L’An 3 du CNRD : « Le coup d’État n’était qu’un feu de paille »(Baadiko Bah, UFD)

Dans une interview accordée au site d’informations lesnouvellesdadriques.info, l’opposant Mamadou Baadiko Bah, président du parti Union des Forces démocratiques, s’est prononcé sur la gestion politique de la transition guinéenne. Entretien au cours duquel, il a décrypté le bilan des trois ans d’exercice de l’avènement au pouvoir du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD).

Lesnouvellesdafrique.info : Le CNRD fête son anniversaire ce 5 septembre. Que vous inspirent les 3 ans de gestion de la junte et le gouvernement de transition ?

Mamadou Baadiko Bah : Sans applaudir au coup d’État du 5 septembre 2021, nous avions exprimé les vœux que ces changements puissent contribuer à faire avancer le pays, en corrigeant les anomalies et les insuffisances que nous autres opposants reprochons au régime du président Alpha Condé : persistance en toute impunité de la corruption et de l’enrichissement illicite, gestion non transparente du bien public, explosion de l’endettement, braderie des richesses du sous-sol, tendances dictatoriales, avec les emprisonnements sans jugement d’opposants, les tueries dans les manifestations et les tendances ethnicistes marquées dans la direction des affaires du pays.

Nous n’avions pas manqué de saluer toutes les mesures prises par les nouvelles autorités et qui nous paraissaient aller dans le bon sens. Mais nous n’avions pas manqué d’attirer l’attention sur les tendances négatives que l’on observait dès le début : refus de déclarer publiquement les biens par les dirigeants dont l’identité n’a jamais été révélée, pouvoir personnel marqué et manque de transparence dans la gestion des ressources.

Les auteurs du coup d’État avaient repris à leur compte pratiquement tous ces griefs dans leurs déclarations liminaires, en promettant de faire mieux que le pouvoir constitutionnel qu’ils venaient de déposer dans le sang. Le 14 septembre 2021, lors de la rencontre de la junte avec les acteurs politiques et sociaux, nous n’avions pas manqué l’occasion d’exprimer le souhait que cette troisième transition de l’histoire de la Guinée soit la dernière avant que la Guinée ne sorte de ce cycle de décadence, d’instabilité, de misères et de crimes qu’on connait depuis 1958.

Nous avions approuvé la création de la CRIEF, pour mettre enfin un terme à l’impunité qui a toujours été de règle dans la gestion du patrimoine public. Nous avons applaudi aux efforts entrepris pour une justice intègre et indépendante.

Le procès des accusés des événements du 28 septembre 2009 a montré que de toutes les façons, il ne peut pas y avoir de crime parfait ; les auteurs auront un jour à en répondre. Les premières mesures prises pour assainir le fonctionnement de l’administration publique ont été saluées. Même la réduction du nombre de ministères était un signal bienvenu, pour alléger le fardeau de l’énorme appareil d’État parasitaire et corrompu sur le peuple.

Le Ministère des Affaires étrangères s’était très bien occupé de nos compatriotes en Tunisie, victimes des esclavagistes arabo-berbères, et c’était vraiment à saluer. Le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage avait initié des projets très utiles pour accroître la production intérieure dans ces domaines stratégiques.

De même, les mesures salutaires d’assainissement des examens et le recrutement d’enseignants communautaires allaient dans le bon sens. Mais la mesure la plus concrète et la plus salutaire du CNRD a été l’augmentation substantielle des pensions des retraités, même si à présent l’inflation ambiante a tout avalé ! Le nouveau pouvoir s’était spécialisé dans la finition et l’inauguration en grande pompe des ouvrages et infrastructures entamés par le Président Alpha Condé. Mais après cela, on n’a vu aucun nouveau projet… Tout s’arrête aux annonces, autant dire à la vulgaire propagande.

Trois ans après, force est de constater, avec les millions de Guinéens qui souffrent terriblement, que tout ceci n’était qu’un feu de paille, de l’activisme, le temps que le pouvoir s’installe en force. En peu de temps, la Guinée a pratiquement reculé dans tous les domaines. La fameuse « refondation » apparaît de plus en plus comme un enterrement de la démocratie, des libertés et du bien-être des millions de Guinéens, dont beaucoup, à présent, souffrent de la faim, des maladies sans soins appropriés et de la misère en général.

Aujourd’hui, l’unique issue qui reste à la grande majorité des jeunes et, même pour les moins jeunes, c’est l’exil vers des cieux de moins en moins accueillants. Il est à se demander si, comme pour la 1ère République, il n’y a pas en ce moment plus de Guinéens dehors que dedans ?

Lesnouvellesdafrique.info : Quel regard particulier portez-vous sur la gestion de la transition par le CNRD, du 5 septembre 2021 à nos jours ? 

Mamadou Baadiko Bah : Ce qui caractérise cette gestion, c’est son manque total de transparence et son caractère brouillon, ce qui a pour conséquence l’incurie dans tous les domaines ! Toutes les avancées positives signalées au début sont enterrées ou réduites à peu de choses. Depuis l’explosion du dépôt central de carburant à Coronthie, on attend toujours les résultats de l’enquête et surtout la prise en charge complète des victimes. Les pénuries d’électricité qui ont duré des mois, avec pour seule explication le manque d’eau dans les barrages ! Toute la machine économique et des millions de personnes qui s’en sortaient tant bien que mal avec de petits métiers utilisant le courant, sont restées des mois sur le carreau. Comme s’il n’a commencé à pleuvoir en Guinée que depuis le 5 septembre 2021 !

La CRIEF est apparue pour ce pour quoi elle a été créée : un instrument pour mettre hors d’état de nuire les opposants susceptibles de faire ombrage au CNRD dans ses ambitions de confiscation du pouvoir. Mais le plus grave dans le bilan du CNRD est dans les domaines des libertés publiques et de la sécurité des personnes. Tous les médias radio-télévisions qui ne sont pas aux ordres du pouvoir ont été purement et simplement bannis, avec des centaines de journalistes et de techniciens jetés à la rue. La RTG est redevenue l’organe unique d’information et de télévision du pays ! USER de la liberté d’opinion ou d’expression peut mener au pire, comme sous la 1ère République.

On s’installe dans les enlèvements et les disparitions définitives de ceux qui déplaisent au pouvoir. Pire encore, c’est de se demander s’il n’y a pas en Guinée de véritables escadrons de la mort et des tortures. Des images insoutenables là-dessus s’étalent partout dans les réseaux sociaux. Les exécutions peuvent se faire même à domicile ! On ne parle même pas des morts lors des manifestations sporadiques. La seule différence avec la pire époque qu’on ait connue est que dans notre monde, il ne peut plus y avoir de crimes commis à huis clos. Tout finit par se savoir et très vite, et un jour, la justice sera faite.

Lesnouvellesdafrique.info : C’est ce jour d’anniversaire que les Forces Vives de Guinée ont choisi pour appeler les Guinéens à une manifestation. Votre lecture de cet appel ?

Mamadou Baadiko Bah : Chacun de nous a sa propre vision de la lutte contre la dictature. Manifester pacifiquement est un droit constitutionnel inaliénable pour tous les citoyens. C’est le CNRD (à cause de son attitude dictatoriale et du refus de dialogue sérieux, fraternel et constructif), qui pousse les gens à recourir à ce moyen de lutte. Nous continuons quant à nous à lutter contre l’injustice, en disant « Vaincre ou témoigner ».

Lesnouvellesdafrique.info : Comprenez-vous la colère citoyenne actuelle face au CNRD ? 

Mamadou Baadiko Bah : Sachez que le peuple, surtout le petit peuple comprenant les plus défavorisés, ne juge pas une politique par les grands discours, la propagande, les beaux uniformes des dirigeants ! Cette grande majorité silencieuse juge une politique à ce qu’elle vit au quotidien : est-ce que j’arrive à me nourrir normalement avec ma famille ? Est-ce que je peux me soigner et soigner ma famille en cas de besoin ? Est-ce que mes enfants vont à l’école ? Et après leurs études, ont-ils un travail ou sont-ils encore à ma charge à la maison ? Ma famille et moi, avons-nous un minimum de commodités pour notre vie quotidienne ? Est-ce que mon environnement de vie est sain ? Suis-je en sécurité ? Vous-même, voyez aujourd’hui où en sommes-nous sur toutes ces préoccupations légitimes du plus grand nombre. Tout va plus mal qu’avant, c’est incontestable. Toute l’activité économique est plus qu’au ralenti.

La seule activité qui carbure très fort, ce sont les mines ! Et pour seuls résultats visibles et palpables, la destruction de l’environnement. Donc, quand le petit peuple fait la comparaison avec le peu qu’il avait avant, c’est tout à fait normal qu’il soit révolté. On ne peut pas, même avec des fusils, inventer de nouvelles lois de l’économie. Les résultats sont là et ne peuvent aller qu’en s’aggravant. Aujourd’hui, plutôt que de reconstituer le tissu économique, d’encourager les activités productrices, on bombarde des impôts ! Voyez le nombre de petites et moyennes entreprises qui disparaissent !

Lesnouvellesdafrique.info : Que dites-vous des violations des droits de l’homme, notamment la suspension temporaire des activités des partis politiques, des organisations de la société civile et des ONG ? 

Mamadou Baadiko Bah : À cet égard, nous ne pouvons que rappeler ce qu’était la Guinée au 3 avril 1984, après 26 ans de dictature sanguinaire du Parti-État : un pays en retard dans tous les domaines, pas de routes, pas d’infrastructures, des gens qui ne mangeaient pas à leur faim. Et tout ceci puisque toutes les libertés étaient bannies sous peine de mort. C’était le règne de la terreur pure et simple. Notez bien que lorsque les citoyens n’ont pas le droit de critiquer l’action de leurs gouvernants, c’est ce qui arrive. On le voit bien ici aujourd’hui, avec cette régression à des dizaines d’années en arrière.

Lesnouvellesdafrique.info : : Le CNT a récemment rendu public l’avant-projet de nouvelle constitution, dont la vulgarisation a commencé. Comment appréciez-vous cette démarche et quelle analyse sommaire faites-vous du contenu de ce document ? 

Mamadou Baadiko Bah : Notre Parti a déjà eu l’occasion de donner son avis sur ce texte. Prière de vous y reporter, car il n’y a rien à ajouter. Cette Constitution sera l’enterrement légal de la démocratie par la confiscation d’un pouvoir acquis par la force des armes, la promotion de l’arbitraire du pouvoir exécutif et de l’exclusion.

Lesnouvellesdafrique.info : Á l’allure où vont les choses, peut-on espérer les élections en 2024 pour un retour à l’ordre constitutionnel ? 

Mamadou Baadiko Bah : Je ne sais pas si vous rêvez ? Il y a longtemps que ce sujet n’est plus à l’ordre du jour, s’il ne l’a jamais été une seule fois ! Récemment, on a vu des agents de recensement qui faisaient le tour des quartiers en passant parfois moins de trois minutes par maison ! Si c’est cela, le recensement administratif en vue de la constitution des listes électorales, ça promet ! On verra tout !

Lesnouvellesdafrique.info : Votre mot de la fin ?

Mamadou Baadiko Bah : À notre humble avis, il faudrait que la junte réalise qu’elle a mené le pays dans une impasse totale. Il n’y a aucune autre issue positive que le dialogue franc, afin de trouver ensemble des solutions consensuelles pour la reconstruction du pays, après qu’on se soit attaqué aux graves maux du pays qui durent depuis 66 ans. Aucune répression, si féroce soit-elle, ne les sauvera en dehors de cette voie de la responsabilité et de la raison.

Entretien réalisé par Fodé Touré.

 

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