Les attaques djihadistes continuent de sévir au Mali. Le pays du Sahel est devenu un foyer de la violence consécutive à un feuilleton politico-sécuritaire qui ne cesse de se dégrader. Mardi (02 07 24), au moins 21 civils ont été tués à quelques dizaines de kilomètres de Bandiagara dans le centre du Mali. Ces violences se déroulent dans un contexte politique tendu entre les militaires au pouvoir et les partis politiques dont les activités ont été interdites par la junte au pouvoir. Celle-ci a érigé l’oppression et des arrestations arbitraires comme un système de gestion tous azimuts visant toute voix discordante à son égard.
Dans cet entretien accordé à la rédaction Lesnouvellesdafrique.info, Aboubacrine Assadek, ministre des Finances du gouvernement de transition en exil, estime que la crise multidimensionnelle que traverse le Mali, nécessite un impératif de réformes profondes et un engagement sincère pour réinstaurer la démocratie.
Lesnouvellesdafrique.info : Aboubacrine Assadek, bonjour.
Aboubacrine Assadek : Bonjour
Lesnouvellesdafrique.info : Le feuilleton se poursuit pour les dix opposants faisant partie de « la déclaration commune du 31 mars », placés sous mandat de dépôt le 24 juin dernier et transférés dans différentes prisons du pays. Ont-ils, selon vous, violé l’injonction du pouvoir, à savoir l’interdiction d’activités, notamment politiques, considérées comme de la « subversion » ?
Aboubacrine Assadek : On peut dire que oui alors que peu avant, le premier ministre de la junte a tenu une réunion du même type avec ses partisans, en étant même virulent avec la junte par rapport au mémorandum du M5-RFP, sans que rien ne lui arrive. Ces deux poids, deux mesures en dit long sur les pratiques de ce gouvernement au pouvoir négatif.
Les opposants en question sont accusés d’avoir enfreint l’interdiction d’activités politiques imposée par la junte. Cette injonction, qualifiée de « subversion », est utilisée comme un prétexte pour réduire au silence les voix dissidentes. Il est difficile de ne pas voir dans cette répression une tentative de la junte de consolider son pouvoir en écrasant toute opposition. Les accusations de subversion sont souvent vagues et permettent des interprétations larges, facilitant ainsi l’emprisonnement des opposants politiques sans véritable justification légale. Tout laisse à croire que cette junte sans vision, après avoir chassé tous les partenaires stratégiques et qui s’en prend aux compatriotes, n’a autre chose en tête que de se maintenir au pouvoir.
Lesnouvellesdafrique.info : La junte ne risque-t-elle pas de s’attirer la foudre de sa population dans sa dynamique de rester aphone sur la tenue des prochaines élections et cet acharnement sur les voix critiques du pays ?
Aboubacrine Assadek : En effet, la junte risque de plus en plus de perdre le soutien populaire. La population malienne, fatiguée par des années d’instabilité et de promesses non tenues aggravées par la crise énergétique qui a fait perdre beaucoup de métiers et d’emplois, pourrait voir d’un très mauvais œil l’absence de communication claire sur la tenue des prochaines élections.
La répression des voix critiques, loin de renforcer la stabilité, pourrait au contraire alimenter le mécontentement et la colère populaire. L’acharnement contre les opposants politiques pourrait être perçu comme une tentative désespérée de la junte de se maintenir au pouvoir, ce qui ne ferait qu’accroître la défiance envers le régime.
Lesnouvellesdafrique.info : Le Mali peut-il retrouver un régime démocratique dans la mesure où la liberté d’expression semble souffrir en plus de la situation sécuritaire liée au djihadisme ayant conduit à une crise multidimensionnelle ?
Aboubacrine Assadek : Il faut dire que le chemin vers un retour à la démocratie au Mali est semé d’embûches. La répression de la liberté d’expression et la détérioration de la situation sécuritaire liée au djihadisme créent un environnement où il est difficile pour les institutions démocratiques de prospérer.
En 2012, seulement 4 % du territoire était occupé par les terroristes, aujourd’hui cela s’est élargi à 40 %. La crise multidimensionnelle que traverse le pays exige des réformes profondes et un engagement sincère pour la restauration de la démocratie, sinon ce fâcheux précédent pourra faire école.
Lesnouvellesdafrique info : Quelles solutions préconisez-vous ?
Aboubacrine Assadek : Pour que le Mali puisse retrouver un régime démocratique, plusieurs mesures sont nécessaires : D’abord la libération des prisonniers politiques emprisonnés est un premier pas indispensable. Cela montrerait un engagement en faveur du dialogue et de la réconciliation nationale. Deuxièmement, l’organisation d’élections libres et transparentes.
La junte doit s’engager clairement sur un calendrier électoral et permettre l’organisation d’élections libres et transparentes, avec une supervision internationale indépendante. Troisièmement, le renforcement des Institutions Démocratiques : Il est crucial de renforcer les institutions démocratiques du pays, en garantissant leur indépendance et leur capacité à fonctionner sans ingérence militaire. Quatrièmement, l’amélioration de la Sécurité : La lutte contre le djihadisme et l’amélioration de la sécurité sont essentielles pour créer un environnement propice à la démocratie. Cela nécessite une approche globale qui inclut des initiatives de développement et de réconciliation communautaire. Enfin, la promotion de la Liberté d’Expression : les restrictions sur la liberté d’expression doivent être levées, et un espace doit être créé pour le débat public et la participation citoyenne.
En conclusion, le Mali traverse une période critique où les choix faits par la junte et la réponse de la communauté internationale détermineront l’avenir du pays. Un retour à la démocratie est possible, mais il nécessite des actions concrètes et un engagement sincère envers les principes démocratiques et les droits humains.
Lesnouvellesdafrique.info : M. Assadek, je vous remercie.
Aboubacrine Assadek : Merci à vous.