Après trois années de négociations et une dernière session à New York, la convention des Nations Unies sur la cybercriminalité a finalement été approuvée.
Ce nouveau traité, qui pourra entrer en vigueur après avoir été ratifié par 40 États, vise à « combattre plus efficacement la cybercriminalité » et à renforcer la coopération internationale en la matière, en se concentrant notamment sur les images pédopornographiques ou le blanchiment d’argent. Cependant, cette approbation n’est pas sans controverses, en particulier parmi les férus de la technologie et les défenseurs des droits humains.
Pour beaucoup, ce traité est qualifié d’être trop vague et ouvert aux abus. Dr. Qemal Affagnon, responsable de la section Afrique de l’Ouest de l’ONG Internet Sans Frontières, exprime une réaction mitigée. Selon lui, le texte de 39 pages, qui constitue le premier traité de ce genre, soulève plusieurs préoccupations.
« Au-delà de cette volonté affichée, le texte peut être utilisé pour s’en prendre à des personnes ciblées comme des dissidents politiques ou des journalistes critiques envers certains pouvoirs politiques », explique-t-il, tout en partageant l’opinion des grandes entreprises technologiques qui dénoncent un périmètre d’action trop large.
Dr. Affagnon est sans équivoque. Il qualifie l’attitude de ces grandes entreprises d’hypocrite. Il souligne que, selon un récent rapport publié par une entreprise informatique, ces grands groupes travaillent régulièrement avec les États. « Je qualifie leurs attitudes d’hypocrites parce que, grâce à ce rapport, ils fournissent des données sur les utilisateurs à des États dans le cadre d’une enquête criminelle ou d’une affaire civile ou administrative.
Or, dans le monde virtuel, les internautes ont des droits réels et concrets, c’est-à-dire le droit à la liberté, le droit à la sécurité, le droit au respect de la vie privée, et le droit à la protection des données personnelles. Avec ces types d’activités qui se développent, cela risque de prendre une autre allure grâce à ce traité, parce qu’ils vont permettre aux États d’enquêter, notamment s’il s’agit d’un crime passible d’emprisonnement selon leur loi nationale, et de solliciter la coopération de notre État pour obtenir certaines preuves. Les risques en termes d’abus, de contrôle, et de surveillance sont énormes. »
À la question de savoir les défauts majeurs que peut contenir cette convention, M. Affagnon insiste sur l’importance d’un équilibre entre les mesures destinées à lutter contre la cybercriminalité et la protection des droits humains. « Comme je l’ai dit tantôt, le périmètre d’action de ce texte est large et les risques d’abus sont énormes.
Aujourd’hui, on parle beaucoup de cybercriminalité. Au Bénin, par exemple, on a vu l’étendue du phénomène et comment les autorités l’ont pris à bras-le-corps. Toutefois, les résultats restent mitigés. Il est crucial de trouver un bon équilibre en mettant en place des mesures efficaces pour lutter contre la cybercriminalité tout en garantissant la protection des droits humains. »
Selon lui, ce traité doit offrir des garanties solides. « Sinon, il risque de servir à mettre en place une sorte de coopération à grande échelle entre certains États répressifs sans aucune garantie pour les droits humains. Ces États pourraient en profiter pour s’attaquer aux voix dissidentes, notamment aux politiques et journalistes critiques qui dérangent les pouvoirs en place. Ces défis sont essentiels, car ce texte a une portée très large. Si aucune stratégie n’est mise en place pour contrer les abus potentiels lors de l’application de ce texte, la question de la cybercriminalité pourrait être utilisée comme un écran de fumée pour mener à bien des activités répressives », précise-t-il.
Quid des droits humains ?
Pour le Dr. Affagnon, les risques sont bien réels. « À l’ère du numérique, la technologie a transformé notre manière de vivre et d’interagir.
Cependant, ces innovations soulèvent d’importantes questions concernant la protection de certains droits fondamentaux », fait-il savoir avant d’ajouter qu’il est essentiel de mettre en place des garde-fous dans un monde de plus en plus connecté. « Les données personnelles sont enregistrées, analysées et utilisées par ces entreprises et gouvernements.
Ce traité pourrait aggraver la situation s’il est appliqué de manière inappropriée. D’où la nécessité de bien réglementer la manière dont les données sont collectées, gérées, et analysées à des fins politiques et mercantiles par les États », conclut-il.