« Le peuple togolais n’a jamais renoncé à l’alternance »(François Boko)

François Akila-Esso Boko, ancien ministre togolais de l'intérieur

Dans cette interview qu’il a accordée à votre site lesnouvellesdafrique.info, l’ex-ministre togolais de l’intérieur François Akila-Esso Boko, contraint à l’exil par l’actuel régime togolais, s’exprime sur l’adoption de la nouvelle Constitution, dénonce l’instrumentalisation des institutions républicaines et déclare que les élections de ce 29 avril ne seront pas transparentes.  

 

 

 

 

Lesnouvellesdafrique.info : François BOKO, Bonjour

François BOKO : Bonjour Monsieur,

Lesnouvellesdafrique.info : Vous avez été le ministre de l’Intérieur du régime de feu Gnassingbé Eyadema. Et en avril 2005 lors de la première élection de son fils, Faure Gnassingbé, vous avez eu le courage de dénoncer la fraude, mais cela a failli vous coûter la vie. Vous avez été exfiltré à l’aide notamment des Allemands et des Américains. Pensez-vous rentrer un jour au Togo ?

François BOKO : A la suite du décès du Général Eyadema, alors président de la République, le Togo a connu une succession dynastique en flagrante violation des règles constitutionnelles. J’étais à l’époque ministre de l’Intérieur, j’ai refusé de cautionner un tel mode de dévolution de pouvoir, d’autant plus que les différents services de renseignements d’État m’informaient régulièrement de l’issue sanglante d’un tel processus fondé sur la fraude massive et la répression.

A la lumière de ces informations, j’ai tout mis en œuvre pour dissuader les tenants d’un tel scénario en leur demandant d’y renoncer afin que puisse être engagé un véritable processus de réconciliation nationale, seul gage de paix et de stabilité. Je n’ai pas réussi à convaincre, j’en ai tiré les conséquences et remis ma démission tout en prenant à témoin l’opinion nationale et la communauté internationale afin d’éviter le pire pour mon pays.

Hélas, ce que je craignais arriva. L’entêtement à conduire le processus électoral biaisé pour légitimer un pouvoir issu d’un double coup d’état militaire et constitutionnel, a fait perdre la vie à 500 de nos concitoyens selon l’enquête indépendante d’une mission des Nations-Unies conduite par Monsieur Doudou DIENE.

Cette démission n’étant évidemment pas du goût de Faure Gnassingbé et de ses « va-t’en guerre », ma vie fut mise à prix. Dans ce contexte délicat, j’ai pu bénéficier de la protection allemande que je remercie encore une fois au passage. Je fus exfiltré vers la France grâce à la médiation internationale conduite par les diplomaties de l’Union-Européenne, de l’Allemagne, de la France et des Etats-Unis.

Certes, je vis en exil depuis 19 ans mais je garde la volonté de retrouver un jour le Togo, la terre de mes aïeux. Je m’y emploie assez souvent pour y parvenir et je garde espoir.

Lesnouvellesdafrique.info : Le 19 avril dernier, les députés Togolais ont adopté en seconde lecture la nouvelle Constitution qui consacre un régime parlementaire. Quelle est votre réaction ?

François BOKO : Le prétendu régime parlementaire introduit par Faure Gnassingbé, l’actuel Chef de l’État du Togo, est tout simplement une supercherie pour servir les caprices « d’enfant gâté » de Faure Gnassingbé et lui permettre de conserver ad vitam aeternam un pouvoir conquis dans le sang et par la fraude. Ce régime parlementaire répond sans complexe à l’agenda de Faure Gnassingbé puisque son père lui aurait conseillé, prétend-il, de ne jamais perdre le pouvoir au risque de ne plus le retrouver.

En effet, 19 années de jouissance de pouvoir d’État sont vite passées sans résultats en matière de développement. Faure Gnassingbé a usé et abusé de ce pouvoir et ne sait plus désormais quoi en faire. Son seul projet est de conserver le pouvoir à vie. Il utilise à cet effet des artifices juridiques portés par de pseudo juristes, des « Debbasch africains ».

Ces pseudo juristes sont prompts à lui proposer des scenarios les plus ubuesques et anachroniques de conservation d’un pouvoir relevant d’une dynamique sous-régionale pour l’instant orpheline. Mais attention, au-delà du Togo, si ce scenario de liquidation du suffrage universel et de déconstruction de l’État de droit aboutissait, le risque de contagion sous-régionale serait réel et grand.

Le modèle que propose les « Debbasch africains » pour permettre à Faure Gnassingbé de liquider le suffrage universel direct et de conserver à vie le pouvoir à moindre frais paraît attrayant dans un contexte sous-régional marqué par l’irruption sur la scène politique de néo-potentats qui rêvent d’un renouveau prétorien sur les États en construction.

Alors renaîtrait le modèle d’État néo-prétorien qu’on croyait derrière nous depuis les conférences nationales souveraines de la décennie 90.

Lesnouvellesdafrique.info : Quel est l’objectif poursuivi par ce changement de régime ?

François BOKO : Soyons clairs, le renversement constitutionnel orchestré ne participe en rien au développement politique du Togo. Ce passage en force de la IVe république issue du référendum en 1992 vers la prétendue Ve république adoptée le 19 avril dernier par des parlementaires en fin de mandat ne poursuit qu’un seul objectif : assurer la survie du régime de Faure Gnassingbé à travers une instrumentalisation de nos institutions.

Le coup d’État Constitutionnel perpétré, permettra prochainement à Faure Gnassingbé de devenir président du conseil des ministres. Cette nouvelle fonction concentre en elle la réalité et l’essentiel du pouvoir et permet à Faure Gnassingbé d’attribuer à une des figures de paille doit-il est coutumier la désormais symbolique fonction de président de la République vidée de sa substance.

Vous comprenez alors aisément la roublardise, l’escroquerie et la supercherie que représente ce prétendu passage à la Ve République. Celle-ci assouvit plutôt les caprices d’enfant gâté de Faure Gnassingbé se rêvant désormais monarque.

C’est devenu un jeu récurant pour Faure Gnassingbé d’assurer la survie de son régime en instrumentalisant cyniquement une catégorie spéciale de la gent féminine notamment ses « coquines » en prétextant la légitime nécessitée du renforcement de l’accès et de la visibilité des femmes en politique.

Cette instrumentalisation des femmes passe également à la trappe de la naïveté d’une certaine communauté internationale séduite par une méthode bien particulière de promotion de la femme notamment « les coquines du prince » que le régime de Faure Gnassingbé offre plutôt en spectacle.

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La parodie de promotion de la femme avec les différentes fonctions de premier ministre, ministres, présidente de l’assemblée nationale et bientôt présidente de la république qu’occupent allègrement les « coquines du prince », non sans « rivalités et crises régulières de ménage » est un scandale qui réduit notre pays à une république bananière des « coquins et coquines » en l’exposant à la risée du monde.

Lesnouvellesdafrique.info : Ce 29 avril ont lieu les élections régionales et législatives. Les conditions de transparence vous semblent-t-elles réunies ?

François BOKO : Avant de répondre à votre question, il y a un paradoxe qu’il faut tout de suite soulever par rapport à ces élections du 29 avril. Le peuple togolais, les partis politiques et les candidats ne savent pas sous quel régime politique se déroulent ces élections. Les députés qui en seront issus, siègeront-ils à l’Assemblée nationale dans le cadre de la constitution de 92 ou dans le cadre du prétendu régime parlementaire orchestré par la révision à la hussarde du 19 avril dernier ?

Cela étant, la transparence des élections du 29 avril prochain est déjà entamée. En amont la constitution des listes électorales ainsi que la distribution de cartes d’électeurs ont été contestées. Le régime a pris soin de favoriser l’inscription massive et la distribution des cartes d’électeurs dans les zones présumées acquises à sa cause. Parallèlement dans les zones et régions favorables à l’opposition, le régime a multiplié les obstacles pour l’inscription sur la liste électorale afin de réduire le nombre de votants.

Aussi, le nouveau découpage électoral effectué en janvier dernier par des députés en fin de mandat, est inique et entame sérieusement la crédibilité du scrutin. Il créé désormais 113 circonscriptions électorales au lieu de 91.

Le régime a créé de nouvelles circonscriptions électorales dans les zones et régions verrouillées qu’il maîtrise afin de s’assurer un avantage certain à travers de nouveaux sièges qui lui permettront d’avoir une majorité confortable. Dans certaines circonscriptions électorales supposées favorables au régime, 10 à 50.000 voix suffiront pour faire élire un député. A contrario, dans les zones et régions favorables à l’opposition il faut 50 à 200.000 voix pour élire un député. Cette inégalité des voix du citoyen devant le suffrage universel entame sérieusement la crédibilité du scrutin du 29 avril.

De plus, le changement de constitution en pleine campagne électorale, en violation flagrante des règles constitutionnelles, notamment des articles 52, 59 et 144 de notre loi fondamentale solde définitivement la crédibilité des élections législatives et régionales du 29 avril.

Enfin, l’instrumentalisation de la cour constitutionnelle, pour invalider sans fondement des listes concurrentes dans certaines circonscriptions électorales, permet de favoriser dans celles-ci le monopole du suffrage et la victoire des listes du parti UNIR de Faure Gnassingbé fonctionnant comme un parti État.

En dépit de ces irrégularités flagrantes, ces élections offrent une opportunité au peuple togolais pour peu qu’il soit davantage déterminé et lucide de jouir de son droit de vote. Ainsi, le peuple exposera à la face du monde les contradictions de ce régime. Il pourra aussi mettre à nu ce régime afin de le contraindre à renoncer à la monarchisation de nos institutions visées par le prétendu régime parlementaire adopté à la hussarde en pleine campagne électorale.

Lesnouvellesdafrique.info : L’Afrique de l’Ouest est secouée par une série de coups d’État : Mali, Niger, Guinée, Burkina Faso. La démocratie est en panne non ?

François BOKO : Le risque d’une remise en cause des acquis démocratiques conquis de haute lutte, dans les années 90, est réel dans la sous-région. La construction de l’État de droit trébuche et les rares espaces de liberté sont remis en cause. Mais la restauration autoritaire observée aujourd’hui a commencé dans les années 2000, facilitée en cela par la complaisance et le manque de fermeté de la CEDEAO vis-à-vis des dynamiques orphelines et anachroniques comme celle du Togo de 2005.

Hélas, cette complaisance a développé chez certains chefs d’états la tentation d’imiter le modèle togolais fondé sur la manipulation de la constitution et la répression pour conserver le pouvoir. Ceci a d’ailleurs justifié la nouvelle vague de coup d’état expliquant en partie l’intervention et le retour des militaires dans l’arène politique.

Mais, loin de décourager les démocrates et les républicains, ces épisodes de recul nous démontrent que le chemin qui mène vers la démocratie n’est pas forcément une voie bitumée. Celui-ci est parfois parsemé d’embuches que les démocrates doivent apprendre à surmonter. C’est aussi cela la vie et la marche des nations vers le développement politique. Elle est faite de progrès mais aussi de recul à prendre en compte dans le processus de construction de l’état de droit.

Lesnouvellesdafrique.info : La présence militaire française et américaine est remise en cause dans beaucoup de pays africains. Qu’en pensez-vous ?

François BOKO : Notre sécurité collective passe par la professionnalisation de nos armées et de nos services de sécurité intérieure. Il est impensable que nous puissions continuer à sous-traiter notre sécurité aux puissances alliées fussent-elles la France, les Etats-Unis ou la Russie.

Il est temps que nos pays s’attèlent à bâtir de vraies armées en phase avec l’État de droit en construction, capables de protéger nos concitoyens, de garantir la paix sous-régionale et de participer à la sécurité internationale.

Lesnouvellesdafrique.info : Quel est votre message pour le peuple togolais dans le cadre du présent processus électoral ?

Le peuple togolais est à une étape cruciale de son histoire politique mouvementée. Il est résigné mais n’a jamais renoncé à son légitime droit à la liberté ni à ses aspirations profondes d’alternance.

J’invite mes compatriotes au Togo comme dans la diaspora à persévérer dans l’effort et à rester en cohérence avec les aspirations profondes de ce peuple tant martyrisé. Notre responsabilité à tous est de lui donner les moyens de se libérer du joug de la plus vieille dictature d’Afrique. Nous avons le devoir d’accompagner le peuple togolais dans sa quête vers une nouvelle indépendance afin de lui garantir un nouvel ordre politique qui redonne espoir à ses enfants.

Lesnouvellesdafrique.info : Merci M. François Boko

 François BOKO : C’est moi.

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