Dr Ahmed Diémé décrypte les chances de survie des régimes putschistes de l‘AES

La région ouest Africaine a basculé  dans une nouvelle ère avec les État de l’AES qui s’éloignent de plus en plus du giron de la Cedeao.

Après leur sortie de l’organisation sous régionale en janvier 2023, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont franchi le Rubicon samedi (06.07.24), à Niamey, en créant une confédération au sein de leur alliance. Un front anti-Cedeao assumé, où la « souveraineté » et la rupture avec « l’ancien ordre néocolonial » sont érigées en dogmes. Le divorce semble désormais consommé avec la Cedeao, qualifiée d’ « inefficace » dans la lutte antijihadiste par le président de transition nigérien.

Le départ des trois pays de l’AES de la Cédéao sera effectif le 28 janvier 2025, selon le traité de l’organisation. Mais avant cela la Cedeao veut prendre les devants, non sans menacer de prendre des mesures de rétorsion.

Les présidents sénégalais Bassirou Diomaye Faye et togolais Faure Gnassingbé ont été désigné comme médiateur dans ce qui apparaît comme un bras de fer entre deux blocs au sein d’un même espace. Les putschistes sortiront ils indemnes de ce bras de fer avec la Cedeao dont ils dépendent beaucoup sur le plan commercial, entre autres?

Dans cet entretien avec la rédaction, le Chercheur et consultant indépendant sûr les questions de conflit dans le sahel, Dr Ahmed Diémé, par ailleurs, directeur de sascom sahel stratégie communication, décrypte ce bras de fer et l’avenir de cette nouvelle Confédération qui dépend pour beaucoup de la Cedeao.

lesnouvellesdafrique.info : Comment  comprendre ce qui apparaît comme un bras de fer entre les États de et la Cedeao ?

Dr Ahmed Diémé : c’est incompréhensible pour trois ou quatre raisons. La première, c’est que toutes ces deux organisations ont la prétention d’avoir la vocation panafricaniste de construire l’union africaine, de renforcer l’intégration par cercle concentrique pour arriver à l’intégration continentale. L’AES semble être dans une démarche très incohérente. Pourtant ces trois pays de l’AES prétendent être des panafricanistes et ont un narratif qui va dans ce sens là. Malheureusement, c’est du panafricanisme du négatif.

La deuxième raison est que les deux organisations ont les mêmes défis quasiment. Le défi le plus urgent est celui de la sécurité avec la crise socio-politique exacerbée par les mouvements politico-religieux.

C’est incompréhensible que les l’AES et le Cedeao ne créent pas un front commun à cet effet là. D’ailleurs, la Cedeao l’a tellement bien compris que les États membres sont entrain de planifier effectivement une force commune avec la difficulté qu’on connaît à savoir le financement de cette force commune pour la lutte contre le terrorisme. Donc dans ce contexte la Niger, le Mali et le Burkina n’auraient pas dû claquer la porte parce que c’est malvenue.

La troisième raison, c’est qu’on peut pas dire aujourd’hui qu’on peut faire face aux défis économiques à savoir la transformation économique, l’industrialisation, la création d’infrastructures, etc. pour sortir les populations du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de la pauvreté et du sous développement.
On est malheureusement dans une sorte de bourgade populaire ou populiste où l’on entretient l’idée selon laquelle il suffit d’avoir des ressources pour tout de suite toucher au développement. Ce qui est une grave erreur. La ressource naturelle n’implique pas forcément le développement. Il faut par contre la transformation de la ressource naturelle, la mise en place des infrastructures industrielles, la connexion de la ressource humaine que représente les masses de jeunes africaines avec le process de production économique et industrielle. C’est cela qui fait le développement.

Or, ces pays de la sous région ouest Africaine ont ce défi là à relever. Et c’est très incompréhensible qu’ils n’unissent pas leurs forces pour faire face à cela.

La quatrième raison qui montre que ce bras de fer est incompréhensible, c’est qu’il y a aujourd’hui un recul de la démocratie qui se caractérise par le retour à des régimes militaires, à l’autoritarisme, à la violation des droits de l’homme, au ballonnement des libertés avec des attitudes de tripatouillage de la Constitution. Ce recul démocratique est un grave danger pour l’Afrique.

lesnouvellesafrique.info : Qu‘est-ce que la menace de l’instauration d’une visa pour les ressortissants du Niger, du Burkina Faso et du Mali pourrait engendrer en termes de conséquences au sein de la Confédération de l’AES ?

Dr Ahmed Diémé : C’est une perspective tout à fait plausible. J’espère que le président sénégalais Diomaye Faye va réussir à ramener le Mali, le Burkina Faso et le Niger dans la grande famille Cedeao. Mais j’en doute beaucoup parce qu’ils sont dans une logique irrévocable comme ils disent très bien et je crains fort que Diomaye Faye perde beaucoup de son temps ou risque d’être humilié par des putschistes qui ont une attitude très imprévisible.

Ceci dit, la conséquence, c’est l’instauration des visas et c’est là qu’on va sentir le rejet d’une bonne partie de ces populations de l’AES va exprimer vis-à-vis de la Confédération de l’AES qui est en rupture avec la Cedeao. Les burkinabés, maliens et nigériens ont beaucoup à gagner en termes économiques, en termes d’échanges, de société, en restant ensemble avec les frères de la Cedeao qu’en se voyant imposés un système de visa qui compliquerait leurs mouvements et remettrait en cause beaucoup d’acquis économiques en termes d’échanges sur le plan commercial, le liberté de circulation des personnes et des biens dans la sous région.

Cette question du visa va beaucoup plus être source de contestation interne dans ces pays là pour dire à leur junte, leur gouvernent illégitime, qu’ils en ont assez de cette situation là.

Par exemple sur le plan économique, le Burkina-Faso a beaucoup intérêt stratégiquement avec le Ghana ou la Côte d’Ivoire qu’avec les autres pays de l’AES et les populations le sentent. Le Mali, pareil, par rapport à la Côte d’Ivoire et au Sénégal, le port et les questions d’énergie.

Le Niger, par rapport au Nigéria aussi, tout son commerce avec le nord du Nigéria, de Kano jusqu’à Maïdigouri en passant par Katsina. Toute cette zone là a une forte dépendance commerciale vis-à-vis du Nigéria.

Les conséquences seront très difficiles à supporter de la part des populations.

lesnouvellesdafrique.info : La nouvelle Confédération de l’AES a-t-elle un avenir certain devant elle ?

Dr Ahmed Diémé : certainement eux de l’AES pourraient le dire. Mais moi, en tant qu’observateur externe, quand je considère un certain nombre de paramètres comme le niveau économique, le manque d’infrastructures, la crise sécuritaire, le travail institutionnel, le processus d’acceptation de l’intégration réelle et concrète des populations, ce qui pourrait prendre plusieurs décennies…

Je ne vois pas trop où se trouve l’avenir. Sinon l’avenir des pouvoirs en place, c’est à dire pour entériner le nouveau modèle politique dont un certain nombre de théoriciens panafricanistes qui sont basés dans ces pays de l’AES essaient de nous vendre une nouvelle démocratie autoritaire basée sur les légitimités, que l’Afrique renoué avec son passé, etc. Une démocratie, encore très abstraite avec une espèce d’anachronisme qui m’étonne beaucoup face aux défis d’aujourd’hui.

Au lieu de se projeter dans l’avenir, j’ai l’impression que ces théoriciens ont tendance à être dans le passéisme et dans l’anachronisme en évoquant des empires qu’il faut restaurer. Peut-être l’avenir de ces régimes là se trouve à travers la Confédération ne serait-ce pour garder le pouvoir encore pendant quelques années et mettre un trait à la démocratie classique, la démocratie élective, du débat et de la contradiction, de la diversité, des équilibres de pouvoir.

Je pense qu’on risque d’assister à la fin de ces types de démocratie là dans ces régimes surtout que leur avenir se situe à ce niveau là. Mais sur le plan socio-économique, je ne vois pas d’avenir et de possibilités. En tous les cas, sur les 10, 15, 20 ans je ne vois pas grand-chose.

Il faut souligné le manque d’avenir du fait que ces pays là n’ont pas réglé la question sécuritaire, celle du jihadisme politique. Au contraire, la stratégie actuelle qui est le tout militaire, peut certes avoir des effets sur la plan émotif dans les foules. Ils le réussissent bien parce qu’ils mettent des rideaux de fer pour que les gens ne voient pas la réalité du désastre qu’il y a au Burkina Faso, au centre du Mali, au Niger, au profit d’une façon de communiquer qui est une communication qu’ils appellent l’info guerre. Ça nourrit le populisme, c’est vrai, mais c’est assez dommage. À court terme, ça ne peut pas correspondre à quelque chose de réelle.

Il n y a pas d’avenir parce que la perspective dans laquelle ils s’inscrivent, c’est celle de s’appuyer sur un allié qui est la Russie qui ne permet pas à la sous région d’avancer. Au contraire, d’installer la sous région dans une espèce de concurrence et de compétition très malsaine.

Par exemple, lorsque Afrika corps constitue le principal dispositif pour ces trois juntes, avec comme allié stratégique la Russie, pendant ce temps, le reste de la sous région devient quoi ? La Côte d’Ivoire abrite déjà bientôt les

américains, le Nigeria est beaucoup plus une alliance avec l’occident global qu’avec le sud global même s’il a envie d’entrer dans le brexit…

Ce qui est un tableau assez triste pour l’Afrique de l’Ouest. C’est le résultat, à mon avis, d’un comportement politique qui consiste à remplacer la problématique de l’insécurité et du djihadisme par l’impérialisme.

A.K.COULIBALI

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