Dans cette Interview exclusive, Albert Pahimi Padacké, ancien Premier ministre, président et ex-candidat du Rassemblement national des démocrates tchadiens (RNDT-Le Réveil) à la présidentielle du 6 mai au Tchad, explique pourquoi la formation politique qu’il dirige a reconnu les résultats du scrutin présidentiel.
Lesnouvellesdafrique.info : Bonjour M. Albert Pahimi Padacké.
Albert Pahimi Padacké : Bonjour.
Lesnouvellesdafrique.info : Vous avez participé pour la quatrième fois à une élection présidentielle dans votre pays. Juste après la proclamation des résultats provisoires du premier tour de ce scrutin par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), vous étiez l’un des tout premiers « candidats malheureux » à féliciter le président déclaré élu, Mahamat Idriss Déby Itno. Pourquoi cet empressement ?
Albert Pahimi Padacké: Merci au Journal Lesnouvellesdafrique.info, de nous accorder l’opportunité de nous exprimer dans ses colonnes. En ce qui concerne l’élection présidentielle du 06 mai 2024 à laquelle nous avons participé, celle-ci devrait mettre un terme à la période de transition mise en place depuis le 20 avril 2021 au Tchad. Ce qui signifie que cette élection avait un double enjeu de notre point de vue pour le Tchad. Le premier, celui de clore un processus avec l’organisation des élections dont l’élection présidentielle, et le second, celui d’éviter que cette élection ne débouche sur une crise post-électorale avec son lot de violence pour notre pays. Aussi, cette élection en elle-même était toute particulière, avec le Président de transition et son Premier ministre, tous candidats.
A quelques heures de la proclamation des résultats provisoires par l’Agence nationale de gestion des élections (ANGE), l’un des candidats s’est proclamé vainqueur en appelant l’armée à prendre position et la population à défendre sa « victoire ». Or, les résultats provisoires de l’ANGE ont donné un autre candidat vainqueur. Face à cette situation de crise imminente sur notre pays, RNDT-Le Réveil qui est aussi un grand Parti et ayant un poids avéré dans cette élection, ne pouvait garder le silence et rester indifférent. Voilà pourquoi, il nous fallait très rapidement nous prononcer pour éviter à notre pays une crise postélectorale au sortir de la transition. Et ce, parce que aucun des candidats ne pouvait légitimement et légalement avoir les moyens de ses prétentions, puisque la loi électorale portée par le gouvernement a expressément refusé aux représentants des candidats d’accéder aux procès-verbaux des bureaux de vote.
Sur quelle base asseoir en bonne foi une quelconque prétention ? Empressement ? de quoi parlez-vous ?
Sous d’autres cieux, c’est à partir des sondages au sortir des Bureaux de vote que l’on se fait l’idée du vainqueur du scrutin. Vous parlez d’empressement après des résultats certes provisoires, mais officiellement proclamés par un organe compétent, nonobstant le caractère de celui-ci, tel que nous avions d’ailleurs dénoncé comme œuvre des deux premiers candidats en lice.
Lesnouvellesdafrique.info : En décembre dernier, vous aviez appelé vos compatriotes à boycotter le référendum constitutionnel qui s’est soldé par la victoire du Oui et a donné naissance à la Ⅴème République. Vous aviez appelé au Bureau de Vote Mort (BVM) par le fait que les conditions de transparence n’étaient pas réunies dans l’organisation de ce référendum. Cinq mois après, vous avez participé à l’élection présidentielle. Franchement, est-ce que ce scrutin était-il crédible ?
Albert Pahimi Padacké: La consultation référendaire et l’élection présidentielle sont deux choses bien distincts. En son temps, nous avions dénoncé les conditions d’organisation du référendum et boycotté ce dernier pour trois raisons : la violation de la Charte de transition qui énonçait qu’il fallait mettre en place un organe indépendant pour le référendum, ensuite, le non-respect des résolutions et recommandations du dialogue national inclusif et souverain (DNIS), et enfin, l’absence totale de transparence dans l’organisation de ce référendum. Or, le référendum a été organisé par la CONOREC directement rattachée au ministère de l’administration du territoire, et le référendum n’a pas non plus suivi la résolution du DNIS qui proposait deux projets de constitution (fédéral et unitaire). En ce qui concerne l’élection présidentielle, il a été mis en place l’ANGE, au moins théoriquement indépendante des institutions de l’Etat. Ce qui tranche avec la CONOREC qui a organisé le référendum constitutionnel ; même si là aussi son manque d’inclusivité et sa composition partisane n’étaient pas en soi gage de transparence.
Le Gouvernement nous a fait croire que le mandat de sept (ans) accordé aux membres de l’ANGE en plus du serment pouvait booster leur indépendance.
Il y a des circonstances dans la vie où vous êtes obligés de boire de l’eau sale de marre pour ne pas mourir de soif, même si, vous finirez par périr quand même des vers (rire). Ce n’est certainement pas un choix entre le bien et le mal, mais entre le mal et le pire.
Lesnouvellesdafrique.info: Vous avez été plusieurs fois ministres sous le défunt président Idriss Déby Itno. Vous avez été deux fois Premier ministre, une première fois sous le père, et une deuxième fois sous le fils. Ce qui fait dire à certains de vos compatriotes que vous êtes l’un des alliés objectifs du pouvoir. Que leur répondez-vous ?
Albert Pahimi Padacké: Nous avons choisi de servir le Tchad, et nous l’avons servi, et continuerons de le servir tant que nous aurons les capacités de le faire, avec tous les tchadiens sans distinction aucune. Visiblement notre tort est juste d’avoir eu raison trop tôt. Tous ceux qui vous ont parlé, n’ont fait que suivre nos pas. Suivez mon regard (rire).
Lesnouvellesdafrique.info: Quel est votre positionnement politique au sortir de cette présidentielle ? Allez-vous vous positionner dans l’opposition ?
Albert Pahimi Padacké: Votre question me parait bien incongrue. Nous sortons d’une présidentielle où un Premier ministre a été candidat tout en restant à son poste tout en se faisant aussi labeliser opposant. Et vous demandez à celui qui était face au Président et son PM, son positionnement comme s’il n’était pas encore positionné. Un peu tendancieux non ? La position du RNDT-Le Réveil ne change pas au gré des circonstances. Notre seule ambition est de servir le Tchad et contribuer à l’amélioration des conditions de vie de notre peuple.
Lesnouvellesdafrique.info : Contre toute attente, le Président Mahamat Idriss Déby Itno a nommé le 24 mai dernier, Alamaye Halina à la Primature. Avez-vous été surpris par cette nomination ? Pensez-vous qu’il sera à la hauteur de la mission qui lui a été confiée ?
Albert Pahimi Padacké: Pourquoi contre toute attente ? vous attendiez quelqu’un de particulier ? Le choix d’un Premier ministre relève du pouvoir discrétionnaire du Président de la République. Le Premier ministre Alamaye Halina est un homme que nous connaissons bien. A sa nomination, nous lui avons adressé nos félicitations et lui avons souhaité bonne chance dans sa mission. Nous lui laissons le temps de faire ses preuves par lui-même sans apriori. Les défis et les attentes de notre peuple sont tels que le Premier ministre n’aura malheureusement pas de délai de grâce. Il doit bien en avoir conscience et nous lui souhaitons bonne chance.
Lesnouvellesdafrique.info : Et comment réagissez-vous à la configuration de la nouvelle équipe gouvernementale ?
Albert Pahimi Padacké: Nous n’avons pas de réaction particulière. Nous constatons simplement que c’est un Gouvernement fermé autour du Président et les membres de sa coalition. Ce qui ne répond donc pas à cette attente sourde d’unité par l’inclusion des sensibilités. Mais nous respectons ce choix, même si nous ne croyons pas à la force de l’exclusion comme moyen d’apaisement d’un pays. Les tchadiens redoutent que leur président soit l’otage des groupes d’intérêts qui traversent cette coalition. Ce qui serait bien dommage pour les nombreuses attentes de notre peuple en quête de bien-être.
Lesnouvellesdafrique.info: Avez-vous été consulté dans le cadre de la formation de cette équipe gouvernementale ?
Albert Pahimi Padacké: Ce gouvernement n’est pas ouvert à l’opposition et vous donne la réponse au positionnement des uns et des autres. La coalition avait intimé publiquement au Président de la République de ne pas s’ouvrir à l’opposition. Il semble avoir été bien obéissant de ce point de vue.
Lesnouvellesdafrique.info: À l’issue du premier conseil des ministres du premier gouvernement de la Vème République, le gouvernement a annoncé l’organisation sous peu des élections législatives, locales et sénatoriales. Votre formation politique va-t-elle participer à ces échéances ?
Albert Pahimi Padacké: Bien sûr. Nous sommes un grand Parti et nous allons bien évidemment participer à ces échéances. Nous pensons cependant qu’il y a des corrections à faire dans le cadre normatif, institutionnel, pour des élections crédibles.
Lesnouvellesdafrique.info: La Constitution de la Vème République prévoit un statut de chef de file de l’opposition. Etes-vous intéressé ?
Albert Pahimi Padacké: La position de chef de fil de l’opposition est déterminée par les résultats des élections législatives, conformément à la loi portant statut de l’opposition. L’on ne fait pas acte de candidature à cela.
Lesnouvellesdafrique.info: Le désormais ancien Premier ministre, Succès Masra n’a toujours pas reconnu la victoire du Président Mahamat Idriss Déby Itno. Il a même revendiqué la victoire dès le premier tour. Quelle est votre réaction ?
Albert Pahimi Padacké: En tant que Parti et en ma qualité de Candidat du RNDT-Le Réveil à l’élection présidentielle du 6 mai 2024, à l’issue du scrutin et des proclamations des résultats, nous avons reconnu la victoire de Mahamat Idriss Deby Itno et l’avons félicité. Nous n’avons pas de réaction en ce qui concerne les autres formations politiques et la posture des autres candidats à cette élection. Je dois noter cependant que SM a été le PM qui a porté le code électoral qui refuse les PV de vote aux représentants dans les Bureaux de vote. Ce qui nous a été très préjudiciable et pourra l’être encore si des correctifs ne sont pas faits. Pour le reste, nous ne savons rien des accords et désaccords entre le Président et son Premier ministre qui ont amicalement fait ensemble acte de candidature pour le même fauteuil ; un cas unique en Afrique.
Lesnouvellesdafrique.info: Les relations entre la France et le Tchad ne sont pas au beau fixe. Plusieurs sources soupçonnent N’Djaména de vouloir s’émanciper de la tutelle française au profit de la Russie. Quelle est votre position ?
Albert Pahimi Padacké: L’émancipation ne consiste pas à quitter une ancienne tutelle pour une nouvelle tutelle. Ce n’est plus de l’émancipation. Nous sommes d’accord que notre pays puisse s’émanciper, mais que cela soit une vraie émancipation au sens propre du terme. La diversité des partenariats ne doit pas être vu en soi, comme une menace pour qui que ce soit, mais comme une opportunité de maximiser nos chances d’aller vers le bien-être au sens économique, social, politique et humains en termes des droits et libertés.
Nous n’avons pas les moyens de faire face ni à la France ni à la Russie. L’essentiel est que le Tchad ne soit pas instrumentalisé dans les luttes d’influences géostratégiques des puissances, dont il serait malheureusement le grand perdant.
Lesnouvellesdafrique.info: Merci beacoup M. Padacké
Albert Pahimi Padacké: Merci à vous.