« Améliorer les conditions de travail des producteurs, c’est améliorer leur qualité de vie » (Absa Mbodj)

A l’occasion de la journée internationale du travail, notre rédaction donne la parole à Absa Mbodj de l’Ong Enda Pronat. Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, Mme Mbodj explique comment le changement climatique a un impact sur le quotidien des travailleurs et des populations. 

Lesnouvellesdafrique.info : Lorsqu’on vous parle aujourd’hui de changement climatique en lien avec la productivité en Afrique, à quoi cela vous fait penser ?

Absa Mbodj: pense à la sécheresse, à la dégradation des ressources en eau. Ce sont ces deux grandes pensées qui me traversent l’esprit immédiatement.

Lesnouvellesdafrique.info : Alors quels sont les impacts du changement climatique sur la productivité en Afrique en général et au Sénégal en particulier ?

Absa Mbodj:  je reprends par rapport au dernier impact que j’ai évoqué, qui touche plus les ressources en eau au Sénégal, tout comme dans toute la zone sahélienne et en Afrique de l’Ouest, on note qu’il y a une dégradation des ressources en eau qui est souvent causée par des phénomènes de changement climatique.

Ces phénomènes peuvent être liés, par exemple, à des causes pluviométriques et des sécheresses de plus en plus fréquentes, et cela induit vraiment des retards de croissance, de développement des plantes et pénalise in fine les rendements des cultures pluviales. Car la production est plutôt basée sur des cultures pluviales et donc on est très dépendant des changements climatiques du type que j’ai cité tout à l’heure et de la sécheresse.

Lesnouvellesdafrique.info : Alors lorsqu’on parle de productivité, on parle évidemment des producteurs ou agriculteurs. Quelles sont les difficultés que ressentent justement les producteurs dans un pays comme le Sénégal situé entre le Sahel et les pays côtiers ?

Absa Mbodj: On peut dire que ces changements sont source de désarroi et de perturbation pour les producteurs, notamment sur des aspects socioéconomiques, dans la mesure où l’agriculture est leur principale activité économique. Et c’est donc déjà que c’est la principale activité économique qui n’est pas pratiquée pour la plupart des producteurs durant toute la période de l’année.

Or, ils comptent sur les trois mois habituels de la saison des pluies pour vraiment maximiser leur production et pouvoir avoir les réserves et des stocks de céréales pour pouvoir subvenir à leur alimentation au cours de l’année.

Et lorsqu’il y a ces changements-là, il y a déjà ce désarroi là et cette perturbation sur le niveau de vie touche leur alimentation, mais également, il y a quelque chose derrière, car ce sont des cultures de rente notamment dans le bassin arachidier ou dans certaines zones du Sénégal, où la culture de rente, c’est l’arachide. Et donc, lorsque, durant la saison des pluies, il y a cette complication liée à la sécheresse ou à d’autres facteurs, il y a un impact direct sur le revenu économique individuel du producteur, mais ça aussi un impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs.

Lesnouvellesdafrique.info : Parce que lorsque la demande diminue, les prix augmentent aussi.

Absa Mbodj: Non seulement le prix augmente – parce qu’aujourd’hui, on se trouve avec le prix du mil qui est supérieur à celui du riz – qui est produit localement mais en majorité aussi importé. Et donc, ça veut dire que c’est à cause également de la raréfaction de la ressource qu’il y a cette augmentation du prix. Et l’autre point, c’est aussi que ça ouvre la porte aux importations.

Il y a les statistiques qui montrent que 70 % des denrées alimentaires, spécifiquement des céréales, du maïs, du riz et du blé sont importées. Ce qui ne facilite pas la commercialisation de la production locale lorsqu’elle est disponible. Parce qu’il y a des moments où on peut avoir une bonne production. Mais avec les importations, la planification devient de plus en plus difficile parce qu’il y a beaucoup d’aléas climatiques. On n’anticipe pas forcément sur les pauses pluviométriques et autres aspects.

Lesnouvellesdafrique.info : Mais le changement climatique ne touche pas que l’agriculture, il touche aussi le domaine des mines, par exemple, avec des travailleurs qui sont soumis à une extrême chaleur lorsqu’il faut travailler dans des mines d’or ou pour extraire d’autres métaux précieux.

Absa Mbodj: Effectivement, il y a cet aspect-là de pénibilité du travail qui est dû à la chaleur, surtout durant certaines périodes de telle sorte que dans certaines organisations, il y a une décharge que les entrepreneurs font signer aux travailleurs pour leur dire qu’ils ne sont pas responsables de tout accident qui pourrait arriver au cours des heures de travail à cause de la chaleur, à cause de la perturbation du climat.

Lesnouvellesdafrique.info : Que faut-il faire alors pour aider justement les travailleurs à contrer eux aussi ces effets du changement climatique sur leur quotidien ?

Absa Mbodj: Je pense qu’il faut déjà qu’on se rende compte qu’il y a une urgence d’action sur tous ces changements climatiques. Et donc nous, par rapport au domaine agricole spécifiquement, nous promouvons la pratique de l’agroécologie. Nous promouvons ces pratiques-là pour le producteur, dans la mesure où dans les zones sahéliennes, dans les zones subsahariennes comme le Sénégal, on arrive avec des techniques de régénération des terres, que ce soit par voie de régénération naturelle des plantes ou bien de bonnes pratiques agroécologiques, avec l’utilisation de la matière organique, on arrive à créer un microclimat déjà dans le cadre du travail du producteur.

Donc les questions dont on parlait tout de suite à savoir la chaleur extrême, etc. deviennent moindres dans une parcelle agroécologique où, avec la présence des arbres, avec la présence d’une biodiversité, on a un meilleur cadre de vie, ça, c’est un premier plan.

L’autre plan, toujours pour améliorer les conditions de travail, parce qu’il y a la qualité aussi de vie qui est liée à la santé, donc la qualité des produits consommés et par le consommateur et par le producteur pour sa longévité et pour juste sa meilleure vie, donc là également, il faut veiller à une consommation de produits sains pour le producteur et créer un cadre un cadre de vie beaucoup plus sain, plus serein et avec une production agroécologique bien pratiquée, bien accompagnée.
Aujourd’hui, il y a la possibilité d’améliorer les revenus du producteur dans la mesure où il sera dans une production qui est au-delà de la saison des pluies, avec des pratiques qui permettent de minimiser et de rationaliser l’utilisation de l’eau et de pouvoir avoir un marché. Et donc, favoriser aussi ses revenus économiques.

Lesnouvellesdafrique.info :  Au-delà de ces aspects, avez-vous une recommandation particulière à faire pour améliorer le quotidien des travailleurs face aux changements climatiques ?

Absa Mbodj: Pour moi, c’est vraiment que ce soit à l’échelle personnelle, donc à l’échelle d’auto-entrepreneuriat, de l’auto-emploi ou à l’échelle du salarié. Il faudrait qu’on puisse intégrer dans leurs activités les questions de durabilité. Donc, la prise en charge des questions qui sont beaucoup plus englobantes sur l’environnement. Dans la question environnementale liée à l’agriculture spécifiquement, ce sera vraiment une intensification écologique qui favorisera la prospérité ou, en tout cas, le bien-être du salarié.

Absa MbodjEndaENDA PRONATJournée internationale du travail