qui sommes en 2024, travaillons avec un-dixième (1/10) de ces budgets-là. Thierno Souleymane Baal, je l’ai fait avec un budget de 100 millions.
Je crois qu’on doit miser beaucoup plus sur les fonds. Parce que ça n’avance pas. En plus, il faut dire que les séries portent plus d’intérêt. Aujourd’hui, le cinéma sénégalais a régressé en termes d’images, de funding. Quand même, pour ce genre de film, il faut sortir des budgets. Pourquoi ? Je vous donne un exemple : un petit film dans le monde coûte 3.000.000 de dollars, un film moyen 5.000.000 de dollars. Qu’on s’amuse donc à faire des films de 100.000 millions, c’est pauvre. Vous me direz peut-être que c’est pas mal comme budget. Mais sachez que, si vous divisez 100.000 millions par 200 personnes, c’est vraiment pauvre. Parce que tout le monde est payé. Que ce soit les techniciens, les régisseurs, jusqu’à celui qui s’occupe de la bouffe.

LNA: Est-ce à dire que des efforts restent à faire ?

Moe Sow : il reste beaucoup d’efforts à fournir pour mettre les budgets sur la table. Ceci, je le dirai mêmes pour les cinéastes qui ont des choses intéressantes à montrer.

LNA: Et l’appui du Gouvernement dans tout cela, à travers le Ministère de la Culture ?

Moe Sow : il faut dire que pour ce projet-là, ils (les dirigeants) ont appuyé. C’est eux qui ont donné les 80 millions, l’association Ceerno Souleymane Baal a participé à hauteur de 10 millions et ma société a donné 30 millions. Mais, il faut dire que c’est très maigre pour un budget de film.
LNA: l’acteur principal est un Anglais, Oris Eruhero, qui a joué dans beaucoup de films. C’est un ami à moi que j’ai connu à Londres, qui a bien voulu nous aider. Là où il devait avoir 25 000 dollars par jour, il en a reçu 5.000. Et franchement, c’était pour venir nous aider. Parce que pour moi, avoir des acteurs de ce calibre qui ont à peu près une cinquantaine de films sur Netflix, qui acceptent de venir jouer dans ce film, est une bonne chose. En plus, avec un professionnalisme remarquable, il a montré à nos acteurs, comment travailler en termes, entre autres, de respect d’horaires.

LNA: y a-t-il la participation d’acteurs Sénégalais ?

Moe Sow : Oui ! Il y a l’acteur sénégalais, feu Mentor Ba, qui est décédé juste après le film. Il y a aussi, Lamine Ndiaye, le chanteur Mauritanien Amadou Birane Mangane « Adviser ». Sans oublier, les chanteurs sénégalais Mia Guisse et Baba Maal qui ont aussi participé au soundtrack. C’est pour vous dire, qu’on a pu dégoter pas mal de personnages, malgré le peu de budget qui était à notre disposition. On a usé de notre carnet d’adresse avec l’ambition que l’on avait. Donc, nos autorités ont un rôle important à jouer. C’est celui de nous doter de moyens (financiers) afin que nous soyons à l’aise, que ça soit moi ou un autre cinéaste.

LNA: Prévoyez-vous d’autres diffusions concernant le film ?
Moe Sow : actuellement le film passe au cinéma Pathé. C’est dans l’optique de voir ce que cela allait donner avec l’avant-première. On peut dire qu’on est en train de lisser un peu pour le mettre en circulation au cinéma.

LNA: un aperçu sur votre projet « Papito l’écho de la liberté ». De quoi ça parle ?

Moe Sow : L’histoire de ‘’Papito’’, on peut dire que c’est celle qui m’a le plus fait mal dans ce qui s’est passé. Voir un petit mourir comme cela, ça fait pitié. Voir quelqu’un mourir de froid au milieu de l’océan atlantique alors qu’il fuyait les autorités est triste.
Vous savez, chacun à sa manière de contribuer à une révolution. J’ai voulu par l’histoire de ‘’Papito Kara’’ raconter l’histoire de tous ces activistes qui ont eu maille à partir avec la justice durant cette période de 2021 à 2023 au Sénégal. J’ai voulu parler de leur jugement, de la défense de ces activistes. On leur doit bien cela, savoir pourquoi ils ont été emprisonnés.

LNA: Moe Sow, je vous remercie.

Moe Sow : merci à vous.

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