Brice Clotaire Oligui Nguema, l’an I et les chantiers de la Transition

Lorsqu’ils se réveillent au petit matin du 30 août 2023, c’est une tectonique des plaques que les Gabonais découvrent sous le ciel apparemment sans nuages du landernau politique de leur pays.

Alors qu’ils croyaient découvrir la proclamation annoncée des résultats de l’élection présidentielle du 26 août 2023 et sans grande illusion, pour certains, sur le vainqueur officiel de ce scrutin, ils apprennent, ébahis, que l’alternance politique ne s’est pas faite par la voie des urnes, mais par celle des armes.

Les signes annonciateurs du maintien au pouvoir du régime déchu d’Ali Bongo Ondimba étaient pourtant perceptibles quelques jours avant ce surprenant dénouement : la coupure du signal de certains médias audiovisuels étrangers, l’accréditation refusée aux observateurs étrangers, le déploiement des forces de défense et de sécurité dans les principales artères de Libreville.
Les scènes de liesse observées tant à Libreville que dans l’arrière-pays, sur les réseaux sociaux et dans les milieux de la diaspora gabonaise, en disent long sur les attentes d’une frange non négligeable des Gabonais à l’endroit du nouveau pouvoir.

Brice Clotaire Oligui Nguema, qui sera porté à la tête du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), entrera dans un état de grâce, qui s’étendra d’autant plus au-delà des 100 jours classiques que sa prise de pouvoir s’est faite sans effusion de sang ni confrontation armée entre des factions des forces de défense et de sécurité. Bien plus et dans une séquence temporelle inhabituellement brève lorsqu’il s’agit de tourner la page d’un ordre politique vieux de plus de cinq décennies, le chef de la transition a déroulé son esthétique du pouvoir et sa vision du Gabon comme sur du papier à musique. La cérémonie de prestation de serment qui a suivi la prise de pouvoir du CTRI, lors de laquelle étaient représentées toutes les forces politiques du pays — l’ensemble des forces vives de la nation comme des figures éminentes de la diaspora —, n’a pas laissé impressionner par le parfait réglage de cette grand-messe.

Les actes fondateurs du CTRI ont consisté à asseoir un style nouveau dans la conduite des affaires de l’État, empreint à la fois d’une fermeté toute martiale, comme l’illustre la communication de ses porte-parole, et une proximité populaire inhabituelle pour un pouvoir militaire du chef de la transition avec toutes les composantes de la nation, comme on a pu le voir dès la cérémonie de prestation de serment, début septembre 2023 et durant sa tournée à l’intérieur du pays.
Toutefois, c’est davantage sur deux chantiers majeurs que se jouera, dans les mois prochains, l’avenir de la transition en cours, à savoir la refondation durable des institutions, d’une part, et, d’autre part, l’édification d’une économie solide, souveraine, capable de redistribution pour donner davantage de dignité à ces nombreux Gabonais qui vivent avec le sentiment d’être des Gabonais entièrement à part et non des Gabonais à part entière.

S’agissant de la refondation institutionnelle du pays, il faut relever que le CTRI s’est doté des prérogatives d’une assemblée constituante, du fait de la dissolution des institutions de l’ancien régime. La nomination des membres des deux chambres du Parlement par le CTRI participe de ce nouvel ordre politique.
Par ailleurs, les recommandations du récent dialogue national (du 2 au 30 avril 2024) qui seront mises en musique par le nouveau pouvoir — la nouvelle constitution qui sera soumise au peuple pour adoption lors du prochain référendum — permettront de préciser les horizons de la transition en cours et les contours de son dénouement. D’ores et déjà, il faut relever que la nouvelle architecture institutionnelle laisse augurer d’une forte présidentialisation du nouveau régime face à laquelle certaines voix souhaitent voir institutionnalisés des contre-pouvoirs, comme dans la vieille tradition démocratique chère à Montesquieu. Ce débat encore en suspens sera un marqueur décisif de la physionomie politique du Gabon nouveau.

Les scrutins nationaux à venir seront également des indicateurs décisifs de la nouvelle modernité politique dans laquelle s’engage le Gabon. Toutes les consultations électorales antérieures ont donné lieu à des polémiques et à des contestations violentes qui ont parfois rapproché le pays du précipice.
Au regard de cet arrière-plan historique, les élections nationales à venir devront relever le défi, non seulement de la participation populaire, mais aussi de l’équité et de l’inclusion.
Ces innovations démocratiques, qui sont autant d’attentes à l’endroit du nouveau pouvoir, expliquent en partie la liesse populaire observée dans le pays au lendemain de son avènement.
Un autre chantier tout aussi crucial qu’urgent, c’est celui de la refondation économique du Gabon dans la perspective d’une redistribution républicaine et équitable des richesses produites.

Aussi, le paradoxe des politiques sociales, au Gabon, a-t-il longtemps été ce hiatus entre l’immensité des richesses produites et l’immensité des besoins légitimes jamais satisfaits. Le président de la Transition, le général Brice Clotaire Oligui Nguema, s’en est indigné à juste titre dans son discours d’investiture, citant Omar Bongo Ondimba qui en faisait un constat similaire. et alarmant d’allure testamentaire, lors de l’un de ses derniers conseils des ministres.

Au total, le Gabon de la transition en cours dispose de tous les atouts — matériels et humains — pour se mouvoir avec succès sur cette trajectoire nouvelle dont le cap est clairement fixé avec, pour finalité attendue, l’organisation d’une élection présidentielle ouverte, crédible, juste, équitable et incontestable. Un vœu que chérissent de nombreuses Gabonaises et de nombreux Gabonais. À raison.

Eric Topona, journaliste au service Afrique de la Deutsche Welle.

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