La justice nigérienne doit se prononcer sur la levée de l’immunité du président déchu Mohamed Bazoum, suite à une demande de libération introduite par ses avocats. L’ancien président nigérien est accusé par les militaires au pouvoir de haute trahison. Ils lui reprochent d’avoir échangé des informations avec l’extérieur, alors qu’il était en détention surveillée. La détention de Mohamed Bazoum est jugée illégale par la Cedeao et plusieurs partenaires internationaux du Niger.
Au micro de la rédaction Lesnouvellesdafrique.info, Amadou Bachir, juriste au Centre d’étude et de recherche en droit international et communautaire, estime que le fait que la junte décide d’organiser ce procès permet une condamnation et une détention légale de l’ex président du Niger.
Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour, Me Bachir Amadou.
Bachir Amadou : Bonjour.
Lesnouvellesdafrique.info : La justice nigérienne s’apprête à lever l’immunité de l’ex président Mohamed Bazoum pour le juger. Mais que va-t-il concrètement se passer juridiquement ?
Bachir Amadou : La levée de l’immunité de l’ancien président, si elle devait être accordée et obtenue par la justice, conduirait justement à sa traduction devant ces mêmes tribunaux pour y être jugé pour haute trahison. C’est exactement le but de cette procédure. Et, généralement, les conditions de jugement d’un ancien président de la République au Niger ne sont possibles que dans deux cas, soit en cas de haute trahison, soit en cas de parjure.
Dans le premier cas, je me rappelle qu’aux premières heures de la prise du pouvoir par les militaires, il a été indiqué que l’ancien président Mohamed Bazoum aurait échangé des messages parfois compromettants. Et c’est dans ce sens qu’aujourd’hui, le régime actuel a demandé la levée de son immunité afin qu’il soit jugé par la justice nationale.
Lesnouvellesdafrique.info : Cette demande de levée de l’immunité du président Bazoum pourrait-elle aussi conduire au changement de domicile de l’ex-président ?
Bachir Amadou : C’est possible, même si la levée de l’immunité en elle-même ne pourra pas conduire au changement de lieu de détention. Parce qu’aujourd’hui, je pense que pour des questions de sécurité, il serait peut-être mieux indiqué que M. Bazoum soit gardé là où il est présentement, à savoir, la résidence présidentielle, plutôt que de le transférer dans une résidence ordinaire qui demanderait également la mise en place de tout un dispositif de sécurité.
Donc, même si son immunité venait à être levée, il n’en demeure pas moins qu’il reste quand même un ancien chef de l’État, de sorte qu’il peut bien y rester puisque, même s’il était détenu, je pense que la résidence surveillée nécessiterait effectivement la mise en place d’un dispositif.
Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier que le régime actuel, donc militaire, avait à un moment dénoncé à tort ou à raison, une tentative d’évasion de M. Bazoum et de sa famille, ce qui n’a pas manqué de faire grincer beaucoup de dents dans le pays.
Je pense que pour tout cela, ils vont vouloir le garder là où il est. C’est encore plus sûr pour eux que de le mettre dans une maison ordinaire.
Lesnouvellesdafrique.info : La levée de l’immunité du président Bazoum et l’ouverture de son procès ne sont-elles pas la suite d’une certaine pression régionale et internationale ?
Bachir Amadou : Oui, c’est possible. Mais de mémoire, ce que je sais, cette pression régionale ou internationale n’a pas pu avoir une quelconque conséquence dès le début de la prise du pouvoir. Il serait aujourd’hui, donc, difficile de penser que c’est cette pression internationale qui conduit à une certaine régularisation de la détention de Bazoum.
J’ai encore en mémoire, en 2010, le coup d’État qui a renversé le président Tanja. A cette époque, il y avait une décision de justice de la Cour de justice de la Cédéao qui avait été rendue et qui condamnait l’État du Niger pour détention arbitraire du président Tanja. Mais cela n’a pas eu d’impact puisque cela n’a pas conduit à une exécution de la décision de justice. Il a fallu que les militaires, à un certain moment, soient bien assurés pour libérer Tanja et le mettre en résidence surveillée.
Mais ce que vous dites est également plausible. Aujourd’hui, la détention de Mohamed Bazoum a été reconnue comme étant arbitraire puisque sans titre aucun. Donc, le fait de vouloir organiser un procès peut conduire à une condamnation régulière et à une détention qui pourrait être considérée comme légale.
Lesnouvellesdafrique.info : Ce qui pourrait aussi ouvrir la voie à une mise en résidence surveillée ou à une libération conditionnelle ?
Bachir Amadou : Tout à fait. Et s’il devait être libéré, il serait beaucoup plus intéressant pour les militaires au pouvoir de le libérer sur fond d’une décision de la justice nationale nigérienne. Donc, oui, cela pourrait effectivement être une possibilité, une sorte de porte ouverte à la mise en liberté de Mohamed Bazoum.
Lesnouvellesdafrique.info : Est-ce que ce n’est pas aussi une manière pour les militaires au pouvoir de ne pas perdre la face dans ce dossier politique ?
Bachir Amadou : On peut être tenté de le penser, mais aujourd’hui, je ne suis pas certain qu’il faille un semblant de procès pour ne pas perdre la face. Je suis de ceux qui estiment que le procès pour la levée de l’immunité en elle-même de l’ancien président Bazoum, si procès devait y avoir, n’est pas de nature, au niveau interne, à calmer les ardeurs. Parce qu’il faut quand même le rappeler, le président Bazoum reste populaire aux yeux d’une certaine opinion qui considère effectivement qu’il n’est que la victime d’un clan ou d’un complot. Sa fille elle-même a pu décrire la trahison dont son père a fait l’objet de celui qui était son mentor et son ami de toujours, l’ancien président Issoufou.
Donc, si vous voulez, il y a tout ça qui a conduit à créer une sorte de capital sympathie dont bénéficie M. Bazoum.
Je ne pense donc pas que les militaires prendraient le risque d’organiser un procès pour, dit-on, ne pas perdre la face, puisque M. Bazoum serait doublement perçu comme une victime – si cette procédure est légère. Donc, il y a quand même un risque assez important pour les militaires au pouvoir. Je ne pense pas que ce soit vraiment nécessaire pour eux d’aller sur ce terrain-là.
Lesnouvellesdafrique.info : Est-ce qu’en cas de la levée de l’immunité de Mohamed Bazoum, son procès peut-il aussi déboucher sur une condamnation avec sursis, synonyme de libération immédiate ?
Bachir Amadou : Alors moi, je ne le penserai pas parce que je crois que tout à l’heure, je vous ai rappelé quand même que s’il devait être poursuivi, il sera poursuivi pour haute trahison. La haute trahison, à mon sens, ne peut pas aboutir à une condamnation avec sursis, la haute trahison est l’un des crimes les plus graves. Donc, si vraiment il devait être poursuivi, soit il est relaxé, donc pas reconnu coupable de haute trahison, soit il sera poursuivi et dans ce cas, la condamnation va aboutir à plusieurs années de prison.
Mais dans tous les cas, moi, je pense en réalité qu’on n’est qu’à une première étape qui constitue la levée de son immunité. Ce qui voudrait dire aussi qu’organiser un procès, ça prendra beaucoup de temps. Il faut noter que la levée de l’immunité n’est qu’une étape préalable qui ne présage rien de la culpabilité ou non.
Lesnouvellesdafrique.info : Merci beaucoup, Me Bachir.
Bachir Amadou : Merci à vous.