Un rapport d’Amnesty International accable le Sénégal

Manifestations interdites et/ou réprimées, liberté d’expression et de réunion entravée, arrestations et détentions arbitraires, recours excessif a la force, journalistes et opposants persécutés et emprisonnés… C’est le tableau sombre peint par Amnesty International sur la situation des droits humains au Sénégal.

Dans son rapport 2023 sur la situation des droits humains dans le monde, publié mercredi 24 avril 2024, Amnesty expose les multiples violations des droits de l’Homme par le régime de Macky Sall durant l’année 2023.

« La répression des droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique s’est poursuivie à l’approche de l’élection présidentielle. Des défenseur-e-s des droits humains, des militant-e-s et des journalistes ont été arbitrairement arrêtés et placés en détention. Les forces de défense et de sécurité ont utilisé une force excessive lors de manifestations, et des personnes ont en conséquence été blessées ou tuées. Cette année encore, des enfants talibés ont été forcés à mendier. La discrimination exercée contre les femmes et les filles dans le cadre du mariage a continué », constate d’emblée Amnesty International.

Entrave à la liberté d’expression et de réunion

Le rapport rappelle que plusieurs manifestations organisées par Yewwi Askan Wi, principale coalition de l’opposition, et par les organisations de la société civile F24 et FRAPP ont été interdites sous prétexte d’empêcher des troubles à l’ordre public. En effet, les autorités ont alors refusé de lever l’interdiction en vigueur depuis 2011, des manifestations politiques dans le centre de Dakar, malgré une décision de la Cour de justice de la CEDEAO.

« Nous invitons les nouvelles autorités compétentes, en l’occurrence le chef de l’Etat, Bassirou Diomaye Diakhar Faye, à abroger afin de permettre à tous les Sénégalais de manifester pacifiquement, sans restriction, partout où ils le jugent nécessaire », a déclaré le directeur exécutif d’Amnesty international Sénégal. Seydi Gassama plaide par la même occasion pour « une réforme de la justice et des règles d’engagement à la police ».

Arrestations et détentions arbitraires

Selon le rapport, entre janvier et octobre, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées et placées en détention principalement en raison de leur participation à des manifestations ou de leur lien présumé avec le PASTEF. Hannibal Djim, qui avait organisé des campagnes de collecte de fonds pour soutenir le PASTEF, a été arrêté en février et placé en détention pour financement d’activités séditieuses et subversives, appel à l’insurrection, incitation à des actes de nature à troubler la sûreté de l’État et apologie de la violence. Il se trouvait toujours en détention à la fin de l’année. Falla Fleur a été arrêtée en mai et placée en détention en raison de ses publications sur Facebook soutenant le PASTEF ; elle a été inculpée d’« actes et manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique » et de provocation directe à un attroupement armé ». Les autorités l’ont remise en liberté le 06 novembre. Aliou Sané du mouvement Y’en a marre et vice- coordonnateur de la plateforme F24, a été inculpé de « participation à une manifestation non déclarée et trouble à l’ordre public ». Il était encore détenu à la fin de l’année, constate Amnesty.

Liberté de la presse piétinée

« Des journalistes ont été arrêtés, placés en détention et condamnés à des peines d’emprisonnement à l’issue de procès engagés contre eux notamment pour diffamation ou diffusion de fausses nouvelles », mentionne Amnesty dans le rapport.

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Dans les détails, Amnesty rappelle que le 7 mars, le journaliste Pape Ndiaye a été arrêté et placé en détention. Il était notamment inculpé de « diffusion de fausses nouvelles » et d’ « outrage à magistrat » pour avoir affirmé sur la chaîne Walf TV que 19 substituts du procureur s’étaient prononcés contre le renvoi en jugement d’Ousmane Sonko pour viol présumé. Pape Ndiaye a été libéré à titre provisoire le 21 juin. En mai, Serigne Saliou Gueye, directeur de publication du quotidien Yoor- Yoor, a été arrêté après que son journal eut publié un article critiquant des magistrats à la suite d’une décision de justice rendue dans l’affaire du procès en diffamation contre Ousmane Sonko.

Il a été inculpé de « publication d’écrits de nature à discréditer les actes ou décisions judiciaires, diffusion de fausses nouvelles de nature à discréditer les institutions publiques et usurpation de la fonction de journaliste ». Serigne Saliou Gueye a été remis en liberté provisoire le 21 juin. Le journaliste Pape Ale Niang a été arrêté le 29 juillet et inculpé d’ « appel à insurrection et actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique » après la diffusion d’une vidéo dans laquelle il évoquait la récente arrestation d’Ousmane Sonko. Il a été remis en liberté provisoire le 8 août après une grève de la faim.

Recours excessif à la force

Entre mars 2021 et juin 2023, au moins 56 personnes ont été tuées dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre lors de manifestations, et un millier d’autres au moins ont été blessées. En mai, des habitant-e-s de la commune de Ngor, à Dakar, ont manifesté pour dénoncer l’attribution à la gendarmerie d’un terrain sur lequel la construction d’un établissement scolaire était prévue.

Selon des témoins et les médias, une jeune fille de 15 ans, Adji Diallo, a été tuée par balle lors des manifestations, au cours desquelles on a vu des gendarmes ouvrir le feu sur des manifestant-e-s en réaction à des jets de pierre et utiliser des gaz lacrymogènes dans des espaces confinés où se trouvaient des manifestant-e-s et des habitant-e-s.

Des vidéos vérifiées par Amnesty International montraient des gendarmes en train de frapper des personnes arrêtées et menottées et d’utiliser des hommes comme pour progresser dans un quartier barricadé.

En juin, lors des violentes manifestations qui ont eu lieu à Dakar et à Ziguinchor à la suite de la condamnation d’Ousmane Sonko pour corruption de la jeunesse, des policiers et des hommes armés en civil agissant parfois de concert ont tiré à balles réelles, tuant au moins 29 personnes et en blessant au moins 390, selon la Croix-Rouge sénégalaise.

En septembre, deux hommes ont été tués par balle par la police lors de violentes manifestations menées par des jeunes gens dans la commune minière de Khossanto, dans le département de Saraya (région de Kédougou). Ces manifestations visaient un arrêté préfectoral au titre duquel des représentant-e-s des autorités administratives remplaceraient les chefs de village à la tête des commissions chargées du recrutement de la main-d’œuvre locale non qualifiée pour les mines d’or.

Aucune information n’a été communiquée au sujet de l’enquête judiciaire portant sur la mort de 14 hommes, dont 12 tués par les forces de défense et de sécurité, lors des manifestations qui avaient eu lieu dans plusieurs villes en mars 2021 après l’arrestation d’Ousmane Sonko, déplore Amnesty.

A.K.Coulibaly

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