Les Tchadiens éliront leur nouveau président, le 6 mai prochain. Dix candidats dont le président de la transition Mahamat Idriss Déby et son Premier ministre Succès Masra briguent le fauteuil présidentiel. « Une situation inédite », selon Saleh Kebzabo, ex-Premier ministre de la transition, dans cette interview accordée à notre rédaction.
Lesnouvellesdafrique.info : Monsieur Saleh Kebzabo, Bonjour.
Saleh Kebzabo : Bonjour.
Lesnouvellesdafrique.info : Les Tchadiens sont appelés aux urnes le 6 mai prochain. Votre parti, l’UNDR, soutient la candidature du président de la Transition, Mahamat Idriss Déby et candidat à sa succession. Pourquoi avez-vous décidé de ne pas vous présenter vous-même ?
Saleh Kebzabo : Je n’ai pas décidé de me présenter pour la simple raison que depuis le début de la transition, depuis trois ans, j’ai moi-même lancé un appel à l’unité après la disparition du maréchal Déby, pour que les Tchadiens ne s’embrouillent pas, pour qu’il n’y ait pas de désordre, pour qu’on préserve notre unité, qu’on se rassemble pour faire une bonne transition. Et je crois que nous avons œuvré, pour ce qui me concerne, mon parti et moi-même, pour une bonne transition.
J’ai donc apporté ma contribution en allant notamment à Doha où j’ai passé cinq mois sans interruption auprès des politico militaires. Au total 43 ont signé un accord, dix ont refusé, je crois. Après cela, nous avons participé au dialogue avec presque 1500 tchadiens de tous bords. Ce dialogue a pris des résolutions, des décisions et des recommandations qui ont été exécutées par un gouvernement que j’ai dirigé pendant quatorze mois, jusqu’à l’organisation du référendum qui fait partie du cahier des charges du dialogue que j’ai moi-même dirigé.
Le référendum a abouti à l’adoption d’une nouvelle constitution. Donc après cela, j’ai quitté le gouvernement. Mais l’une des tâches principales du gouvernement était d’organiser la présidentielle pour véritablement marquer le retour à un ordre constitutionnel nouveau et différent.
C’est ce qu’on est en train de faire. On est arrivé à cette élection là et je pensais que ma bonne contribution à moi pour le développement et l’unité de mon pays consistait à faire fi de ma personne et de trouver la personne adéquate et idoine pour conduire ce nouveau Tchad avec une nouvelle République qui est la cinquième République.
Quelqu’un dont la caractéristique principale est de continuer une politique pour conduire les Tchadiens vers l’unité dans la paix et dans la sécurité. Je crois que le candidat qui avait ce profil principal, à qui on va demander maintenant dès qu’il est élu, qu’on entre en discussion pour mettre en place des politiques de bonne gouvernance dans tous les domaines pour le quinquennat à venir.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors, parmi les candidats en lice, il y a aussi l’actuel Premier ministre, Succès Masra qui vous a succédé à ce poste. Celui-ci a pourtant décidé, de briguer la magistrature suprême. Est-il plus réaliste que vous ?
Saleh Kebzabo : Je ne sais pas mais tout ce que je peux observer, c’est une première mondiale. Ce gouvernement n’est pas un gouvernement d’union nationale, ce n’est pas un gouvernement de cohabitation. C’est un gouvernement dirigé par un Premier ministre nommé de façon unilatérale et volontaire par le président de la République qui a signé ce décret sans exigences particulières. Et aujourd’hui, ils se retrouvent tous les deux en train de se regarder en chiens de faïence.
Je pense que le président Mahmat a fait une très mauvaise affaire et le Tchad est en train de faire une très mauvaise affaire parce que nous sommes en train de filer du mauvais coton. Nous prions tout simplement Dieu – moi je suis en train de le faire – pour qu’il n’y ait pas de désordre dans le pays et que cette élection ne donne pas lieu à des débordements excessifs. N’oublions pas que le Premier ministre Succès Masra est quand même l’auteur des douloureux événements du 20 octobre qui a valu au Tchad plus de 300 morts. C’est lui qui réclame ce chiffre-là. C’est pas moi.
Moi, Premier ministre, j’avais annoncé entre 50 et 70 morts. Il m’a repris en disant qu’il y avait plus de 300 morts. C’est quand même à son actif. Si c’est un actif valable. Et donc aujourd’hui, il revient encore, je pense, pour semer la même graine de la division. Et je crois que ce n’est pas bon pour le Tchad, c’est pas bon pour notre avenir. Nous avons besoin d’un pays où il y a la paix, la sérénité et où il n’y a pas de débordements.
Que les ambitions se taisent un peu autour d’un idéal commun qui est celui de la reconstruction du pays dans le rassemblement et l’unité.
Lesnouvellesdafrique.info : Mais franchement, Monsieur Saleh Kebzabo, quel est l’enjeu majeur justement de ce scrutin présidentiel lorsqu’on sait pratiquement que tout le monde semble convaincu de la victoire du président sortant, Mahamat Idriss Déby ?
Saleh Kebzabo : Mais l’enjeu principal, c’est que Mahmat Idriss Deby soit élu sans bavure, qu’il soit élu vraiment dans le consensus général, qu’il n’y ait pas de débordements. Moi, c’est ça qui me fait peur. J’ai peur que le candidat qui est en face de lui se précipite pour dire qu’il est élu par exemple. Ce qui est pratiquement et politiquement impossible.
Mais on est en politique donc tout est possible. Il faut simplement veiller au grain. Mais je crois que l’enjeu principal, c’est l’élection du président actuel pour un premier mandat. Et donc je pense qu’il faut l’accompagner parce que le Tchad est très mal entouré. Vous regardez tous les pays qui entourent le Tchad, ce sont des pays en crise.
Lesnouvellesdafrique.info : Le Tchad accueille des milliers de réfugiés en provenance du Soudan.
Saleh Kebzabo : Le Tchad accueille 1 500 000 Soudanais, dont 500 000 depuis 20 ans. Nous avons quelques milliers de réfugiés camerounais. Nous avons quelques dizaines de milliers de réfugiés centrafricains et ainsi de suite. Donc vous voyez que nous sommes quand même malgré tout un îlot de paix et veillons à ce qu’on le reste, qu’on le demeure et que vraiment on puisse être ce pays qui dans le monde, peut donner une image de paix.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors parmi ceux qui qualifient cette élection aussi de parodie, il y a le mouvement de la société civile dont les principaux leaders vivent désormais en exil. Tous rejettent les conclusions du dialogue politique dont vous parliez. Dans quelle mesure, Saleh Kebzabo, il est encore possible de convaincre cette frange de Tchadiens qui appelle au boycott actif du scrutin de revenir dans le jeu politique ?
Saleh Kebzabo : Il faut être réaliste et je crois que les gens rêvent quand on est loin toujours du jeu, quand on est loin du cercle de jeu, on croit tout connaître. C’est dommage que ces compatriotes que je connais très bien, on a cheminé ensemble, puissent prendre la poudre d’escampette pour partir à l’étranger. C’est dommage, tous étaient ensemble avec Masra.. C’est la même gamme.
Aujourd’hui, Succès Masra leur fait défaut. Mais je ne pense pas que parce qu’on n’est pas content, parce qu’on n’est pas dans le bain, qu’on doit dénoncer l’eau du bain. Nous sommes dans le même bain, nous sommes tous dans la même eau, dans le même lac et nous sommes issus tous du même lac. Il ne faut pas croire que certains sont meilleurs à d’autres. Non, c’est pas vrai. Moi, je leur lance un appel au retour, qu’ils reviennent apporter leur contribution à la construction ou à la reconstruction de notre pays. C’est ici que se trouve leur place et non pas en marge ou en périphérie.
Lesnouvellesdafrique.info : En cas de défaite face au président de la Transition, Mohamed Idriss Déby, quel avenir politique pour le Premier ministre Succès lorsqu’on sait qu’il est déjà fortement critiqué pour avoir négocié et obtenu ce poste de Premier ministre qu’il occupe actuellement ?
Saleh Kebzabo : Le poste de Premier ministre a toujours été pour lui un objectif. Un rêve qui ne date pas d’aujourd’hui. Ça date de deux ou trois ans avec le défunt président. Il avait posé le problème avec l’actuel président dès qu’il est entré en fonction. Le président Mahamat a bien dit qu’ils se sont rencontrés huit fois sur la même question qui revenait pendant le dialogue alors que pendant le dialogue, il était en train de qualifier le dialogue de négatif.
Il était en train de négocier ce poste de Premier ministre avant la fin du dialogue. Il a négocié. Et donc pour lui, la constance, c’est d’avoir ce poste. Maintenant, il l’a. Ça fait quatre mois qu’on ne voit pas du tout les résultats et ce qu’il a engrangé pour justifier quoi que ce soit.
Moi je pense que le plus important pour notre pays, c’est la paix, c’est la sérénité, c’est la sécurité, c’est l’unité nationale.
Saleh Kebzabo : Non, je crois qu’il faut comprendre comment cette élection est organisée. Il y a une grande coalition d’environ 200 partis politiques avec le MPS qui a présenté la candidature de Mahamat Idriss Déby. Chaque parti garde sa spécificité. On n’a jamais demandé à un parti quelconque de négocier une alliance ou une fusion avec le MPS.
Nous sommes là, tous unis pour la victoire d’un candidat et sur le terrain. D’ailleurs, en dehors de nos camarades qui sont dans la campagne de la coalition, notre parti lui-même mène sa propre campagne. L’UNDR aujourd’hui est en campagne aussi pour le même candidat. Donc c’est dire que la spécificité du parti, elle est gardée, elle est maintenue et donc il n’y a absolument rien à l’horizon qui puisse indiquer ce que vous dites, et absolument aucun, aucun doute de ce point de vue-là.
Lesnouvellesdafrique.info : Alors peut-on envisager le retour de Saleh Kebzabo à la Primature au cas où Mahamat Idriss Déby gagnerait cette présidentielle haut la main ?
Saleh Kebzabo : C’est lui qui est candidat. C’est lui qui va former le gouvernement le moment venu. C’est lui qui appréciera ce que les uns et les autres ont apporté et c’est lui qui verra avec les nouveaux défis qui lui sont lancés. Quels sont les hommes et les femmes qui vont l’entourer. Donc, c’est plutôt à lui qu’il faut poser la question.
Lesnouvellesdafrique.info : Enfin, vous, en tant que médiateur de la République, pourquoi selon vous, les enquêtes internationales sur les crimes politiques récents commis au Tchad, tels que les événements du « Jeudi noir », survenues à Ndjamena, la capitale et la mort cruelle de Yaya Diallo n’ont jamais encore abouties ?
Saleh Kebzabo : Ça, c’est une question de volonté politique et d’engagement politique. Et ces événements-là peuvent difficilement être éclaircis dans la mesure où les principaux acteurs sont encore présents dans le gouvernement. Le Premier ministre actuel s’est contenté d’obtenir une amnistie. Et donc ne s’intéresse pas à l’éclaircissement sur les événements qu’il a provoqués. Ou peut-être se reproche-t-il quelque chose, mais toujours est-il qu’on a relégué ça au deuxième rang y compris la mort de Yaya Diallo.
Le Premier ministre, comme un nom propre aurait pu, aurait dû exiger peut être encore des éclaircissements sur ça. Non, tout ça n’a pas été fait. Je ne pense pas que c’est à moi, dans ma position actuelle de Médiateur de la République, qu’il faut poser la question sur ces manquements.
Lesnouvellesdafrique.info : Merci Saleh Kebzabo.
Saleh Kebzabo : Merci à vous.