La prolifération des salles de jeux et la montée fulgurante des plateformes en ligne ont occasionné l’adhésion en masse d’une bonne partie des jeunes.
La ferveur provoquée par ces jeux de hasard devenus plus accessibles avec la digitalisation, et rend paresseux une certaine partie de la jeunesse. Reportage
Devant la petite porte de l’école élémentaire El Hadj Mbaye Diop de Ouakam (à quelques mètres du monument de la renaissance Africaine), on peut facilement apercevoir une grande boutique à la couleur verte avec comme insignes « premier bet ». Aux alentours, des jeunes âgés entre 15 à 25 ans rodent autour alors qu’un panneau indique « interdit aux moins de 18 ans » est bien visible sur la devanture.
Ici, tout porte à croire que le gérant ne se soucie pas de vérifier l’âge de ces « clients », sensés être âgés de plus de 18 ans.
Alassane est un habitué des lieux. Le jeune homme habillé en jogging beige et un maillot de l’équipe de Chelsea, détient un coupon de jeu froissé dans sa main et un stylo, il a perdu le contrôle sur ces paris sportifs. Il ne peut rester une journée sans parier.
« J’ai commencé à parié en 2020, je suis devenu accro. Il m’arrive même de miser une somme colossale pour gagner des millions en retour. Ce qui n’est pas une chose aisé », fait-il savoir. Poursuivant le jeune homme confie : « un jour j’avais misé 300000 sur un match et j’avais perdu alors que l’argent ne m’appartenait pas. Je devais le déposer pour ma mère. Je n’oublierai jamais ce jour » explique-t-il nostalgique.
Malgré cela, il n’abandonne toujours pas au contraire, il est de plus en plus engagé.
Et, il est loin d’être le seul. Ces paris sportifs se sont emparés les mœurs du pays. La pratique attire de plus en plus les jeunes, tout âge confondu. Ce fléau fait des ravages dans les pays africains notamment au Sénégal où sept jeunes sur 10 s’y adonnent.
« Naar bi » (l’arabe en wolof, langue locale au Sénégal) comme se plaisent ils à l’appeler, est devenu comme une drogue pour ces jeunes. Son ami en a payé les frais. Selon lui, sa situation est pire. Il joue sans modération. Il nous raconte une anecdote : « un jour, j’ai parié une forte somme d’argent. Jusqu’ à première partie du match, son ami avait espoir de gagner la mise. Malheureusement pour lui à quelques minutes de la fin il perd. Mon ami a voulu se rendre à la plage pour dit-il se « changer les idées. Et je l’ai suivi. Il voulait se suicider ».
Ce fléau qui détourne à outrance la jeunesse, est un casse tête pour les parents qui n’ont presque plus de contrôle sur leur progéniture.
Rokhaya est mère de famille. La jeune dame est bien consciente de l’existence des paris sportifs. Elle pointe du doigt l’Etat. Selon elle, les autorités ont failli à leurs missions qui est de protéger la jeunesse.
« Mon cadet est âgé de 6 ans, un jour, il a tardé à rentrer à la maison alors qu’il revenait de l’école tout les jours à 17h. Et jusqu’à 18h, l’enfant n’est pas rentré. Je me suis mis à sa recherche. Je l’ai cherché pendant 1h30. Je l’ai croisé dans une ruelle. Je lui ai demandé où est ce qu’il était, inconsciemment il m’a répondu qu’il était dans une salle de jeu. Je ne lui ai rien dit. Mais, arrivé à la maison, je l’ai bien corrigé. Maintenant il ne regarde même plus cette direction. Tout cela, est de la faute des autorités. Elles sont incompétentes », peste-t-elle.
Selon le sociologue Abdou Khadre Sanogo, ce phénomène peut s’expliquer par « un syndrome de l’enthousiasme à la réussite ou l’accomplissement social ». Autrement dit, une sorte de croyance aveuglée au miracle.
« Les paris sportifs remettent aux jeunes un espoir nourri sur une belle étoile qui peut à tout moment leur porter chance. Et, à force de chercher cette chance, on devient accro et dépend sans s’en rendre compte » explique le sociologue.
A en croire le sociologue certifié en Psychologie, l’absence d’argent peut les pousser à voler, agresser ou se prêter à l’arnaque. Et à ce titre, l’addiction aux jeux fragilise l’équilibre social des parieurs ».
En 2023, un jeune homme avait assassiné sa collègue, gérante d’un multiservices emportant par devers lui la sommes de 500 000 FCFA sous prétexte qu’ « il devrait baptiser sa fille. Et pour supporter les dépenses, il devait parier au jeu « pari foot » avec l’argent des caisses ». Une sordide histoire qui avait créé l’émoi au Sénégal.
Quid de la responsabilité de l’Etat ?
« L’État doit véritablement prendre son courage à deux mains et prendre des mesures fortes pour protéger la jeunesse. Il ne doit pas simplement protéger ses intérêts financiers mais voir comment véritablement encadrer cette pratique », suggère le sociologue.
Même s’il admet que cela « ne sera pas facile car relevant quelque part de l’expression de la liberté individuelle »
Quel regard la religion jette-t-elle sur ces pratiques ?
Ces jeunes sont conscients que le pari sportif est formellement interdit. Et pourtant, cela ne les arrête pas.
Un imam qui s’est confié à nous explique que ces paris sportifs ont diminué le « degré de concentration » des jeunes sur la pratique de leur religion. « Parfois, on peut voir un jeune dans une mosquée téléphone à la main, entrain regarder le résultat des matchs. Ce qui est malheureux », déplore-t-il.
Mais, depuis quelques temps, des voix s’élèvent concernant ces paris. Sur les réseaux sociaux, les commentaires vont bon train. Ils sont nombreux à vouloir s’engager à barrer la route à cette pratique qui selon eux « gangrène, rend fou et détruit la jeunesse ».
Dans un post sur Facebook, un influenceur qui faisait leur promotion explique comment ces jeunes accros perdent leur argent .
« j’ai plusieurs inscrits avec mon propre code promo. Chaque jour, je gagne presque 20000 jusqu’à 65000. Et chaque fin du mois, j’ai 600000 sur mon compte partenaire alors que je ne suis qu’un petit influenceur. En moins de deux années, j’ai gagné plus 18700 dollars. Ce qui veut dire que mes inscrits perdent leur argent à chaque mise . Xbet me paie 25% de leur perte. Donc j’ai gagné plus de 11 millions en deux ans et eux perdent 44 millions », révèle-t-il.
Un gros désastre pour les jeunes, mais une machine à argent pour les promoteurs !
Suffisant pour dire que ces jeux appauvrissent les jeunes. Des activités de sensibilisation s’imposent dès lors.
1Xbet, melbet, Unibet, Pmu, Betclic entre autres , tous sont des sites pour les paris sportifs. Pour une mise de 300 FCFA, on peut acquérir facilement des millions à l’espace de quelques heures. Et, la mise dépend du code des match.
Dans tout les cas, force est de reconnaître que les paris sportifs tuent à petit feu la jeunesse si l’on se fie à nos interlocuteurs. Ils appellent l’Etat à règlementer voire même interdire définitivement ces paris sportifs.
Ndeye Mour Sembene