La poussée du Rassemblement national aux élections européennes a poussé le président Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale et convoquer de nouvelles élections législatives.
Les résultats détaillés du scrutin confirment en effet la victoire de la liste de Jordan Bardella, qui a remporté plus d’un tiers des 81 sièges français au Parlement européen. La liste « La France revient ! » a récolté 31,37 % des suffrages, lui permettant d’obtenir 30 sièges au Parlement européen, soit sept de plus qu’il y a cinq ans. Une avancée qui pourrait constituer une menace pour la migration.
Dans cet entretien avec Lesnouvellesdafrique.info, le président de l’ONG Horizons sans frontière (HSF) assimile cette montée de l’extrême droite à l’absence d’offre politique renouvelée. Boubacar Seye invite les pays africains à revoir leurs rapports avec la France. Avec l’extrême droit, rien ne sera plus comme avant.
Lesnouvellesdafrique.info : Boubacar Seye, bonjour.
Boubacar Seye : Bonjour.
Lesnouvellesdafrique.info : L’extrême droite a signé une pensée lors des élections européennes. Une nette progression avec une victoire du Rassemblement national (RN) domine largement les autres partis à l’issue du scrutin européen. Quelle réaction après l’annonce de cette victoire ?
Boubacar Seye : Le score fulgurant des partis d’extrême droite est le résultat de l’échec des partis traditionnels qui ne sont plus en phase avec leurs populations. L’absence d’offre politique renouvelée a créé une sorte de populisme qui signifie une crise de confiance aiguë du peuple envers ses institutions et ses hommes politiques. Il renvoie à un dysfonctionnement qui encourage le repli identitaire des peuples qui n’a plus confiance. Le défaut d’offre renouvelée a entraîné l’émergence des cultures et des questions identitaires faisant de la migration une marchandise électorale, une façon de valoriser les questions identitaires sur le marché électoral. Voilà ce qui a créé ce séisme de l’Europe parce que tout simplement les dirigeants européens n’ont pas voulu voir devant eux, ils ont regardé dans le rétroviseur.
Lesnouvellesdafrique.info : Le Rassemblement national à obtenu 31,37 % des voix. Après l’annonce des résultats, la tête de liste du RN, Jordan Bardella a exprimé son ambition de supprimer le droit du sol. Qu’en pensez-vous ?
Boubacar Seye : Vous savez quand on entend ces identitaristes parler, on se rend compte qu’ils n’ont rien compris sur les principes de base de l’Europe. Ils n’ont pas compris que l’Europe s’est construite sur les bases d’une intégration économiques et des peuples.
Aujourd’hui, si Jordan Bardella parle, c’est grâce à l’intégration des peuples qu’il puisse parler au nom du peuple français. Jordan Bardella est vide. Voilà ce que l’Europe a créé aujourd’hui du fait de leurs dirigeants qui ont échoué dans leur idéologie classique.
Bardella ne connaît même pas son histoire. Il ne connaît pas l’histoire de l’Europe, lui qui a un antécédent migratoire. Il ne connaît pas l’histoire de la France pour parler de la suppression du droit du sol.
Lesnouvellesdafrique.info : Il est issu de l’immigration ?
Boubacar Seye : Mais bien sûr. Bardella est d’origine Italienne donc si la France avait appliqué la suppression du droit du sol, ses parents ou ses grands parents ne seraient pas français. Donc ce sont des gens qui n’ont rien compris et c’est cela le danger. Nous allons vers d’autres fractures sociales parce que dire aujourd’hui que vous allez supprimer le droit du sol alors que c’est un droit international, vous voyez ce que ça va créer comme tension et malheureusement personne ne dit rien. L’Europe est complice et voilà ce que ça donne.
Lesnouvellesdafrique.info : La déclaration de Bardella n’est-elle pas à prendre très au sérieux au regard de la question migratoire ? Vous êtes le président d’Horizons sans frontière. Est-ce que cette volonté de redonner la France aux français ne constitue pas une menace pour la migration?
Boubacar Seye : Oui une grosse menace mais c’est qui les français ? (Rires). Vous savez la France a un statut social très particulier. La France est une terre d’immigration depuis la seconde moitié du XIXe siècle. 22,5% des français ont une origine étrangère. Sur quatre français, il y a un au moins dont les grands parents sont nés étrangers. Donc quand on parle de redonner la France aux français, mais c’est qui le français d’origine et c’est qui le français de souche ? Et c’est là où il y a un problème, ils ne connaissent pas l’histoire de la France sinon ils n’auraient pas tenu de tels propos.
Évidemment, la menace, elle est là. Nous l’avons toujours dit parce que la migration est devenue une question entière, c’est un problème civilisationnel en Europe, aujourd’hui. Le danger, pour eux, c’est l’immigration extra européenne, c’est nous autres. Car, pour eux, l’Europe est blanche et judéo-chrétienne alors qu’en ce contexte de mondialisation et de globalisation, je crois que le cheval de bataille des dirigeants européens devrait être le culte de la diversité mais malheureusement c’est l’échec des politique d’intégration qui a été à l’origine de tout cela.
Je voudrais rappeler que sans intégration, on ne peut pas parler d’immigration et l’intégration devrait être ce processus à double sens, des migrations aux citoyens autochtones dans une relations constructives aboutissant à sur le respect et la tolérance mutuels.
Jordan Bardella est vide intellectuellement, il ne peut même pas tenir un débat sur comment évolue les économies européennes. Un autre problème, c’est l’islam et la migration qu’il prend comme fond de commerce. Tel est étranger, tel ne devrait pas rentrer, c’est ça le programme de ces gens là. Vous avez vu ce qui s’est passé après la proclamation des résultats, les gens sont descendus dans la rue, choqués.
Dans deux mois on risque d’avoir un Jordan Bardella Premier ministre en France. Ça serait encore un séisme politique parce que quand même la France, c’est le pays de la déclaration universelle des droits de l’homme.
Vous imaginez Jordan Bardella aux manettes en France, en Europe, donc nous allons vraiment vers le chaos. Encore une fois j’interpelle l’Europe parce que nous, nous parlons de la diversité. Mais dans cette Europe de la diversité, c’est l’identitarisme, malheureusement ils n’ont rien à vendre en termes de gouvernance globale.
Lesnouvellesdafrique.info : Le gouvernement français a été dissout après l’annonce des résultats. Au-delà de la perte de majorité à l’assemblée nationale, est-ce qu’on pourrait pas s’acheminer vers une France dirigée par l’extrême droite et quels impacts sur le plan diplomatique, commercial avec les pays africains ?
Boubacar Seye : C’est là où les pays africains devraient quand même prendre acte de ce qui s’est passé et redéfinir leur relation avec la France. C’est tout simplement cela. Le débat en Afrique, au Sénégal devrait tourner autour de cela, au moins pour permettre aux dirigeants africains de faire avancer la grille de réflexion sur ce que devraient être les rapports avec la France.
Et même au-delà du Sénégal diligente une conférence africaine sur la question parce qu’il ne faut pas laisser des gens comme Bardella décider du sort des africains. Vous avez vu l’aide au développement qui est un instrument de politique internationale comme ce fut le plan Marshall après la seconde guerre mondiale, ces gens là, ils s’appuient sur ça.
(S’ils ne viennent pas prendre les personnes en situation irrégulièrement, on va arrêter l’aide au développement), ce sont des choses qui font excessivement mal et en Afrique personne ne réagit.
Et les africains vont voir pire avec l’extrême droite. Evidemment, c’est ce qui va arriver parce que aujourd’hui s’il y a élections en France, l’extrême droite pourrait gagner. La menace, c’est que l’extrême droite va devenir la deuxième force politique dans le parlement européen avec l’adoption du pacte européen sur l’immigration et le droit d’asile.
Nous allons vers d’autres tensions géopolitiques liées à la migration. Le Sénégal, qui a par exemple ses fils éparpillés un peu partout dans le monde, devrait prendre les devant et revoir la nature de ses rapport avec la France. La politique extérieure du Sénégal devrait être revue avec ce qui s’est passé ce dimanche en Europe.
Lesnouvellesdafrique.info : Avec la persée de l’extrême droite, quelles peuvent être les perspectives d’Horizons sans frontière dont vous êtes le président ?
Boubacar Seye : Horizons sans frontière (HSF), je rappelle que c’est une organisation européenne. Nous sommes venus en Afrique pour lancer le débat et sensibiliser, donc l’extrême droite ne peut rien contre HSF. Nous avions anticipé, c’est pourquoi nous sommes conscients du fait que la migration est un facteur d’équilibre social et économique, conscients que la migration dévoile aujourd’hui toutes ces problématiques., Nous sommes là pour relancer le débat et développer une autre stratégie dans la gestion de ce dossier migratoire.
C’est le triptyque immigration – paix – sécurité. Malheureusement nos craintes se sont avérées et nous n’avons eu aucun soutien. Ce n’est pas Horizon sans frontière qui va souffrir des changements en Europe mais ce sont les africains en général qui vont souffrir avec toutes les complications qui entourent déjà l’obtention du visa.
Avec la montée de l’extrême droite, il faut s’attendre à d’autres tensions géopolitiques liées à la migration. Même pour ceux qui ont des papiers, ils vont créer les conditions de leur irrégularité et les rapatrier. Horizons sans frontière pour sa part ne craint absolument rien.
Lesnouvellesdafrique.info : Vous devriez figurer sur les listes aux européennes, que s’est-t-il passé ?
Boubacar Seye : Le problème est que je passe plus de temps en Afrique qu’en Europe. Donc malheureusement quand je suis parti au mois de janvier, les listes étaient déjà closes. Cela a été mon erreur.
Mais aujourd’hui avec ce qui se passe, j’aurais souhaité être au parlement européen pour me battre contre l’extrême droite.
Quand Fabrice Leggeri qui a dirigé Frontex pendant des années avec tous ces drames en Méditerranée, se permet d’être aujourd’hui sur une liste du front national, donc vous conviendrez avec moi que il devrait y avoir une enquête et des poursuites contre Leggeri.
C’est tout cela mon combat mais malheureusement j’ai raté le parlement européen. Maintenant il se pourrait que je sois un assistant parlementaire pour continuer le combat au niveau de l’Europe.
Lesnouvellesdafrique.info : Boubacar Seye, merci.
Boubacar Seye : merci à vous.