Célestin Topona Mocnga : « l’UNDR reste un maillon essentiel de la Transition en cours au Tchad »

Depuis le 1er janvier 2024, le Tchad a un nouveau Premier ministre de Transition. Succès Masra, l’ancien farouche opposant à Mahamat Idriss Déby Itno a remplacé une autre figure de l’opposition tchadienne sous Déby père, Saleh Kebzabo. 

En exclusivité, le premier vice-président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR), responsable des relations extérieures et porte-parole du parti de l’ancien Premier ministre Saleh Kebzabo, analyse cette nouvelle donne politique.

Célestin Topona Mocnga, en séjour privé en Europe, se prononce aussi sur divers autres sujets :  la vie politique de son pays, la suite de la Transition, les relations entre le Tchad et la France.

 

Interview :

Les Nouvelles d’Afrique : Célestin Topona Mocnga, bonjour.

Célestin Topona Mocnga : Bonjour.

Les Nouvelles d’Afrique : Aviez-vous été surpris par la nomination de Succès Masra à la primature en remplacement du président de votre parti, Saleh Kebzabo ? Est-ce que l’UNDR ne s’est pas fait gruger par Mahamat Idriss Déby Itno ?

Célestin Topona Mocnga : La vie politique, un peu partout sur la planète, est en perpétuel mouvement.

Au Tchad non plus, elle n’est pas figée, surtout que, dans mon pays, les défis de la normalisation de la situation politique sont grands. En tant qu’un des responsables de l’UNDR, je ne peux pas dire que j’aie été surpris par la nomination du nouveau Premier ministre, parce que mon parti, contrairement à beaucoup d’autres organisations politiques tchadiennes qui ont la critique facile, a toujours œuvré pour que les résultats du Dialogue national inclusif et souverain de 2022 soient intégrés par toutes les composantes sociopolitiques qui n’y ont pas participé. Nous ne voyons pas par quel miracle sauver le Tchad sans ce Dialogue.

Justement, Succès Masra fait partie des acteurs politiques qui ont décrié avec verve cette grand-messe politique qui a, quoi que l’on dise, sauvé mon pays d’une perturbation dont personne ne pouvait prédire les conséquences suite au décès tragique du Président Idriss Déby Itno en avril 2021.

Aujourd’hui, il a intégré avec son Parti la Transition politique qu’il vilipendait hier. L’UNDR ne peut que saluer cela, parce que son Président national est l’un des piliers de la réconciliation des Tchadiens. Comme quoi, les critiques stériles du processus en cours dans le pays ne se justifient pas du tout de la part des quelques organisations sociopolitiques qui s’obstinent encore à ne pas appréhender la réalité d’un Tchad aujourd’hui à la croisée des chemins de son destin existentiel.

L’UNDR ne peut donc se sentir “grugée”, comme vous le dites, par qui que ce soit, parce que tout simplement le Premier ministre Saleh Kebzabo n’a pas été reconduit à son poste. Pendant 14 mois, notre Président national a prouvé sa stature d’homme d’État en dirigeant avec dextérité le gouvernement d’union nationale. Il a consacré pendant son magistère la fin de la guerre civile, il a réussi à convaincre l’écrasante majorité des organisations politico-militaires à intégrer la Transition et il a amorcé résolument le renforcement de la situation socio-économique du Tchad. Il a apaisé les hystéries politiques en ne répondant à aucune provocation. Il a été au-dessus de la mêlée.

L’UNDR reste un parti majeur dans le paysage politique du Tchad. Malheur à ceux qui pensent que le Parti sera impacté négativement suite au départ de son leader de la tête du gouvernement. Ce n’est pas une finalité en soi et n’oublions pas que le Tchad se trouve dans une période exceptionnelle.

Le président Saleh Kebzabo a toujours mis les intérêts du pays avant toute chose. C’est pourquoi il a contribué de toute son énergie aux préparatifs et à la réussite des premières retrouvailles entre Tchadiens de la Transition. Nous n’avons pas d’autre accord avec le président de la Transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno, autre que les conclusions du Dialogue national. Donc, au sein de l’UNDR, nous restons sereins dans la poursuite de nos objectifs politiques qui restent le retour à l’ordre constitutionnel pour que les élections subséquentes – normales pour une fois au Tchad depuis 1990 – s’organisent.

Les Nouvelles d’Afrique : Quel bilan dressez-vous des 14 mois passés à la tête du gouvernement de l’Union nationale par Saleh Kebzabo ?

Célestin Topona Mocnga : Le bilan à mi-parcours que nous faisons de la direction du gouvernement par le Premier ministre Saleh Kebzabo, outre ce que je vous ai dit plus haut, est que le landernau politique tchadien s’est vu fixer une véritable visibilité quant à ce qui attend le pays d’ici la fin de la Transition, avec le début de l’application des décisions du Dialogue, dont l’intégration du parti de monsieur Masra à la dynamique de réconciliation, qu’il avait naguère combattue avec acharnement, est une excellente illustration. Sans le référendum constitutionnel du 17 décembre 2023, on ne parlerait pas aujourd’hui de 5e République. Il a été aux premières loges de l’adoption de la nouvelle Constitution.

Les Nouvelles d’Afrique : Comment l’UNDR se prépare-t-elle à affronter les prochaines élections qui se profilent à l’horizon ? Quelle est votre stratégie politique ?

Célestin Topona Mocnga : Vous comprenez que l’UNDR n’est pas un parti politique qui a été construit sur du sable, mais sur du roc. Nous sommes logiques avec notre orientation politique, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas nous évaporer dans la nature par rapport à ce à quoi nous avions contribué. S’il n’y a pas de soutien à la Transition actuelle au Tchad, c’est la guerre qui va revenir. C’est sûr. Or, l’UNDR a toujours rejeté la prise du pouvoir et/ou sa conservation par la force. Les acteurs de l’environnement politique devront le comprendre. Et que ceux qui n’ont rien à proposer pour la paix au Tchad laissent les Tchadiens de bonne volonté s’investir pour redresser le pays ! Car cela demande des sacrifices. Voilà pourquoi l’UNDR ne s’accroche pas absolument à une quelconque notion de poste nominatif. C’est au pied du mur que l’on jugera le maçon ; et c’est sur le terrain que nous souhaitons faire nos preuves, comme nous l’avons fait durant tout le processus démocratique, même si les différentes échéances électorales dans le pays ont été toutes biaisées dans le passé, l’UNDR étant toujours présente sur l’échiquier politique national. Qu’il pleuve ou qu’il vente, le parti se battra pour ses convictions.

Les Nouvelles d’Afrique :  Si le Président national de votre parti, Saleh Kebzabo, ne se présente pas à la prochaine élection présidentielle, quel candidat allez-vous soutenir ? Une éventuelle alliance avec le candidat du MPS, Mahamat Idriss Déby Itno, est-elle possible ?

Célestin Topona Mocnga : Bientôt, nous organiserons notre Conseil national statutaire, probablement en février. À cette occasion se dessineront les grands axes de la stratégie électorale de l’UNDR qui ne manquera aucune élection. Le Congrès ordinaire qui suivra, dans l’année, entérinera le tout. Ainsi, comprenez que je ne peux déjà dévoiler quoi que ce soit à ce sujet.

Les Nouvelles d’Afrique : Le nouveau Premier ministre, Succès Masra, promet l’organisation de bonnes élections, les toutes premières de l’histoire du pays devant marquer la Transition en cours. Est-ce que vous le croyez sur parole ?

Célestin Topona Mocnga : La feuille de route du retour à l’ordre constitutionnel, ce sont les résolutions et recommandations du Dialogue national. Le Premier ministre, Succès Masra, est tenu de les respecter scrupuleusement. En clair, le gouvernement ne peut qu’organiser de bonnes élections, et nous y veillerons, puisque nous sommes aussi partie intégrante de la Transition comme membre des institutions dirigeantes. Il a le soutien politique de l’UNDR, pourvu que la sincérité soit au rendez-vous de l’action gouvernementale.

Les Nouvelles d’Afrique : Certaines voix ont critiqué la France, accusée d’avoir suscité l’Accord de Kinshasa qui a permis le retour au pays, après un an d’exil, du désormais ex-opposant, Succès Masra. Pensez-vous que Succès Masra est le candidat de la France ?

Célestin Topona Mocnga : L’UNDR, dès sa création en avril 1992, a prouvé son intransigeance par rapport aux ingérences extérieures au Tchad. Les graves difficultés, les guerres qui ont détruit le pays, les divisions entre Tchadiens, etc. sont en grande partie l’œuvre des puissances étrangères toutes confondues. Nous avons toujours été combattus par bien des pays étrangers, qui n’ont jamais levé le petit doigt lorsque nous étions dans l’œil du cyclone pendant les années de plomb où nos victoires électorales ont été spoliées. Nous n’avons d’ailleurs jamais demandé un quelconque soutien extraterritorial, parce que, en tant qu’anciens colonisés, nous avons su compter sur nos ressources propres et nous étions prêts à défendre chèrement notre indépendance d’esprit et notre orgueil patriotique. Nous restons nous-mêmes et nous n’accepterons jamais que l’on nous impose, de l’extérieur, nos dirigeants.

Pour répondre précisément à votre question, si cela s’avère qu’une immixtion étrangère se confirme dans notre processus démocratique pour tenter de le corrompre, vous verrez notre riposte. Et celle-ci, avec les Tchadiens qui en ont assez de l’infantilisation que l’on veut imposer au peuple depuis l’extérieur fera parler d’elle. Non, je mets votre question sur le compte des rumeurs et je ne pense nullement qu’un pays, quelle que soit sa puissance, puisse hypothéquer encore le processus démocratique après tout le calvaire que nous avons connu.

L’accord signé dans la capitale de la République démocratique du Congo, fin octobre 2023, sous l’égide du président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, mandaté par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), a contribué à un pan du processus de réconciliation. Il est souhaitable que d’autres Tchadiens acceptent de rejoindre la Transition, individuellement ou encouragés par des pays amis. Si la France a contribué au retour de Succès Masra, ce n’est pas une mauvaise chose. On ne va pas la blâmer pour cela. Au contraire.

Les Nouvelles d’Afrique : Qu’attendez-vous de la France dans le bon déroulement du processus de Transition en cours ?

Célestin Topona Mocnga : De la même manière que nous restons jaloux de notre souveraineté, nous estimons qu’en tant qu’État indépendant et souverain, le Tchad ne peut vivre en autarcie ou en vase clos. Les rapports de pays à pays sont au-dessus des contingences que nous traversons. Dans son programme politique, l’UNDR déclare collaborer avec tous les pays qu’elle respecte et qui la respectent, si le parti parvient au pouvoir. Naturellement, la France, comme d’autres pays, peut entretenir des relations gagnant-gagnant avec le Tchad. Mais, puisque le parti est au gouvernement, il encourage l’intensification de la coopération avec la France. Les dents et la langue collaborent bien entre elles, non ? 

Pendant cette période que nous vivons, l’aide de la France ne peut qu’être la bienvenue pour permettre le bon déroulement du processus de retour à l’ordre constitutionnel. En tout cas, l’UNDR ne doute pas de la bonne santé des rapports entre le Tchad et la France en ce moment, qui permettront une assistance bénéfique au bon déroulement de la fin de la Transition et surtout à l’organisation des élections générales, crédibles, par les moyens financiers et logistiques conséquents que le Trésor du Tchad ne peut supporter en totalité.

Les Nouvelles d’Afrique : Mahamat Zène Bada a été désigné une nouvelle fois à la tête du Mouvement patriotique du Salut (MPS), le parti du Président défunt, Idriss Déby Itno. Quel est votre commentaire ?

Célestin Topona Mocnga : Il faut reconnaître que les rapports entre l’UNDR et le MPS ont toujours été exécrables. J’espère que le nouveau (ancien) secrétaire général, que je connais sur le plan personnel, saura insuffler une nouvelle atmosphère dans les relations de son parti avec les autres, qui veulent également accéder au pouvoir par de bonnes élections. L’UNDR, le MPS et les autres partis politiques membres de la coalition pour le « Oui » au référendum constitutionnel, naguère sous la conduite de Saleh Kebzabo, ont bien travaillé, ensemble, pour l’avènement de la 5e République. Grâce à eux, la nouvelle Constitution du pays a été adoptée par une confortable majorité de Tchadiens. J’ose espérer que les animosités viscérales que certains militants et responsables du MPS conservent contre l’UNDR finiront par s’estomper un tout petit peu. Quitte à ce que nous nous retrouvions à arpenter parallèlement les sentiers électoraux, chacun pour sa chapelle, et que le meilleur gagne ! De toutes les façons, les cartes sont totalement rebattues et il n’y a plus de parti au pouvoir pendant la Transition.

Les Nouvelles d’Afrique : Merci d’avoir répondu à nos questions.

 Célestin Topona Mocnga : C’est à moi de vous remercier.

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