Notre pays vient de tourner l’une des pages les plus périlleuses de son histoire après une période de transition qui aura durée trois ans.
En 2024, lorsque tout observateur porte un regard objectif sur le chemin parcouru par le Tchad depuis les trois dernières années, force est de reconnaître que nous avons échappé au pire et nous avons déjoué les pronostics les plus pessimistes sur l’avenir de la scène politique tchadienne.
Avec l’organisation apaisée et réussie du référendum sur la Constitution de la 5e République et la récente élection présidentielle, les Tchadiens croyaient venu le moment d’unir leurs intelligences et leurs énergies pour donner corps à notre nouvelle République et se consacrer aux tâches urgentes et vitales du développement.
Mais voici que quelques-uns de nos concitoyens ne se rangent pas à cette évidence.
Dans une interview accordée au magazine Jeune Afrique et publiée le mardi 3 septembre 2024, l’ancien (et éphémère) Premier ministre de Transition, Succès Masra, transformateur défroqué, porte paradoxalement une critique au vitriol sur ses propres actes de gouvernement.
En amont de cette pantalonnade dont il est coutumier -une de plus- il s’imagine encore vainqueur de l’élection présidentielle du 6 mai 2024, mais se dit néanmoins disposé à œuvrer pour « l’intérêt supérieur » du Tchad aux côtés d’un pouvoir exécutif auquel il dénie pourtant toute légitimité et dont il déligitimise les institutions régaliennes, au rang desquelles le Conseil Constitutionnel et l’Agence Nationale de Gestion des Élections (ANGE).
Il faut un sacré exercice de scolastique pour trouver une once de cohérence dans cette prise de parole du leader des « transformateurs ».
Monsieur Succès Masra estime que sa victoire chimérique n’a pas été reconnue du fait d’un processus électoral biaisé, voire faussé. Or, il en a été l’architecte et le gardien du temple. À aucun moment durant ce processus électoral, il ne s’est élevé contre une quelconque irrégularité. Il avait pourtant toute la latitude citoyenne pour le faire. Il dénonce un découpage électoral auquel il n’a rien trouvé à redire lorsqu’il était Premier ministre, chef du gouvernement.
L’agitation permanente en politique n’est pas un signe de vitalité. La bougeotte est l’expression fébrile du doute, de l’inconsistance.
En lieu et place d’une vision et des valeurs à proposer aux Tchadiens, Succès Masra redoute une « soudanisation » du Tchad. Prophète permanent de malheurs, le leader des transformateurs qui a échoué dans sa tentative destabilisatrice à transformer notre pays en un champ de ruines lors du fameux « jeudi noir » n’est pas à son premier essai d’apprenti-sorcier. En revanche, il sera le premier à renier ses ouailles avant que le coq n’ait chanté trois fois.
Par ailleurs, dans l’interview à Jeune Afrique, Succès Masra demande la tenue d’un dialogue national. Peut-être un monologue. Il faut pourtant se souvenir que le chef de file des « transformateurs » a boycotté les travaux du Dialogue National Inclusif et Souverain (DNIS) de 2022 pour appeler à la sédition dans la rue.
Jamais comptable de ses échecs, il a décampé le terrain de ses incitations à la sédition pour revenir au Tchad dans le très confortable fauteuil de Premier Ministre, Chef du Gouvernement, après la signature de l’accord de Kinshasa.
Il est évident, sans qu’il soit nécessaire de lire entre les lignes, que les ors de la République lui manquent. Or, doit-on le lui rappeler, la seule légitimité dans une démocratie, tout homme politique la tient des urnes, non de la rue ou des réseaux sociaux.
Le Tchad réel et profond n’est pas une galaxie anonyme et numérique. En politique, les traversées du désert sont pénibles lorsque l’on n’est pas porteur d’un véritable projet de transformation sociale. Il faut exister, voire subsister.
Succès Masra a donc choisi le magistère de la parole. Le chef de l’État, Mahamat Idriss Deby Itno, le magistère de l’action.
Rodrigue Mbaïlassem