Entrepreneuriat : 90% des startups échoueront dans deux ou trois ans par manque d’investissement

En Afrique, l’entrepreneuriat est de plus en plus valorisé. Selon une étude réalisée par l’Université de Montréal sur le développement économique et l’emploi en Afrique francophone, 74,6 % de la population considère l’entreprenariat comme un choix de carrière. Cette tendance est principalement due au chômage, à la pauvreté et aux difficultés rencontrées par les jeunes pour accéder à des revenus décents.

Dans cet entretien, Mélanie Keita, experte en finance et investissement et cofondatrice de Melanin Kapital, met en lumière les défis et les opportunités de l’entrepreneuriat en Afrique.

 

Lesnouvellesdafrique.info (LNA) : De plus en plus de jeunes souhaitent désormais se lancer dans l’entrepreneuriat. Qu’est-ce qui explique cela ?

Mélanie Keita : Plusieurs raisons peuvent l’expliquer. Il y a le problème de l’accès à l’emploi. Le chômage est trop important en Afrique. C’est le cas du Kenya, avec la révolution poussée par la génération Z. Ils sont à l’université, mais au terme de leur formation, ils se retrouvent au chômage. Malheureusement, ce n’est pas forcément une bonne chose que tous les jeunes se lancent dans l’entrepreneuriat parce que c’est très difficile et exige beaucoup de capital, c’est-à-dire qu’il faut avoir des économies et des personnes autour de nous pour nous aider.

C’est la réalité de l’entreprenariat. Moi, quand j’ai débuté, j’avais des économies que mes cofondateurs et moi avons investies, et la plupart des entrepreneurs que je connais ont fait la même chose. Donc, c’est très difficile quand on n’a pas eu l’occasion de travailler dans de grandes entreprises pour se constituer un réseau avec des personnes qui ont de l’argent. Mais ce qui est fantastique, c’est qu’il y a beaucoup d’idées venant des jeunes, donc on voit beaucoup de business se lancer, que ce soit dans le commerce ou même dans l’innovation comme la biochimie. Le problème est que 90 % des startups vont échouer au bout de deux ou trois ans parce qu’elles manquent de financement et d’investissements. Ces opportunités sont rares en Afrique, mais aussi les entrepreneurs n’y ont pas forcément accès, contrairement à la France ou à l’Allemagne, où il y a l’aide de l’État.

Du coup, ils doivent avoir recours à des financements internationaux, ce qui demande d’avoir plus de connaissances sur les institutions internationales, ce qui peut être un frein pour eux. Il y a 15 millions d’entrepreneurs qui arrivent sur le marché du travail, ce qui est énorme mais excitant.

LNA : Parmi les activités qui connaissent une réelle progression, il y a les transferts d’argent mobile en Afrique, qui augmentent considérablement (Wave, Orange Money, Sendwave, Yom, etc.). Comment expliquez-vous cela ?

Mélanie Keita : Effectivement, nous avons un problème d’infrastructure bancaire en Afrique, contrairement à d’autres pays. Donc, c’est très difficile de pouvoir transférer de l’argent. Cela est dû à la multiplicité des devises. Il faut savoir qu’il y a des devises qui ne se convertissent pas entre elles. Au Kenya, nous avons M-Pesa, qui est l’équivalent d’Orange Money, mais qui est aujourd’hui utilisé par 95 % de la population.

En fait, les transferts d’argent mobile fonctionnent bien en Afrique parce qu’on n’a pas vraiment de solution qui permet d’être payé quand on est un entrepreneur ou de pouvoir faire un virement rapidement. Les lignes téléphoniques sont bien développées. Il y a eu beaucoup de subventions sur ce sujet. Certains se sont installés en Afrique. On a un réseau très développé alors que tous les virements bancaires, qui sont beaucoup plus dépendants de l’internet, fonctionnent moins bien. Il est nécessaire de souligner qu’il est très difficile d’ouvrir un compte bancaire en Afrique. Nous travaillons avec plusieurs grandes banques, et il y a beaucoup de documents à fournir.

 

Les comptes bancaires business se font très rarement en ligne, alors qu’un compte Orange Money ou autre est facile à ouvrir. Il suffit juste d’avoir une puce et c’est beaucoup moins exigeant. Je pense que cela s’explique par le processus d’ouverture de compte, et il y a aussi la question d’adoption. C’est-à-dire que plus les utilisateurs trouvent qu’il y a moins de barrières, plus ils l’adopteront. Les moyens de transfert sont instantanés et ne sont pas très chers. Cela rend leur utilisation beaucoup plus agréable.

LNA : Ces moyens de transfert et de virement d’argent peuvent-ils être la réponse à l’inclusion financière en Afrique ?

Mélanie Keita : Pour moi, tout ce qui est mobile banking est une façon d’inclure les populations dans le système financier, mais pas dans le système traditionnel. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on a beaucoup d’utilisateurs sur M-Pesa au Kenya, donc le mobile banking de SafariCom, cela ne veut pas dire qu’ils ont plus accès à des prêts, et ce sont des prêts extrêmement chers, qui peuvent être de 30 à 70 %, alors que si l’on va à la banque, ce sera moins cher. Le problème est que les banques ne reconnaissent pas autant qu’elles le disent les transactions en mobile money. Cela fait que si on a une petite boutique et que l’on détient un compte M-Pesa, et qu’on va à la banque, on peut avoir un micro-prêt personnel, mais il sera impossible d’obtenir un prêt business.

Notre expérience montre qu’il est très difficile d’obtenir un prêt personnel. Donc, je trouve que c’est une étape qui permet à la population de transacter, de faire bouger son argent à moyen et court terme. Mais, sur le long terme, quand on veut croître et passer du niveau PME ou micro, la réponse est non. Elles ont besoin d’accéder à des services bancaires plus élaborés, et pour cela, il faut que les services bancaires puissent reconnaître leur historique de crédit sur le mobile money, ce qui n’est pas encore le cas.

LNA : Dans ces conditions, quel rôle pour les banques classiques face à cette floraison des moyens de transfert d’argent ?

Mélanie Keita : Elles ont un rôle crucial à jouer. C’est à elles d’accepter le fait qu’elles n’ont pas réussi à servir ce segment de marché, qui est un segment nano et micro d’entrepreneurs et de populations, et qu’elles ne veulent pas faire ce travail. C’est un travail très difficile et très coûteux, qui nécessite une infrastructure beaucoup plus digitale que ce qu’elles ont actuellement. Il faut laisser d’autres acteurs le faire.

Mais, il faut aussi reconnaître le coût des transactions, le passif de ces clients qui ont utilisé le mobile money pour qu’ils puissent faire une transaction vers ces banques classiques. Au final, tout le monde y trouvera son compte si les banques collaborent avec les Fintechs et les entreprises de transfert d’argent mobile pour pouvoir utiliser ces données pour faire des prêts, mais plus que de le dire en théorie. Aujourd’hui, toutes les banques vont vous faire croire qu’elles utilisent les M-Pesa, sauf qu’en pratique, c’est beaucoup plus compliqué. Elles vous demandent de rebanquer avec elles pendant 12 à 18 mois, ce qui est très long et ne permet pas aux entrepreneurs de se sentir à l’aise. On leur demande plus de documents, plus de preuves, et cela coûte beaucoup d’argent.

Je pense que les banques ont un énorme rôle à jouer pour collaborer avec les solutions de mobile money et de Fintechs qui ont été présentées pour créer une inclusion financière. Et en second lieu, il y a aussi le fait que les banques doivent faire un effort du point de vue du partage de données. En Europe et en Afrique du Sud, au Nigéria, l’open banking commence à se développer.

C’est une possibilité pour les banques de partager les données de manière très protégée. Cette collaboration interbancaire sous surveillance de la banque centrale permettrait d’améliorer l’inclusion financière et tout le monde y gagnerait.

LNA: Parlons actualité, le Rwanda a investi près de 138 milliards de dollars dans des laboratoires mobiles semi-automatisés, dans le but de devenir le principal hub régional de vaccins à ARN messager en Afrique. Dans quelle mesure un tel mécanisme peut-il profiter au continent et aux entreprises sur le continent ?

Mélanie Keita : Ce type d’innovation et d’automatisation permet de donner accès à des populations qui n’auraient pas pu l’avoir si les prix étaient plus élevés, car cela réduit le coût d’utilisation. Le continent pourrait en bénéficier. Tout cela pourrait créer de l’emploi.

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