« Le remplacement de Orano par Rosatom ne me paraît pas tout à fait établi », selon (Seidik Abba)

La compétition autour de l’exploitation des ressources naturelles en Afrique se poursuit notamment au Niger où l’uranium aiguise les appétits des puissances étrangères. Selon plusieurs sources à Moscou en Russie et au siège de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne en Autriche, rapportées par Bloomberg, la société nucléaire d’État russe Rosatom chercherait à prendre le contrôle d’actifs d’uranium détenus actuellement par le français Orano au Niger.
Pour y voir plus claire la rédaction de Lesnouvellesdafrique.info est entrée en contact avec Seidik Abba, président du Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES) et chercheur associé au Groupe interdisciplinaire en histoire de l’Afrique (GIRHA) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Dans cet entretien, M. Abba décrypte la lutte acharnée de puissances étrangères autour de l’exploitation de l’uranium du Niger et les efforts fournis par les autorités militaires pour que les ressources naturelles du Niger profitent aux populations nigériennes.

Lesnouvellesdafrique.info : M. Seidik Abba, bonjour.

Seidik Abba : Bonjour.

Lesnouvellesdafrique.info : Que vous inspire la tournée du ministre des affaires étrangères russes en Afrique ?

Seidik Abba : La Russie comme les autres puissances qui sont en compétition sur le continent africain cherche à consolider ses positions. Quand on parle de la Russie, les gens feignent d’être surpris que la Russie s’intéresse à l’Afrique. C’est juste un retour, parce qu’il y a eu au temps de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) dont la Russie a hérité une bonne partie de la politique et de la géostratégie. Il y avait un grand intérêt pour l’Afrique et beaucoup de pays. Je pense à la Guinée de Sékou Touré, au Mali de Modibo Keita ou au Congo du parti communiste pour le travail qui avait des relations avec l’URSS. C’est vrai que quand l’URSS a éclaté, il y a eu une sorte de flottement et la fédération de Russie qui était l’état le plus important ne s’est pas intéressé à l’Afrique. Mais par la suite, il y a quand même eu un intérêt pour le continent africain, d’abord en ce qui concerne l’Afrique du nord où la Russie a toujours été présente. La Russie a été le plus grand fournisseur d’armes à l’Algérie et à l’Égypte. Ensuite à la faveur du nouveau contexte la Russie a essayé d’élargir son influence au reste du continent particulièrement en Afrique subsaharienne avec une présence au Soudan, en Centrafrique ; maintenant au Mali, au Burkina Faso, au Niger. Et à mon avis, il y a de la part de la Russie, une volonté de consolider ses positions dans les pays où elle est déjà présente et une volonté de les élargir parce qu’au début le centre n’était pas particulièrement dans le viseur de la Russie mais on a vu que lors de cette dernière tournée, le ministre Serguei Lavrov s’est rendu au Tchad. Donc il y a cette volonté de la Russie de profiter de l’opportunité qu’offre la compétition sur le continent africain pour essayer de consolider les positions qu’elle avait déjà et d’élargir son champ d’influence.

Lesnouvellesdafrique.info : Dans la consolidation des positions de la Russie, quelle est la place qui reste à l’ancien colonisateur, la France ?

Seidik Abba : Je crois que la France a tout intérêt à évaluer sa politique, à faire une sorte d’introspection pour voir qu’est-ce qui n’a pas marché pour qu’on en arrive à cette situation où aujourd’hui elle perd beaucoup d’influence, elle est concurrencée et même carrément remplacée dans certains pays par d’autres acteurs.

À mon avis, la France doit faire cette introspection pour évaluer. Malheureusement je ne suis pas sûr que ça va arriver parce que j’ai le sentiment qu’au niveau des acteurs diplomatiques français, on n’a pas conscience qu’on a commis des erreurs qui ont amené à cette situation et qu’il faut rectifier ces erreurs.

À mon avis, la France a commis une erreur de n’avoir pas compris que l’Afrique a changé et que l’Afrique était devenue une sorte de terre de compétition où il fallait se mouiller la chemise pour garder sa position. La position de facilité qu’elle avait par le passé en tant que ex puissance coloniale, le pré carré où il avait des positions acquises n’était plus tenable parce que d’autres acteurs sont venus sur le continent. On parle de la Russie mais il y a d’autres acteurs.

Moi, je suis du Niger, on a tous vu l’arrivée de la Chine qui est le partenaire du Niger pour l’exploitation du pétrole. C’est la Chine qui a construit la Soraz et c’est la Chine qui a construit aujourd’hui le pipeline qui permet d’exporter le pétrole du Niger jusqu’à Séné au Bénin. Donc, la France a mon avis n’a pas perçu ce virage du changement du continent africain, de la fin du pré carré. Et comme elle ne l’a pas adapté cette évolution à sa politique, du coup elle s’est retrouvée totalement dépassée.
Mais pour moi, si la France réévalue sa politique et regarde avec la tête froide là où les choses ont péché, ce qui n’a pas marché, elle peut encore reconquérir des positions en Afrique en choisissant d’apporter de la valeur ajoutée en utilisant son avantage comparatif par rapport à d’autres acteurs. On parle de la Russie… Pour comparaison, un étudiant sénégalais, entre venir étudier en France ou aller en Russie, je pense que le choix pourrait être pour lui de venir en France parce qu’il y a d’abord la proximité linguistique. Mais faut-il encore que la France mise sur tous ces leviers avec lesquels elle a un avantage comparatif.

Vous prenez aujourd’hui un autre levier, celui de la diaspora. La France n’a jamais valorise sa diaspora africaine mais il y a 100 000 maliens en France. Ce sont des atouts de la France que ces gens puissent aller et venir entre le Mali et la France. Je crois que la France a commis des erreurs qu’elle paie cash mais, pour moi, ce n’est pas totalement perdu. Si jamais elle repense sa politique pour l’adapter au contexte actuel, elle peut même avoir des levier sur lesquels elle peut actionner pour rattraper le temps qu’elle a perdue.

Lesnouvellesdafrique.info : On sait ce que représente la question très stratégique de l’uranium pour la France et l’union européenne. Selon Bloomberg, le russe Rosatom chercherait à pousser Orano vers la sortie au sujet de l’exploitation de l’uranium du Niger, un endroit que vous maîtrisez bien. Que peut-on en comprendre ?

Seidik Abba : Cela s’inscrit toujours dans le cadre de cette compétition. D’abord il faut dire contrairement à ce qui se répand, que l’uranium du Niger ne sert à rien, que la France a d’autres partenaires dans d’autres pays, en Kazakhstan, au Canada… qu’elle peut se passer de l’uranium du Niger. Le dire, c’est oublier l’apport que l’uranium du Niger a eu pour la France avant d’avoir ses nouveaux partenaires. Pendant 50 ans quand même la France a été en position d’acheteur exclusif de l’uranium du Niger. Et la différence entre les autres pays et le Niger, c’est qu’au Niger, la France est à la fois acheteur et vendeur parce que Orano est actionnaire de la seule société qui reste.
Il y avait deux filiales, la compagnie minière d’Akouta et la Somaïr. Compte tenu des problèmes de rentabilité, la compagnie minière d’Akouta a fermé. Aujourd’hui, il reste une seule filiale qui est la Somaïr, dans laquelle il y a des parts françaises. Mais il n y a pas que des parts françaises, il y a des japonais aussi et des espagnols dans la société Somaïr qui produit l’uranium.

Je peux me tromper mais je ne suis pas sûr que les informations qui sont véhiculées aujourd’hui sont tout à fait exactes.

Ce que la Russie peut faire, à mon avis, il y a aujourd’hui encore de vastes partie de l’uranium inexploité, des permis qui n’ont pas encore été mis en valeur. Au lieu de chercher à remplacer le français Orano, la Russie va, si elle veut, pouvoir solliciter des permis miniers pour faire de l’exploitation. Vous savez, il y a un grand permis minier qui avait été donné à Orano en 2009 qui est le permis de Imouraren qui est sensé 5 000 tonnes d’Uranium par an mais que Orano n’a jamais mis à exécution. Est-ce que c’est ce permis là que les autorités militaires vont renégocier avec Orano, puis que sous le régime qui avait été renversé, on a senti qu’il était pas totalement à l’aise pour demander à Orano de mettre en valeur le gisement minier ou de redonner le permis. Peut-être que c’est dans ce cadre-là que si une opportunité se présente la société russe Rosatom pourrait essayer de jouer sa propre carte.

Vous savez, il y a des précautions juridiques qui ont été prises qui ne permettent pas d’évincer Orano aussi facilement. Même en ce qui concerne la vente de l’uranium du Niger à Orano, il est précisé dans les conventions décennales que le Nigéria s’engage sur 10 ans à fournir de l’uranium à Orano. Ce qui explique d’ailleurs, malgré les tensions qu’il y a le pouvoir du CNSP et le conseil national pour la sauvegarde de la patrie et la France, qu’on ait pas arrêté de l’Uranium ni qu’on ait même suspendu la vente de l’uranium à Orano.

Je pense que, telles que les choses se présentent, c’est peut-être dans un proche avenir une société russe pourrait être présente dans l’uranium. Mais le remplacement de Orano par une société russe, dans le contexte actuel et au regard des textes actuels, ne me paraît pas tout à fait établi.

Lesnouvellesdafrique.info : Les ressources naturelles nigériennes appartiennent sans doute au peuple nigérien. Quelle approche les autorités militaires peuvent-elles avoir pour entretenir un partenariat gagnant-gagnant, d’une part avec la France et d’autre part avec la Russie et les autres puissances étrangères présentes dans le pays ?

Seidik Abba : Je crois que ce qui a manqué pendant très longtemps aux autorités souvent, c’est la posture ferme, c’est valable pour d’autres pays africains aussi. Lorsqu’on négocie avec des pays occidentaux, on a pas la position ferme qui nous amène à penser que la position est gagnant-gagnant. Et il n y a pas que la France.

Vous prenez l’uranium du Niger, Orano est actionnaire sans doute à 67%, le Niger n’a que 33%.

Si vous prenez le pétrole, ce n’est pas la France mais c’est la Chine et vous verrez la même chose (67 – 33 ou 60 – 40). Sur le pétrole, la Chine détient 60% et le Niger 40%, et là c’est avantageux comparé aux parts de la France sur l’uranium.

Ce qu’il faut au Niger et dans d’autres pays, c’est qu’on puisse avoir des partenariats gagnant-gagnant, que ça soit avec, Russie, la Chine ou la France. Or, on n’est pas arrivé à ce stade. Mais les militaires, il faut le mettre à leurs crédits, ont eu la volonté en tout cas de vouloir défendre autant qu’ils peuvent les intérêts du peuple nigérien particulièrement dans la gestion du pétrole.

Lorsque vous regardez, les militaires ont donné des permis miniers à la société nigérienne de dépôt de produits pétroliers qui s’appelle la SONIDEP.

Jusqu’ici, tous les permis étaient donnés à des compagnies étrangères. Mais depuis que les militaires sont arrivés au pouvoir, la SONIDEP bénéficie de permis miniers pour qu’elle fasse de la prospection, de la production.

Je pense qu’il y a de ce point de vue là une évolution dans la défense des intérêts du peuple du Niger. Et je pense que c’est vers cela que nous devons aller. Nous devons être ouverts au Niger et en Afrique, aux partenariats et au reste du monde mais prenons garde à ne pas penser que les uns sont plus philanthropes que les autres. Il faut que nous nous organisions, que nous ayons un agenda de la défense de nos intérêts.

Pour avoir vécu les négociations de très près, on ne négocie pas à arme égale avec les partenaires et à la fin on se retrouve avec des contrats léonins que ça soit au Niger ou dans d’autre pays. Il faut que cela change. Il faut que les ressources naturelles et minières nous profitent.

Il n y a pas de raison que le Niger produise de l’électricité et en France le taux d’électrification soit à 100% et qu’au Niger, il soit à 25% (rires).

Il faut que nous engageons des réflexions pour voir comment dans le cadre du partenariat, qu’on ne vende pas seulement l’uranium, mais que la France nous aide aussi à produire de l’électricité chez nous. D’une façon où d’une autre qu’il y ait quand même un niveau d’électrification acceptable même si ce n’est pas à 100% au Niger aussi.

Je crois que c’est vers cela qu’il faut aller et à mon avis, pour l’instant les militaires ont à cœur de se démarquer de ce qui a été fait jusqu’ici. Il faut espérer qu’ils restent sur cette voie et que le Niger puisse profiter vraiment de ses ressources naturelles et minières.

Lesnouvellesdafrique.info : Seidik Abba, merci.

Seidik Abba : Merci à vous et bonne continuation.

A. K. COULIBALY

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