Depuis janvier, l’Afrique de l’ouest bat des records de chaleur attribués au phénomène météorologique El Nino: en Côte d’Ivoire, ils perturbent l’agriculture qui représente un quart du PIB et plus de la moitié des emplois.
Au milieu des cacaoyers de sa plantation située près d’Agboville, à 70 kilomètres d’Abidjan, Christian André Yapi constate que les fèves ne poussent pas comme d’habitude.
« Les fèves deviennent noires », pourrissent et « n’arrivent plus à se développer à cause de la chaleur », explique-t-il.
Les feuilles des cacaoyers permettent normalement d’ombrager les fèves, mais le soleil « les sèche et elles tombent », ajoute t-il.
A cause de la chaleur, M. Yapi ne travaille plus que le matin, et pendant son temps libre, il calcule ses pertes.
« En petite saison, habituellement je fais jusqu’à une tonne », explique-t-il, regrettant de ne produire que « 300 kilos » cette année.
Après les pluies de l’an dernier, c’est cette fois les fortes chaleurs qui affectent la récolte du premier producteur mondial de cacao (près de 45%).
Cette année, « on a constaté des fortes chaleurs sur la période de janvier à mars », avec « un record de 41 degrés, en février » à Dimbokro (centre), rapporte Daouda Konaté, directeur de la météorologie nationale à la Sodexam, l’agence météorologique ivoirienne.
A cette période de l’année, « les températures varient normalement autour de 35-36 degrés », poursuit-il.
La Côte d’Ivoire n’est pas le seul pays de la région touché. Au Mali, la ville de Kayes (sud-ouest) a suffoqué sous 48,5°C début avril.
Par leur durée et leur intensité, les fortes chaleurs provoquent « des stress hydriques » aux plantes, explique Siaka Koné, ingénieur agronome et directeur de l’Ecole supérieure d’agronomie de Yamoussoukro, capitale ivoirienne.
Quand celles-ci auront des « coups de chaud, les quantités d’eau fournies ne vont pas suffire pour qu’elles poussent correctement et la floraison ne va pas avoir lieu », ajoute-t-il. Or, s’il n’y a « pas de fleurs », il n’y a « pas de fruits ».
En outre, il note que la température des sols augmente comme celle de l’air et créé « une plus grande évaporation des eaux ».
Selon Daouda Konaté, devenu il y a quelques mois le premier Africain vice-président de l’Organisation mondiale de la météorologie, « cette année est particulière à cause d’El Niño », phénomène météorologique naturel qui correspond à un réchauffement d’une grande partie du Pacifique sud.
Mais les fortes chaleurs sont également causées par « l’action humaine: nos consommations et l’industrie », assure Nahounou Pierre Lautti Daleba, géo-économiste, membre de l’ONG Jeunes volontaires pour l’environnement Côte d’Ivoire.
L’Afrique face au changement climatique
Si l’Afrique n’émet que 7% des émissions mondiales de gaz à effet de serre depuis le milieu du XIXe siècle, selon le 6e rapport du GIEC, elle se réchauffe plus vite que les autres continents. Les températures y ont augmenté de 1,4°C, contre 1,1°C à l’échelle mondiale.
La Côte d’Ivoire émet par exemple près de 100.000 millions de tonnes équivalent CO2 par an, soit 0,0019% du total mondial. Elle vise toutefois une réduction de 30,41% de ses émissions, et une réhabilitation d’une partie de ses forêts, dont 90% ont disparu depuis 1960.
Selon les prévisions du gouvernement ivoirien, le changement climatique pourrait « entraîner des pertes annuelles du PIB de 3 à 4,5% entre 2020-2030 ».
Les agriculteurs « ne sont pas préparés aux vagues de chaleur », qui sont amenées à se répéter, affirme Nahounou Pierre Lautti Daleba.
Mais même si « tout le monde est pris de court » par ces températures, des « méthodes d’adaptation » peuvent être utilisées, nuance Siaka Koné, qui recommande de ne pas arracher les herbes qui protègent les sols de la chaleur, ou de construire des systèmes de retenue d’eau.
Et l’urbanisation galopante d’Abidjan et ses 6 millions d’habitants, rend également les fortes chaleurs difficiles à supporter pour les habitants de la capitale économique.
« La ville d’Abidjan a connu ces 10 dernières années une augmentation de la fréquence et de l’amplitude de vagues de chaleur », créant des « îlots de chaleur urbains », affirme la chercheuse et enseignante à l’Université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan Maïmouna Ymba, dans un rapport de la Croix rouge.
Avec la forte densité du bâti, et l’activité humaine, la température des sols peut s’élever de 5 à 10°C de plus que « l’environnement immédiat », ajoute-t-elle.